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Ses pas l'ont guidée jusqu'au cœur de la jungle, non loin de l'ancien camp des Shaan. Absinthe connait mal cet endroit. Il n'a aucune signification pour elle. Il ne retient aucun de ses souvenirs. Il n'est qu'un endroit parmi les autres. Ce qui est assez drôle, lorsqu'on sait qu'il a été le lieu de vie de sa fille, après qu'elle ait quitté les Wiha. C'est là qu'on remarque l'ampleur de leur différence. Elles n'ont jamais été capable de s'entendre. Jamais. Et malheureusement, elles n'auront plus jamais l'occasion de rattraper tous ces moments perdus. Ils resteront perdus à jamais. Azel les aura emportés avec elle.
L'attention d'Absinthe est finalement attirée par un bruit assourdissant. Curieuse, elle entreprend de s'en approcher et se fige lorsqu'elle découvre Faucon entrain de s'en prendre violemment à un vieil arbre mal en point. Jusqu'à présent, elle ne l'avait jamais vu dans un tel état et ça lui fait presque mal au cœur de le découvrir ainsi. Après un petit moment d'hésitation, elle décide de s'approcher. Lentement.
- Faucon ? L'appelle-t-elle doucement en s'arrêtant tout près de lui, dans son dos.

La réaction de Faucon est inattendue. Agile comme un chat, il fait volte-face et lui saute presque dessus. Et, bêtement, son seul réflexe est d'arquer son encolure et de contracter son corps tout entier. Comme si elle pouvait agir comme un bouclier. Heureusement, elle n'a pas pu plonger son regard dans le sien. Ainsi, elle n'a même pas remarqué cette lueur assassine luisant dans son regard. Lorsqu'elle se redresse, il semble avoir reprit ses esprits. De son côté, elle a un peu de mal à reprendre les siens. Elle se sent en totale insécurité et ça fait palpiter son cœur malade. Navré. C'est le seul mot qui franchit la barrière de ses lèvres. Absinthe ne comprend pas et cette situation l'angoisse. S'excuse-t-il pour avoir faillit l'attaquer gratuitement ? Pour lui avoir fait peur ? Une boule d'angoisse se forme dans son ventre, sans qu'elle sache pourquoi. Peut-être ressent-elle quelque chose. Ou plutôt pressent-elle quelque chose. Dans tous les cas, avant même qu'il ne reprenne la parole, elle sait que quelque chose de grave est arrivé. Elle le sent au plus profond de sa chaire. Elle le sent jusque dans ses os. Et lorsque les mots de Faucon parviennent enfin à ses oreilles, le paysage devient gris et la musique de la vie environnante est remplacée par un long sifflement. Toutes ses sensations disparaissent si bien qu'elle est incapable de sentir les larmes qui coulent en abondance sur ses joues dorées. Ni même la douleur de son cœur devenu fou dans son poitrail. Tout ce qu'elle est capable de sentir, c'est cette boule de chagrin qui lui déchire les entrailles. Exactement de la même manière qu'Azel l'avait fait lorsqu'elle était venue au monde.
- Azel... Gémit-elle entre ses lèvres avant qu'un vertige ne la fasse chanceler.

Lorsqu'il la rattrape, Absinthe n'est plus qu'à demi-consciente. L'annonce de la mort d'Azel a agit comme une onde de choc dans son corps. Elle a tout ravagé sur son passage jusqu'à causer son évanouissement. Et peut-être que ce n'est pas plus mal parce que, finalement, son corps s'est lui-même protégé.
Lorsqu'elle revient enfin à elle, quelques minutes plus tard, elle réalise ce qu'il vient de se passer. Que Faucon l'a rattrapée lorsqu'elle s'est écroulée. Un sentiment de honte s'empare d'elle aussitôt. Elle est si faible. Si pitoyable. Maladroitement, elle cherche à se redresser pour ne plus peser sur lui mais ses jambes tremblent tellement qu'elle est incapable d'être assez stable pour s'éloigner de lui.
- Où est-elle... ? Demande-t-elle entre ses dents serrées.
Pour le comment... Elle n'a pas encore la force de le demander.

Aux abords du campement Nayati. Cette phrase tourne comme un véritable écho dans son crâne. Elle n'a plus vraiment les idées claires et la douleur qui se propage dans son corps est incommensurable. Indescriptible. Elle a simplement l'impression qu'on lui brise les os un à un.
- Je veux la voir, répond-elle d'une voix éraillée, le souffle court.
Elle sait qu'autrement, elle ne pourra jamais tourner la page. Il faut qu'elle puisse dire au revoir à sa fille. A cet enfant qu'elle n'aura jamais pu aimer, bien malgré elle.

Les mots de Faucon sont durs à entendre. Le temps a dégradé son corps. Ce qui veut dire qu'elle est morte depuis un petit moment à présent... ? Le cœur d'Absinthe se brise un peu plus. Elle qui n'a jamais été très maternelle, aujourd'hui, son cœur de maman est mis à mal. Perdre un enfant est la pire douleur au monde. Maintenant, elle le sait et le comprend. Elle sait désormais ce qu'a ressenti sa mère lorsqu'elle a perdu ses deux premiers enfants.
- Tu sais comment elle est morte ? Demande-t-elle finalement, après avoir longtemps hésité.
Elle ignore si elle est prête à entendre la vérité. Mais elle est au moins sûre d'une chose ; elle en a besoin.

Les mâchoires d'Absinthe se contractent si fortement qu'elles en deviennent douloureuses. Elle s'en veut de ne pas avoir été là pour elle. Pourtant, elle sait que ressentir de la culpabilité ne la fera pas revenir. Mais qu'est-ce qu'elle y peut ? Elle a mal. Et, ironie du sort, son instinct maternel semble s'être réveillé, maintenant que son enfant n'est plus de ce monde. C'est incompréhensible. Ses yeux bleus s'accrochent à ceux de Faucon. Elle accepte sans broncher sa réponse, aussi difficile soit-elle à accepter. Ainsi, c'est encore cette saloperie d'Araignée qui a frappé. Après Winterfell... La gorge de la palomino se noue. L'envie de vengeance lui brûle les veines et la peau. Jusqu'à ce qu'il lui apprenne qu'elle est morte. La rage d'Absinthe retombe aussi brusquement qu'elle n'est montée en elle. Décidément, sans même la connaitre, sans même l'avoir réellement croisée, l'araignée lui avait beaucoup pris. Elle lui avait volé un bout de Draggan. Et encore aujourd'hui, elle se demandait ce qu'il avait bien pu lui trouver, au point de vouloir s'unir à elle. Et après ça, elle lui avait arraché Winterfell et Toundra. Lentement, Absinthe s'écarte du bai.
- J'ignore comment Nyveèn est morte mais j'espère que sa mort n'aura pas été douce, crache-t-elle à son tour, les yeux larmoyants.
Pourvu qu'elle se soit étouffée dans son propre venin. Et qu'elle ait ainsi agonisé de longues heures. C'était cette mort là qu'elle méritait.

Absinthe réalise un peu tardivement qu'elle s'est laissée emporter par ses émotions négatives. Et elle réalise par la même occasion que Faucon est tout de même le fils de Nyveèn. Double peine. Ça ne lui ressemble pas d'être si agressive envers les autres. Elle a presque honte de s'être comportée ainsi mais la douleur qui étreint son cœur la ferait presque suffoquer. Et le seul moyen qu'elle a trouvé pour alléger son cœur, c'est de déverser sa colère sur la responsable de la mort de son bébé. Ses mots auraient été aussi crus envers n'importe quelle autre personne.
Elle ne relève pas lorsqu'il lui avoue qu'il aurait aimé la tuer lui-même. Aurait-il seulement eu la force de tuer celle qui lui avait donné la vie ? Parce qu'à sa place, elle n'aurait pas pu. Enfin... Elle n'aurait pas pu donner la mort à qui que ce soit, dans tous les cas.
- C'est mieux que tu n'ais pas eu à le faire, répond-elle simplement, en balayant une fois pour toute la colère qui l'animait.
Elle a survécu à bien pire. Elle a enduré tellement plus insoutenable. Alors elle peut bien accepter ça. Elle survivra. Elle n'a pas le choix de toutes manières. Pourtant elle ne peut empêcher la tristesse d'accaparer ses pensées. Elle se sent vide. Et lorsqu'il reprend la parole, seule son oreille se tourne vers lui. Le ton de sa voix lui arrache presque un frisson. Et pas un frisson agréable. Elle sait qu'il ne lui laisse pas le choix. Sans doute pense-t-il bien faire en essayant de veiller sur elle.
- Ici ou ailleurs... Ça ira très bien, répond-elle simplement.
Ici, dans ce lieu qui a été la maison d'Azel, mais qu'Absinthe ne connait nullement.