La vérité s'écrit dans le sang [Ed]

Un étrange pressentiment s'empare de Niylah lorsqu'elle arrive dans la jungle. L'atmosphère lui semble étonnement lourde et pesante. Elle continue pourtant de s'avancer, même si elle sait que quelque chose n'est pas normal. Son instinct lui dit clairement de faire demi-tour et elle doit lutter pour poursuivre son chemin. Parce qu'elle sait qu'on a besoin d'elle. Elle le ressent au plus profond d'elle. Prudente, Niylah s'attend à tout. Elle sent déjà l'odeur du sang, ce qui lui arrache un frisson. Elle n'est plus si loin. Elle ne peut plus faire marche arrière. Elle sort alors de la végétation et arrive devant une cascade immense. Son regard se pose sur la silhouette d'un étalon noir qui malmène le corps sans vie d'un animal méconnaissable et cette vision d'horreur suffit à donner un haut-le-cœur à la guérisseuse. Ne devrait-elle pas passer son chemin finalement ?

Le serment qu'elle a fait en devenant guérisseuse l'empêche de s'en aller. Elle ne doit pas fuir les difficultés. Au contraire, elle doit les affronter pour s'endurcir et s'améliorer. Sinon, c'est que le métier de guérisseur n'est pas pour elle. D'un pas lent mais assuré, elle s'avance vers lui. Elle ignore tout de lui et la raison qui l'a poussé à tuer cette biche mais elle ne le prend pas pour un fou pour autant. Parce qu'à vrai dire, elle connait ça. La rage, si intense, qu'elle pousse à s'acharner sur la première chose qui passe. Elle connait cette soif de sang. De faire mal aux autres. Et c'est peut-être ça qui lui fait le plus de mal et la rebute autant.
- Venez avec moi vous débarbouiller, souffle-t-elle d'une voix chaude et apaisante.
Le bassin de la cascade tombe à pic ; ce sera parfait pour nettoyer la robe noire tâchée de sang de l'étalon.

Niylah s'arrête et fait volte-face lorsqu'elle réalise qu'il ne la suit pas. Un frisson court le long de son échine lorsqu'il sous-entend qu'il apprécierait de la voir... Morte. Bien, c'est une remarque des plus charmantes... Mais ce n'est pas assez pour effrayer la magicienne.
- Permettez moi d'en douter, répond-elle avec calme.
Pour la biche, elle ne peut pas grand chose. Et peut-être qu'elle ne peut pas grand chose pour l'étalon non plus. Mais si elle n'essaie pas, elle ne pourra jamais savoir et elle le regrettera.

La guérisseuse se sent impuissante face à l'attitude de l'étalon. Elle ne sait pas comment réagir pour l'aider et ne pas le froisser.
- Je ne veux pas vous sauver. Simplement vous apporter mon aide, répond-elle après un petit temps de silence.
Il semble nerveux et même si elle a quelques remèdes sur elle, Niylah sait qu'il refusera de les prendre. Elle ne s'y risque même pas d'ailleurs.
- Je suis désolée pour votre frère, souffle-t-elle avec sincérité avant de reculer d'un pas pour éviter le coup de dents du mâle.

Certainement. C'est bien le style de Niylah que de s'illusionner au sujet d'un monde fonctionnant dans une parfaite harmonie. Les lèvres de la guérisseuse se pincent. Elle n'apprécie pas ce genre de discours, elle qui pense que tout le monde est défendable.
- Je ne suis pas une mercenaire, ni une renégate. Et tuer un assassin c'est s'abaisser à son niveau, déclare-t-elle d'une voix claire.

Le regard bleu de la guérisseuse s'assombrit légèrement. Elle ne peut pas contrer cet argument car, dans un sens, il a raison. Tuer un assassin, c'est effectivement l'empêcher de pouvoir tuer de nouveau. Mais à quel prix ? Niylah n'est pas vraiment du genre à vouloir nourrir l'éternel cercle de la vengeance.
- Evidemment que non. Mais peut-être qu'on pourrait le soigner... Ose-t-elle souffler.
Parce que tout le monde est guérissable... Absolument tout le monde.

Lorsqu'il s'avance vers elle, Niylah recule de quelques pas. Elle n'aime pas cette proximité, ni la lueur qui danse dans son regard. Elle sait ce qui lui traverse l'esprit. Pourquoi n'est-elle pas partie lorsqu'elle en avait l'occasion ? Parce que ça ne lui ressemble pas, de fuir. Et dire que ce matin, elle s'était sentie assez en sécurité pour enfin délaisser la fiole de poison qu'elle gardait normalement sur elle à chacune de ses sorties. A cet instant précis, elle regrette cet excès de confiance.
- Alors la solution c'est de tuer des innocents ? Dans sa voix, un léger soupçon de crainte transparait.
Pourtant, elle est bien plus en colère qu'elle n'est terrifiée.