(tw) (i am alive, i'm just playing dead)

Cette nuit, Niylah n'a pas trouvé le sommeil. Pendant de longues heures, elle a tourné en rond dans la taverne sans savoir que faire de sa nuit. Travailler sur ses remèdes et potions ? Impossible, il faisait bien trop sombre. Travailler ses sorts ? Trop risqué. Rester là à regarder le plafond délabré ? Inimaginable. Alors elle est sortie et la fraîcheur de la nuit lui a arraché un frisson. Sous les rayons argentés de la lune, Niylah a traversé l'orée du bois pour s'aventurer jusqu'à la clairière d'Iris. Le parfum des fleurs lui est monté aux naseaux et l'a transportée dans des souvenirs tendres. Des souvenirs de son enfance. Des souvenirs qu'elle gardait précieusement depuis qu'elle les avait retrouvés.
Afin de rendre cette petite sortie utile, Niylah en a profité pour cueillir quelques fleurs qui pourraient lui être utiles. Perdue dans son activité, elle se reconnecte à la réalité uniquement lorsqu'elle remarque que le ciel commence à changer de couleur ; il s'éclaircit. Le jour se lève enfin. Elle va donc pouvoir retourner à la taverne pour travailler sur ses remèdes. D'un geste rapide, elle attrape les quelques plantes qu'elle a trouvé durant la nuit et s'élance vers l'orée du bois. Elle est à mi-chemin lorsqu'elle entend un hennissement rauque et après s'être brusquement arrêtée, elle bondit au trot pour rejoindre au plus vite sa cabane -mais aussi la personne qui vient de lancer cet SOS. Parce que Niylah le pressent ; cet appel n'a rien d'anodin. Et lorsqu'elle arrive enfin devant la taverne, elle se fige et son échine se hérisse sans qu'elle puisse se contrôler.
- Faucon... ?? S'étonne-t-elle en laissant tomber ses plantes au sol.

Les muscles de Niylah se contractent alors que les battements de son cœur accélèrent progressivement jusqu'à atteindre une cadence folle. Elle sait pourquoi elle se sent si nerveuse en sa compagnie. C'est parce qu'elle se souvient, désormais. De tout, dans son moindre détail. Une série de frisson glisse le long de sa colonne vertébrale alors qu'un picotement désagréable lui brûle la nuque. Elle aurait presque esquissé un pas en arrière, si son corps ne refusait pas de lui répondre. Son murmure glisse jusqu'à elle, brisant son état de stupeur. Là, elle chasse ses vieux souvenirs, enchaîne les vieux démons qui règnent dans son esprit et se concentre pleinement sur Faucon. Elle s'approche, d'un pas mesuré, et cale son flanc contre le sien. Une décharge électrise son corps et elle doit prendre sur elle pour faire comme si de rien n'était.
- Appuies toi contre moi... Je t'emmène dans la taverne. Ce sera plus facile pour te soigner, souffle-t-elle à voix basse, comme si elle avait peur de le sortir de sa léthargie.
Prudemment, elle le guide jusqu'à la taverne. Elle l'aide à se coucher pour ne pas prendre le risque de le voir s'écrouler puis se hâte d'aller chercher une fiole d'anti-douleur. A ce stade là, les plantes seront bien moins utiles que ses potions.
- Avale ça, lui souffle-t-elle.
Une fois l'anti-douleur avalé, elle pourra enfin agir. Car la plaie est profonde et malheureusement, il faudra bien plus que de simples plantes pour la réparer. Et même s'il connait son petit secret... Elle sera plus à l'aise s'il n'est que semi-conscient durant l'intervention.

Niylah ne le quitte pas du regard. Elle le voit tiquer lorsqu'elle lui propose la fiole d'anti-douleur. Il fait mine de la sentir et les lèvres de la guérisseuse se pincent légèrement. L'espace d'un instant, il a douté d'elle mais Niylah ne lui en tient pas rigueur. Sa réaction est parfaitement normale et à vrai dire, c'est plutôt le comportement inverse qui l'aurait dérangée. Il ne connait rien d'elle après tout. Enfin... Presque. Et peut-être que l'idée de l'empoisonner lui a traversé l'esprit, c'est vrai. Mais, là aussi, c'était simplement l'instinct qui parlait. Parce qu'à ses côtés, elle se sent en danger. Malgré elle et malgré tout l'amour qu'elle lui a toujours porté. Il l'avait trahie.
Elle l'aide à avaler le contenu de la fiole lorsqu'il semble enfin décidé et se détourne un instant pour poser la fiole et reprendre ses esprits. Elle s'est clairement surestimée ; elle ne pensait pas qu'il serait si dur de le côtoyer de nouveau. Délicatement, elle vient glisser ses naseaux le long de son chanfrein pour s'assurer qu'il n'est pas trop réactif. Une once de soulagement l'étreint lorsqu'elle réalise qu'il s'est apaisé. Elle peut donc commencer. Son améthyste se met à briller. Première étape ; nettoyer les plaies. Minutieusement, Niylah retire une par une les échardes qui se sont logées dans la chaire meurtrie de Faucon. Elle rince ensuite la plaie avec un peu d'eau claire et commence à appliquer un cataplasme à base de miel et de fleurs d'arnica tout en prononçant quelques mots dans sa langue maternelle - enfin, dans la langue maternelle de Niylah. Le travail est assez long et minutieux mais c'est surtout le temps qui soignera cette blessure. Une fois la plaie recouverte dans son intégralité, Niylah se recule et se poste dans un coin de l'atelier pour surveiller l'étalon. Il devrait reprendre ses esprits dans peu de temps. C'est une question de minutes. Et pendant qu'il émerge, l'améthyste de la guérisseuse faiblit jusqu'à cesser de briller. Ce soin lui a prit énormément d'énergie.
- Ne te relèves pas tout de suite, le prévient-elle.

Son regard ne l'a pas quitté. Elle l'observe en silence, contemplant les traits de son visage alors qu'il commence tout juste à revenir à lui. Le réveil est visiblement difficile, ce qui fait tiquer la magicienne. Il est très rare que ses patients aient autant de difficultés à sortir de l'état second dans lequel elle les plonge lorsque les interventions sont trop complexes pour être exécutées sur un patient alerte. Niylah est curieuse ; il semble être parti dans une seconde dimension. D'un pas lent, elle s'approche de lui pour pouvoir observer son œil. Celui qui, autrefois, était valide.
- On dirait un début de cataracte, en effet.
Ce qui est étrange d'ailleurs, vu l'âge de Faucon. Normalement ce genre de maladie n'apparaît qu'à un certain âge.
- Malheureusement si c'est bien ça, tu vas devenir aveugle. J'ignore en combien de temps par contre, lui avoue-t-elle en effleurant avec tendresse sa joue du bout de ses naseaux.
Une question lui brûle les lèvres. Est-ce qu'elle s'y risque ?
- Qu'est-ce qu'il t'es arrivé Faucon... ? Pourquoi es-tu dans cet état ?

Les lèvres de Niylah se pincent en un sourire désolé. Elle aimerait être en mesure de l'aider mais ce n'est pas le cas. Elle est malgré tout rassurée de le voir si bien accepter la nouvelle. Bien que dans le fond, elle n'en doutait pas réellement. Faucon est né borgne. Il a toujours vécu avec un seul œil, sa vision est déjà altérée. Il saura rebondir, elle le sait. Même aveugle, il saura se débrouiller. Elle n'a aucune crainte pour lui. Seulement un peu de peine. Il y a tant de belles choses sur terre. Des choses qu'il ne pourra plus voir.
- Tu verras autrement. C'est peut-être un don du destin, plutôt qu'une punition.
Il y a tellement d'autres sens à exploiter que Niylah n'est même pas certaine que la cécité puisse être un fardeau. Elle rend simplement la vie moins douce. Moins poétique peut-être. Niylah n'aurait pas aimé vivre dans un monde fait d'obscurité.
- Je suis désolée, finit-elle par souffler.
Elle ignore de quelle personne il parle mais elle devine qu'elle était très importante pour lui. Elle le voit dans ses yeux et le ressent au travers de sa douleur qui est presque sienne.
- Je peux te donner de quoi dormir, si tu veux. Pour que la douleur soit plus supportable.
Et elle ne parle pas seulement de la douleur physique.

Le regard qu'elle pose sur lui est infiniment doux. Elle ne saurait le détester. Il a été tellement important pour elle... Et on n'efface pas une relation si particulière d'un simple claquement de doigts.
- C'est comme tu veux.
Elle ne le forcera pas. Parce qu'elle comprend où il veut en venir. Pourtant, elle n'aime pas l'idée qu'il se rende coupable ainsi. Hélas, elle n'y peut rien. Il faut simplement qu'il fasse son deuil et hormis essayer de l'accompagner du mieux qu'elle le peut dans cette difficile expérience, elle ne peut pas faire grand chose. Malgré elle.
Lorsqu'il tente de se relever, elle vient caler son épaule contre la sienne en faisant attention à ne pas s'appuyer sur sa blessure. Malgré sa petite taille, sa carrure l'aide à être assez puissante pour le soutenir sans peine.
- Doucement, lui rappelle-t-elle avec fermeté.
Même si elle l'aime beaucoup, elle n'a pas envie de passer la journée à le rafistoler. Son regard glisse sur lui lorsqu'il lui confie qu'elle a été la première personne à laquelle il a pensé demander de l'aide. Une lueur insaisissable glisse dans ses iris furtivement et elle manque d'avaler sa salive de travers. Si seulement il savait... Il ne tiendrait sans doute pas le même discours. D'ailleurs... Ne joue-t-elle pas avec le feu en s'obstinant à rester à ses côtés ?
- Je serai toujours là. Chaque fois que tu auras besoin de moi... Il te suffiras de venir ici.
Niylah répondra toujours à l'appel de Faucon. Qu'importe les événements et qu'importe ses sentiments.

Quelque part, elle s'en veut un peu de lui cacher la vérité. Ce n'est pas tellement son genre d'entretenir le mystère, mais cette fois ci, elle s'y sent contrainte. Parce qu'elle ignore de quelle façon il pourrait réagir à cette nouvelle. Il pourrait très bien le prendre... Comme il pourrait très mal le prendre et bon, pour tout avouer, Niylah n'a pas spécialement envie d'être prise en chasse par Faucon. Un frisson lui glisse tout le long de la colonne vertébrale rien que d'y penser. Non, vraiment. Une mort, ça lui a suffit.
Niylah laisse un sourire amusé s'installer sur ses lèvres lorsqu'il déclare avoir besoin d'un bain. Ce n'est pas faux ; il est bien sale. Et puis ça fera du bien à ses plaies.
- Je crois aussi, répond-elle en riant doucement.
Dans ses souvenirs, il y a un lac pas très loin d'ici. Marcher lui fera du bien aussi, à condition qu'il y aille doucement. S'il force, il risque de se faire du mal. Elle pourrait peut-être le mener jusqu'au lac. Histoire de s'assurer qu'il ne fasse pas de bêtises ¬¬ Mais finalement, c'est lui qui le lui propose et Niylah ne peut réfréner un frisson. La demande n'a rien d'extravagant, certes, mais c'est plutôt la façon dont il l'a demandé qui a déstabilisé la guérisseuse. Peut-être parce qu'au fond, elle ressent encore quelque chose pour lui. Elle même n'est pas certaine de ce qu'elle ressent.
- Bien-sûr, lui répond-elle en plongeant elle aussi ses iris dans les siens.
Niylah ne saurait dire ce qu'elle voit dans les iris abîmés de Faucon mais elle a toujours aimé son regard. Il ne l'a jamais dérangée. Jamais.
- Appuies-toi contre moi. Ce sera plus prudent vu que ton corps semble encore réagir au calmant que je t'ai donné.
Et il sera plus facile pour elle de caler son allure à la sienne surtout.