new world

Un bâillement, puis des petits yeux qui clignent plusieurs fois des paupières, encore un peu lourdes. Une nouvelle fois la pénombre, son regard scrute l'endroit sombre où elle se trouve. Cela ne la dépayse pas vraiment. Elle n'a pas conscience que la lumière existe, elle n'a connu que le froid et le noir. Ses petits naseaux se dilatent, elle tente de repérer l'odeur de son père, mais elle se mêle à tout un tas d'autres, bien qu'elle soit visiblement seule. Immobile, elle reste couchée à sa place, en tentant de discerner quelque chose. Elle reste silencieuse, jusqu'à ce que son ventre trahisse sa présence, gargouillant férocement. La pouliche bascule ses oreilles en arrière et ramène son visage vers le sol, pour se camoufler. Son jeune petit corps déjà bien éprouvé se met à trembler de froid. Mais pourtant, elle reste toujours silencieuse, n'appelle pas à l'aide, ne demande pas si quelqu'un est là. Elle attend, patiemment, affamée et frigorifiée.

La petite pie entend du bruit sur sa gauche, elle tourne le regard dans cette direction et pivote l'une de ses oreilles dans le même axe, sans pour autant ni relever l'encolure et encore moins le visage. Une forme se distingue dans la pénombre, et elle gagne en netteté à mesure qu'elle approche. Cela semble être une enfant, comme elle, et elle tient quelque chose d'étrange dans sa bouche. Ses naseaux frémissent. Elle ne sait pas ce que c'est mais cela sent bon. La pouliche picotée lui parle, alors doucement, Abysse redresse l'encolure, se détache du sol contre lequel elle se tapissait. Elle écoute sa voix hésitante mais douce, ne comprends pas vraiment tout ce qu'elle dit. Elle dépose le récipient à côté d'elle, et la pie suit chacun de ses mouvements avec intérêt. Lorsqu'elle se recule, lui laissant un peu d'espace, et lui laissant surtout le liquide appétissant à côté d'elle, Aby fait plusieurs allers retours du regard entre le bol et la pouliche, curieuse et interrogatrice. Qu'est ce qu'elle est censée faire ?

La pouliche ne semble pas comprendre sa question silencieuse, elle semble même gênée. Aby aperçoit ses joues légèrement rosirent, ses mots se font troublés et la voilà qui s’emmêle ses grandes jambes dans la précipitation et tombe. La pie ne rit pas, ne se moque pas, se contente de pencher légèrement la tête sur le côté pour essayer de comprendre ce que tout cela signifie. Malgré tout, la picotée lui inspire de la sympathie et elle sent en elle naître un élan qui la pousse à se lever pour s’assurer qu'elle va bien.
La jeune enfant se retrouve face à l'autre pouliche et fronce les sourcils en voyant ses longues jambes emmêlées et pince sa bouche sur le côté, réfléchissant. L’engrenage se fait dans sa tête et doucement elle s’empare de l’un de ses antérieurs et après quelques gestes et instants de réflexions, l'autre pouliche se retrouve de nouveau libre de ses mouvements. Pas peu fière, Abysse laisse un sourire gagner ses lèvres, sourire qu'elle finit par offrir à la tachetée.

Aby perd son sourire à sa question. Comment elle s'appelle ? Elle… Elle ne sait pas. Ou peut être qu'il faut juste qu’elle essaie de se rappeler les instants lugubres de la nuit passée. Même si elle n'avait pas tout compris, elle avait pu ressentir la détresse, la peur, le désespoir, la douleur et la peine. Alors qu'elle venait juste de naître, voilà toutes les choses qui l'avait traversé et qui ne venait même pas d'elle. Son père l'avait amené ici et était reparti presque aussitôt. Je… Je Sais pas. avoue t-elle, un peu honteuse. Et toi ? Mais son ventre empêche la picotee de lui répondre tant il exprime sa faim.

Abysse observe chacun de ses faits et gestes, attentive. Elle va de nouveau chercher le récipient avec le liquide appétissant. Aby fronce un peu les sourcils interloquée. Essaie t-elle de la narguer ? Quand elle le place face à elle, la pie relève un regard interloqué sur elle, ne comprenant toujours pas ce qu'elle doit en faire. Mais la picotée lui dévoile enfin la marche à suivre, ce qui l'a fait légèrement écarquiller les yeux de surprise. Elle laisse échapper un Ooooh ... avant de se pencher avec précaution vers le bol. Abysse hume le parfum appétant du liquide et se passe instinctivement la langue sur les lèvres, puis doucement, elle place sa bouche à la surface du lait. Elle boit d'abord avec une certaine appréhension, celle de l'inconnu, puis quand cela coule sur sa langue et dans sa gorge, elle débride sa retenue et termine le bol en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Elle fait un bruit horrible d'aspiration pour n'en laisser aucune goutte et relève la tête vers l'autre pouliche avec un large sourire satisfait et du lait plein les lèvres.

A la proposition de la picotée, Abysse hoche la tête plus vigoureusement qu'elle ne l'avait envisagé. Elle se pince ensuite les lèvres face à son entrain un peu démesuré. Mais le lait n'avait fait que décupler sa faim. Et toi, tu as un nom ? Lui demande t-elle, presque envieuse. Elle cherche encore dans sa mémoire mais elle ne parvient pas à se rappeler. Tout est encore flou, la nuit dernière avait été … Compliquée. Tu as... Tu as une maman ? demande t-elle, presque dans un murmure.

Abysse absorbe tout ce qu'elle dit avec attention et intérêt, fronce parfois les sourcils quand elle ne comprend pas trop, écarquilles les yeux à d'autres moments. Saturne? Elle enregistre ce nouveau nom. Peut être sait-il comment elle s'appelle ? Peut être que Papa lui a dit à lui ? La petite pie la suit sans broncher, plaçant en elle une confiance aveugle et absolue. Ses dernières paroles lui font légèrement ralentir le pas, la font réfléchir. Peut être a t-elle raison après tout, elles pourront survivre sans mère, ils font tous parti d'une seule et même famille, qu'importe le sang. Le sang. Elle revoit les images de la nuit passée et un frisson incontrôlé la secoue. Abysse s'empresse de la rattraper en quelques foulées de trot, perdue dans ses pensées elle s'était légèrement laissée distancer. On est sœur, alors ? S'enquit-elle en tournant un visage souriant vers elle. Une délicieuse odeur vient chatouiller ses naseaux, qui frémissent. Elles ne devaient plus être loin de ce que Nébuleuse appelait les cuisines.