Ton coeur brûle en secret //F//

- FOUDRE - Plusieurs semaines sont passées depuis la triste nuit où son amie avait perdu la vie. Depuis ce jour, ces envies d'évasion c'étaient écroulés comme un château de cartes. Elle avait perdu la foi. Les jours s'écoulaient et se ressemblaient tous. Adossée à une barrière au fond du pré, la jument noire croquait quelques touffes d'herbes, non pas par envie, mais juste le minimum pour survivre. Elle avait promis à Faucon et Hirondelle de tenir le coup pour eux. Son esprit est ailleurs, assaillit par un millier de questions : La petite avait-elle survécu ? Faucon viendrait-il un jour les libérer ? Comment Hirondelle allait-elle se relever après ce traumatisme ? Trop de questions, et si peu de réponses.

ABYSSE

Ce fut long et laborieux mais enfin, la petite pouliche se tient dans les buissons qui font face à ces étranges édifices bipèdes. Son père lui a formellement interdit de se rendre ici, mais c'était plus fort qu'elle, c'était comme si une part d'elle était ici et qu'elle devait la rejoindre. Ces odeurs, elle l'obsède depuis le jour de sa naissance. Elle devait les trouver, plus qu'un besoin, c'était un devoir.
Son cœur palpite dans sa poitrine, pour une fois, elle peine à contrôler ses émotions. Aby dilate ses petits naseaux et s'imprègne des différentes odeurs qui rodent ici. Elles sont nombreuses, fortes, prenantes. Cela lui donne un peu mal à la tête. Mais la pouliche s'efforce de faire le tri, de chercher, d'approfondir. Et timidement, une des odeurs qu'elle traque vient caresser son odorat. Elle se jetterait presque en dehors de sa cachette de manière irréfléchie mais elle se contient, difficilement, mais se contient. C'est dangereux, elle en a conscience, elle doit être prudente. Elle ne veut ni ne plus revoir son père, ni ne plus pouvoir revenir ici revoir … Elle le découvrirait bientôt, de qui il s'agit.

De part sa petite taille, elle avance vers la barrière de bois qui l'empêchera bientôt de progresser d'avantage. Mais c'est de là que l'odeur vient. Ses deux petites billes noires arpentent l'espace clos devant elle, sans oser passer sa tête entre les planches de bois. Son regard s'arrête sur une silhouette tout aussi noire que ses yeux, qui semble manger mais sans aucun entrain. Doucement, Abysse hennit pour qu'elle puisse l'entendre, mais pas trop fort pour ne pas atirer l'attention.

- FOUDRE - La jument à l'esprit ailleurs, complètement perdue dans ses pensées. Elle erre sans être là, ses naseaux fouillent l'herbe sans même chercher les touffes les plus alléchantes. La noiraude est complètement hermétique au monde extérieur. Elle s'enfonce dans son cafard, toujours un peu plus noir chaque jour. Cependant, ses œillères s'enlèvent de temps à autre, lorsqu'elle hume le parfum d'Hirondelle porté par le vent, ou bien lorsqu'elle entend le bruit du loquet du pré se déverrouiller. Ce jour, c'est un parfum boisé qui s'immisce dans ses naseaux. Une senteur qu'elle connait bien, celle de l'humus de la forêt étoilée. La jument renâcle. Cela fait longtemps qu'elle n'a pas senti ce parfum, cela signifiait qu'un nouveau Nayati c'était fait capturé. Encore un. Foudre soupire et se remet à brouter, elle se ré-enferme dans sa bulle de noirceur sans même chercher à connaitre l'identité du nouveau venu. Puis un hennissement retentit, discret, léger. Celui d'un poulain. Ou plutôt d'une pouliche. Foudre réouvre les yeux pour sonder les prés du regard. Se pourrait-il que le nouveau prisonnier soit Libellule ? Ses iris noirs s'arrêtent sur une silhouette chocolat qui se trouve proche de la barrière, du coté des terres libres. Foudre redresse l'encolure et dilate ses naseaux à leur maximum. Elle ne connait pas ce poulain, et pourtant elle reconnait son parfum. Comment est-ce possible ? Cette vision est-elle réelle ? Ou bien son esprit commençait à chavirer à cause de la captivité ? Prudente, elle reste immobile et l'observe de loin. De peur que cette vision ne disparaisse lorsqu'elle s'approchera.

Elle est trop loin pour qu'elle en soit certaine, mais son être tout entier la pousse à la rejoindre. Et jusque là, son instinct ne lui avait jamais fait faux bonds. Abysse essaie de se rappeler cette lugubre nuit, essaie de se rappeler les visages. Mais rien ne vient. Elle ne se souvient même pas de la robe de sa mère. Seules les odeurs l'ont marqué, ce soir là. D'abord le sang. Puis la peur et le désespoir, car oui, ils avaient une odeur. Ensuite le parfum de celle qui l'a mis au monde, sa … Soeur, si elle a bien compris ce que Papa lui avait dit. Le parfum de Maman, morte. Puis le parfum de celle qui l'avait soulevé et donné à son père, de celle qui lui avait offert la liberté.
Pourquoi ne vient-elle pas ? Abysse a besoin de la voir de plus près, de s'enivrer de son parfum, de la toucher. Inconsciemment, peut être a t-elle besoin de la tendresse que son père ne lui offre pas et qu'elle s'est imaginée que l'une des deux juments présentent ce soir là lui donneraient peut être. Elle hennit alors un peu plus fort, et se laisse submerger par des émotions refoulées depuis sa naissance. Aby laisse le barrage de contrôle s'effondrer et le désespoir prend le pas sur le reste. Tant bien que mal, elle essaie de pénétrer la pâture, passe un de ses antérieur à l'intérieur en plus de son encolure et commence à se débattre pour y passer le deuxième, quitte à se faire mal.

- FOUDRE - La jument est comme pétrifiée. Elle observe la petite pouliche qui l'appelle. S'adresse-t-elle vraiment à moi ? s'interroge t elle intérieurement. La noiraude s'approche de quelques pas, tout en gardant une distance de sécurité. Les hennissements plaintifs de la pouliche s'intensifient, et finissent par sortir Foudre de sa léthargie. Elle jette un coup d'oeil en arrière, heureusement il n'y a aucun homme à l'horizon. Elle s'avance, et plus elle se rapproche, plus le parfum juvénile s'immisce dans ses naseaux et lui serre la gorge. Cette odeur, comment l'oublier. Malgré la puanteur du sang et de la mort, elle avait retenu ce parfum. L'odeur de la vie. Elle hâte le pas en voyant la petite se démener pour tenter de passer à travers la clôture. En arrivant à sa hauteur, son regard reste figé dans les iris clairs de la petite. " A...Abysse ? " murmure t elle sans trop y croire en approchant ses naseaux du corps de la pouliche sans oser la toucher.

Elle se démène, se débat, s'acharne tant qu'elle ne voit même pas que la jument noire s'est approchée. Sa chair finit par être blessée, entaillée, sanguinolente, et elle n'exprime aucune douleur. La seule douleur qu'elle ressent c'est celle d'être loin d'elle. Ne parvenant pas à rentrer dans la pature, elle relève ses yeux noirs sur la jument, qu'elle est surprise de constater être soudain proche, très proche. Aby cesse de gesticuler dans tout les sens lorsqu'elle se rend compte de sa proximité, elle ne peut s'empêcher de la regarder, de se perdre dans son regard sans craindre de s'y noyer. Une larme lui échappe lorsqu'elle prononce son nom. C'est bien elle. Celle qu'elle cherche depuis des semaines. Et elle ne l'a pas oublié. Co..Comment tu t'appelles ? Demande t-elle dans un hoquet de pleurs. Aby la voit hésitante à la toucher, mais elle, elle tend son encolure à son maximum pour que ses naseaux entrent en contact avec les siens, pour qu'enfin, elle se sente un peu plus complète.

- FOUDRE - La noiraude met plusieurs secondes avant de répondre. Elle se perd dans les pupilles sombres de la petite pouliche. Intérieurement, elle revoit le nuit cauchemardesque où Boréale à succombé en tentant de mettre au monde son petit. Cette tragédie restera gravé dans son esprit pour l'éternité. " Taim.. Foudre. Je m'appelle Foudre ! " corrige t elle. A force d'être appelé ainsi, la noiraude en oubliait presque son propre nom. Oublier son nom c'est le début de la folie ? Non ? La jument s'ébroue légèrement pour reprendre contenance et touche la pouliche avec prudence pour initier le contact. Sa peau est chaude, douce, duveteuse. La jument arrondie ses naseaux pour s'approprier son parfum. Elle sent le parfum Nayati, mais aussi l'odeur sucrée du lait. Foudre se demande d'ailleurs comment Faucon à réussi à s'en procurer. D'un geste doux, elle pousse Abysse pour l'inciter à repasser de l'autre coté de la barrière. Elle ne veut pas qu'elle se blesse davantage.

Foudre. Elle trouve cela à la fois beau, effrayant et fascinant. Cela lui fait penser à cette nuit d'orage qu'elle a passé éveillé à contempler le ciel se faire pourfendre d'éclairs, jusqu'à ce qu'à un moment, la foudre frappe violemment la terre non loin de la tanière. Cela avait fait trembler tout son petit corps mais elle s'était blottie contre un Océan endormi et imperturbable et cela avait été mieux. Et elle avait continué à observer ce spectacle grandiose. Seule.

Le contact se crée, diffuse une chaleur réconfortante dans l'ensemble de son corps, de son être. Cela ne se faufile pas dans les moindres recoins, restent encore quelques zones froides et sombres, mais c'est malgré tout satisfaisant, apaisant, réconfortant. Abysse se laisse faire comme une poupée de chiffon et retourne docilement de l'autre côté de la barrière, sans réellement se rendre compte que Foudre venait de la repousser. Et lorsque cela la frappe, qu'elle éloigne son visage du sien, que la barrière les sépare encore plus que quelques instants auparavant, la chaleur s'échappe et le froid reprend ses droits, ses marques, lui arrachant un frisson devenu familier. Toi aussi tu veux pas rester avec moi ? demande t-elle, déçue et blessée, son regard glissant au sol d'un air penaud.

- FOUDRE - La jument est fascinée par les taches sur la robe de la pouliche. Les mêmes que sa mère mais un ton plus sombre, plus comme son père Faucon. La jument est si captivée qu'elle ne décèle que trop tard l'air triste de la pouliche. " J'aimerais bien. Mais je suis enfermée.. " explique t elle en désignant les barreaux de bois du bout du nez. Elle passe son encolure à travers la barrière pour illustrer ses dires mais le passage est trop étroit, ses épaules se bloquent instantanément. Elle se recule ensuite et tend à nouveau ses naseaux par dessus la barrière pou effleurer ses flancs duveteux. Elle laisse glisser ses naseaux sur la courbe gracile de ses hanches. " C'est ta soeur qui t'a donné la vie. Moi je t'ai aidé à gagner ta liberté. Un jour, nous renterons tous ensemble sur l'ile, je te le promets. "

Abysse laisse son regard humide glisser sur la barrière qui les sépare et reste un instant fixée dessus. Elle observe le corps trop massif de Foudre tenter de passer au travers. Mais si elle ne pouvait pas venir à elle, Aby elle, elle le pouvait, non ? Mais... Mais moi je peux venir avec toi. Réplique t-il d'une voix un peu rauque des pleurs qu'elle retient, relevant lentement ses yeux noirs vers elle. La petite pie est un peu penaude malgré tout, de se montrer insistante. Ses yeux se ferment au contact de ses naseaux sur la courbe de son dos, savourant la délicieuse caresse. Son père ne lui en faisait jamais, c'était pourtant si agréable. Elle rouvre les yeux à ses mots, sans les déposer dans les siens, pas dans un premier temps. Elle finit néanmoins par le faire, de ce regard de biche qu'elle avait dérobé à sa mère sans le savoir. Je veux pas rentrer sans toi et ma soeur...

- FOUDRE - La noiraude souffle doucement des naseaux pour faire virevolter le toupet de la pouliche. Elle esquisse même un sourire attendri, ce qui est plutôt rare chez elle. L'hostile animal . Elle ne peut le nier, sa famille de coeur lui manque, l'île lui manque. Son foyer lui manque. " Ce n'est pas une bonne idée. " Elle fronce les sourcils mais prends la peine de lui expliquer avec pédagogie. " Ton père va être inquiet si tu ne rentres pas. Il pourrait se mettre en danger en essayant de te retrouver. Il est aveugle tu sais.. " Foudre avait appris cette information lorsque Faucon l'avait rejoint à la rivière quelques jours plus tôt. Et même si la noiraude croyait en les capacités d'adaptation du rapace, elle trouvait que le prétexte était idéal pour dissuader la pouliche. " Mon intuition me dit que nous nous retrouverons bientôt. rajoute t elle cependant d'une voix encourageante. Derrière elle, les indiens entrent dans le pré pour commencer à rattraper les chevaux afin de les emmener au débourrage. " Tu dois partir, vites ! " s'exclame t elle d'une voix pressante en jetant des coups d'œils inquiets derrière elle.

Aby n'insiste pas d'avantage, laisse juste un air de tristesse et de déception prendre possession de son visage tandis que son regard de jais glisse vers le sol, penaude. Elle ne la contredit pas non plus quand elle affirme que son père sera inquiet, même si ce n'est pas le mot inquiétude qu'elle aurait placé sur les sentiments de son père la concernant. Elle reste muette et se contente d'hocher docilement la tête, lentement. Elle ne relève les yeux vers Foudre que lorsqu'elle lui confie qu'elle a le sensation qu'elles se reverront bientôt, ce qui ravive une petite flamme en elle, faible, mais vivante. Abysse vient blottir son visage contre le sien lorsqu'elle lui intime de partir, les bipèdes arrivant, elle l'embrasse de manière fugace sur la joue et disparaît dans les buissons.

OUT