Destiny ▬ A

Le parfum des fleurs fait frémir les naseaux d'Absinthe. Rien que pour cette raison, elle adore la clairière d'Iris. Pour son calme, sa beauté mais surtout pour le parfum floral qui y règne du matin au soir, quelque soit le jour de l'année. Après avoir longuement contemplé le coucher de soleil qui s'offre à elle, la dorée ferme les yeux. Elle savoure la caresse des derniers rayons de soleil sur sa peau si sensible, qui frissonne au contact de la légère brise qui se lève.

Pourquoi pas toi ? Ces trois petits mots résonnent dans ses pensées et son cœur se serre douloureusement. Peut-être a-t-elle simplement l'habitude de ne pas être celle qu'on choisit. Ou du moins pas en premier choix. D'être la laissée-pour-compte. Absinthe se mord légèrement la lèvre pour contenir sa tristesse et sa frustration. Et pour le coup, elle trouve un avantage au fait qu'il ne puisse plus la voir. Un frisson glisse le long de son échine lorsque ses naseaux touchent les siens. Un picotement naît dans ses reins, parce qu'il ne la laisse pas indifférente. Il ne l'a jamais laissée indifférente et en cette période tout ce qu'elle ressent se trouve exacerbé. Et il y a aussi son envie de maternité qui refait brusquement surface. Pendant une fraction de seconde, elle pense à Faucon. Au potentiel génétique qui est sien et à la confiance quasi absolue qu'elle lui porte. Existe-t-il meilleur choix que lui, sachant qu'avec Mahem ça avait lamentablement échoué ? Elle ne se voyait pas retourner dans les bras de Mahem, dans tous les cas. Alors est-ce qu'elle devait renoncer à son projet ? Au rêve de fonder sa famille ? Même si, dans un sens, c'était déjà en cours, puisqu'Aulia était gestante. Alors oui, leur projet prenait forme. Mais qu'en était-il du désir d'Absinthe ? Un léger soupir lui échappe. Elle ne peut pas faire ça avec Faucon. Car même si elle gardait précieusement ce secret... Que dirait-elle à Aulia ?
- Ne sois pas désolé. Tu n'as fait que me dire la vérité. Peu importe la manière dont tu me l'aurais dit, j'aurai eu mal.
Simple constatation, bien que sa voix soit étrangement froide. C'est qu'elle lutte contre les pensées qui la torturent. Contre cette envie, omniprésente, qui aimerait s'imposer. Qui aimerait prendre le contrôle pour décoincer un peu la jolie blonde.
- J'ai toujours mal Faucon. Mais je ne veux plus vivre dans le passé. Non... J'aimerai... Elle s'interrompt pour s'éloigner légèrement de lui.
Sa queue se panache légèrement alors qu'elle se met en marche pour décrire un cercle autour de l'étalon bai.
- ... Vivre dans le présent, susurre-t-elle à son oreille, la peau piquée de frissons plus ou moins visibles.
Elle ne lui laisse même pas le temps de répondre que ses naseaux parcourent déjà son corps. L'esprit totalement embrumé, elle ne sait même plus où elle se trouve. A vrai dire, autour d'eux, le paysage s'est radicalement transformé. L'herbe jaunie de la vallée est désormais banquise et le ciel étoilé est maintenant parcouru d'aurores boréales. Même la robe de Faucon s'est transformée. Elle est désormais grise et parcourue de pommelures au gris plus sombre. Le pas léger, elle revient vers son avant-main, plonge ses naseaux dans sa crinière et ferme les yeux en murmurant dans un soupir enchanté le nom de son ancien amant. Draggan.

Son parfum l'enivre un peu plus à chaque nouvelle inspiration qu'elle prend et elle espère secrètement qu'il en soit de même pour lui. Transportée par les subtiles effluves qu'il porte sur sa peau, Absinthe reste plongée dans ses rêveries autant insensées qu'irréelles. Déjà parce qu'elle n'a aucune envie d'en sortir et même si c'était le cas, elle en est tout bonnement incapable. Elle semble bloquée dans ce monde parallèle, celui qu'elle s'est inventé, peut-être pour fuir la triste réalité. Pour adoucir et embellir sa vie, si terne et si sombre. Pour balayer le chagrin et la frustration d'avoir perdu Draggan. Qu'il ait eu tord de dire que leur histoire ne connaîtrait jamais de fin.
Fermement accrochée au souvenir de son beau gris, de son ami d'enfance, Absinthe ne fait pas vraiment attention aux réactions de Faucon. Elle est comme dans un état second, guidée par son instinct et ses sentiments. Ses vieux sentiments. Ceux qu'elle ressentait il y a bien longtemps et qu'elle avait enfouie au plus profond d'elle il y a maintenant plusieurs années de ça. Le désir l'enflamme subitement lorsqu'il presse avec fermeté son poitrail contre le sien. Oui, Absinthe..., souffle-t-il au creux de son oreille et son regard absent se plonge dans le sien, mort. Les baisers qui parcourent son encolure la réchauffe et l'enivre. Un fin sourire glisse sur ses lèvres alors qu'un léger soupir lui échappe. Ses souvenirs virevoltent dans ses pensées et ça lui fait du bien.
- Un bébé. Je veux un bébé... Murmure-t-elle, comme si elle était incapable de se l'avouer à elle-même.
Son chanfrein se presse un peu plus fortement contre le sien. La cadence de son cœur s'est nettement accélérée et, lentement, un bref éclat de lucidité lui revient.
- Fais-moi ce cadeau Faucon. Offre-moi cet enfant, déclare-t-elle finalement.
Et cette fois ci, c'est clairement lui qu'elle voit. C'est à lui qu'elle fait cette demande qui semble si insensée, si prohibée. Lui et personne d'autre. Et qu'importe ce que pourront en dire les autres, si jamais un jour ce secret vient à être révélé.

Sa mémoire est ébréchée, tout comme son cœur. Il y a certaines failles qui ne se refermeront jamais, malgré le temps qui s'est écoulé depuis et l'amour que lui porte aujourd'hui Aulia. Le cœur de la palomino renfermera à jamais toutes ces petites épines qui, chacune, représente une déception.
Dans ses brefs retours à la réalité, elle se dit qu'elle ne devrait pas franchir cette limite. Elle ne devrait pas lui demander une telle chose. Parce qu'elle sait qu'au-delà d'Azel, d'autres personnes s'indigneraient de leur union. Narval, par exemple. Mais pourquoi s'en soucierait-elle ? Il la déteste déjà. Et depuis leur dernière rencontre, elle n'attend plus rien de lui. Elle sait qu'il ne se comportera jamais comme un frère pour elle. Il ne l'aimera jamais. Alors, son avis ne compte pas. Déjà qu'elle avait ignoré celui d'Azel qui était pourtant sa propre fille...
L'attente est longue. Absinthe se sent fébrile et nerveuse. Pourquoi d'ailleurs ? Des potentiels géniteurs pour son futur enfant, ce n'est pas ce qui manque ici, n'est-ce pas ? Alors pourquoi s'inquiète-t-elle autant ? Pourquoi désire-t-elle aussi ardemment un oui de la part de Faucon ? Pourquoi est-ce qu'elle ne voit plus que lui pour satisfaire sa requête ? Comme si ça pouvait l'aider à le convaincre, elle fait en sorte de lui faire parvenir les effluves de ses chaleurs. Ce n'est pas vraiment de la triche. La nature l'a dotée de phéromones faites pour séduire et exciter les mâles, c'est bien pour une raison précise, non ? Toujours dans l'attente de sa réponse, elle détache légèrement son chanfrein du sien et se laisse surprendre par le geste de Faucon qui lui dérobe un baiser enflammé. Le feu au corps, Absinthe peine à résister au violent désir qui s'anime en elle et lui donne la furieuse envie de fusionner avec lui, là, maintenant, tout de suite. Sa réponse tombe finalement et Absinthe est presque surprise. Elle s'attendait à toutes les possibilités, notamment à ce qu'il refuse sa demande, mais ce n'est pas le cas. Une lueur vive fait briller ses iris bleus.
- Oui. Avec Aulia, avoue-t-elle sans prendre de détours.
A ses yeux, il a le droit de savoir. Car après tout, malgré ce qu'elle en pense et sa volonté, il restera le père de l'enfant. Enfin... Le géniteur. Parce qu'elle sait que Faucon respectera son choix et qu'il sera capable de ne pas entrer dans la vie de l'enfant qui naîtra de leur ultime union.
- Est-ce que l'idée te déranges ? Lui demande-t-elle finalement.
L'idée de ne pas s'impliquer dans la vie de son futur enfant. Car elle sait que ce n'est pas forcément facile, de renoncer à sa paternité. Bien qu'elle sache aussi que ça en arrange plusieurs. Elle avait bien eu la preuve avec Draggan. Car s'il s'était un jour montré paternel envers Azel, ça n'avait pas été devant elle.