Que dire

La tête ailleurs, les pensées euphoriques de la jument baignaient son cerveau, un peu à la manière de la mer qui trempait le sable de son habit humide et cristallin. Elle avait pénétré dans ce lieu depuis quelques minutes déjà, et progressait le long de la berge, les membres rasant l'eau, les yeux rivés sur les substances blanches et graineuses qui envahissaient intégralement ce lieu. Ralàlà, mais à quoi pensait-elle ? Serait-ce si important de vous le notifier, vous ne vous en doutez donc pas.. ? A quoi bon le répéter, vous dis-je. La légère bise du vent qui soufflait dans la crinière de la bai, les oiseaux jouant entre eux à la surface de l'eau, ou se bécotant à l'abris des regards trop curieux. Ou même, encore, les palmiers dont les branches s'entremêlaient avec appétit, les vagues qui chassaient l'horizon encore plus loin qu'à la normale.. Tout ici semblait respirer la joie de vivre. Enfin, tout... à quelques détails près : pas Fay.

En effet, vous avez bien lu, la petite jument d'habitude enthousiaste et emplie d'entrain, ne semblait pas dans un jour de fête. Aspirée par ses pensées, elle ne se remettait toujours pas d'une chose : le départ précipité de l'étalon, profitant de son sommeil pour filer en douce.. Oh, que diable, en quoi celui là importait tant la minette ? Mhhh, si je connaissais la réponse, je n'aurais pas pris la peine de poser si soigneusement la question, vous ne croyez pas ? Elle avait encore tant de choses à découvrir à son sujet et.. il avait fuit, sans crier gare, sûrement le sourire aux lèvres, heureux de son acte, savourant sa victoire à plein naseau.. Pfff, tu parles, oui ! Victoire d'un nigaud, plutôt. En tout cas, si elle le croisait, il n'allait pas s'en sortir comme ça, oh que non, elle allait lui arr.. Glurps, elle frémit de tout son corps. Là-bas, au loin, une silhouette ébène et massive se mouvait entre la mer et le sable, s'affessant quelques fois, puis se relevant, et vice versa. Mais, mais.. Il était donc là ?! Ohhh. Tentée au plus haut point d'hurler son nom, de galoper à ses côtés, Fay se retenut du mieux qu'elle put, souhaitant tout de même lui faire part de son mécontement.. au moins l'espace de quelques minutes - SI elle y parvenait, si.

Toujours lasse, les membres plongés légèrement dans l'eau, Fay observait à présent son reflet. Horrible, grotesque, et.. frêle. Trop frêle. C'était le premier constat qu'elle pouvait faire d'elle-même. Peut-être était-ce pour cela, qu'il l'avait fuit si prestement ? A ces pensées, une once de paroles antérieurement prononcées par ses soins lui revinrent en tête : Peur de m'attacher. Mais, parbleu, pourquoi ? Il avait connu une si misérable histoire que ça ? Cette interrogation lui rongeait l'esprit à la manière du feu sur le bois, et elle s'en rendait complètement paranoïaque. De plus, à présent, elle n'allait plus pouvoir le lui demander.. Eh oui, aléas de la vie, FOUTUS aléas de la vie, oui, CHIASSE. Caaalme, caaalme, zen. On souffle, on expire, on efface, et on recommence.. Recommencer, tu parles ! Maintenant qu'il était rentré dans sa vie, mystérieux ou pas, fuyant ou pas, il allait y rester, et elle n'était pas prête de lui lâcher les baskets !

Cependant, elle conservait toujours un soupçon de rancune à son égard, et n'était peut-être pas prête à lui réadresser la parole si prestement. Subitement, un hénnissement rauque mais étrangement familier coupa cette réflexion, et la petite bai releva la tête : ses yeux dansèrent le long du corps compact de l'étalon, avant de parvenir à sa tête. Aucun doute, tout était inéluctable : il s'approchait d'elle. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'à ce moment là, les sentiments de la femelle étaient si contradictoires, que même le plus fou des savants irait s'en pendre dans la douche. Elle, qui voulait l'éviter, lui faire comprendre son mécontentement.. toutes ces pensées avaient machinalement quitté son esprit. Mais, qui était-il, pour la rendre folle à ce point ? Je vous le demande bien ! Que voulait-il ? Elle lui répondit par un pivotement arrière des oreilles, se stopant carrément, dilatant légèrement les naseaux.. elle tentait de se mettre à niveau, bien que face à lui.. Barbie avait des allures de terminator. Si si, je vous assure : elle était totalement ridicule. Mais bon, on fait avec les moyens du bord.. et elle n'avait pas l'habitude de se montrer si négative & garce.

Jusqu'à sa mort, s'il le fallait ? La supporter, être à ses côtés sans jamais la quitter, et tout le tatoint ? Et puis, qui vous avez parlé d'histoire d'amour, hein.. ? Fay ne savait pas elle même ce qu'elle ressentait, et s'il en était le cas.. elle se freinerait face à de tels sentiments. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle aussi, au fond, avait peur de trop s'attacher, pour perdre sa liberté, ou même - et surtout - souffrir. Car aimer, oui, aimer c'est donner, partager, vivre ensemble, mourir ensemble.. Mais c'est aussi offrir le pouvoir à l'autre de te briser au moindre faux pas qu'il pourrait éxécuter. D'ailleurs, certains disent que l'amour est un combat perdu d'avance, d'autres affirment qu'il s'agit d'une catastrophe magnifique: savoir que l'on fonce dans un mur et accélérer quand même ; courir à sa perte le sourire aux lèvres.. C'est la seule déception programmée, le seul malheur prévisible dont on redemande.. Et Fay, là dedans ? Que ressentait-elle vraiment ? La question restait perchée aux lèvres de tous, incapable d'être tarrie ne serait-ce par un infime fragment de réponse.

En tout cas, elle ne s'était pas préparée à ça*. Les paroles du mâle la transpercèrent, comme un poignard que l'on pouvait vous planter dans le ventre. C'était limite si elle ne gisait pas sur le sol, à peine conciente : limite. Sa première réaction fut un regard noir, bien planté, qu'elle baigna dans les iris tout aussi sombres de Cursed. Les muscles tétanisés, elle eut tout de même un mouvement de recul, sans pour autant quitter ses yeux de jai. « Et, en plus, tu en es fier ? Non mais je rêve. » Lui adressa-t-elle, vexée, un tantinet nerveuse. Dégoûtée, aussi ? Ce fut cependant les seules paroles qu'elle put prononcer, puisque, quelques minutes après, elle manqua de se rétamer face contre terre, bousculée par le mâle, et se rattrapa au dernier moment, les naseaux vombrissant à présent comme une cirène, en alerte.

Mais, que lui arrivait-il, si soudainement ? Il s'était fait piquer par la mouche tsétsé ou quoi ? C'était là la première pensée de Fay, avant d'en établir une plus censée, et logique : il se forçait. Ahah, bien joué le corniaud, mais le métier d'acteur ne lui collait pas encore parfaitement à la peau, et si on s'arrêtait à chaque détail : tout cela se lisait à travers ses traits. Cependant, une seule question restait encore suspendue dans l'esprit de la bai : pourquoi ? Pourquoi faisait-il ça ?.. La blesser ainsi, pour la rendre plus forte, peut-être ? Mais, dans QUEL but ? Quel but, sapristi ? Avait-elle mérité ça, et surtout venant de SA part ? Hein ? Pourquoi le butin était versé qu'à son beurre, et pas celui de Cursed ? C'était injuste. Ignoble. « Incapable de tenir debout, peut-être, mais au moins JE ne fuis pas devant les faits, ce n'est pas moi qui dérobe les obstacles qu'on me tend ! »

Laissa-t-elle échapper, d'une voix sèche, piquante, qui ne lui ressemblait aucunement. Pour tout avouer, ce n'était là en rien de la comédie : c'était simplement la haine accumulée face à toutes ces répliques incongrues. Et puis, d'un autre côté.. elle détestait lui parler ainsi, noire, mesquine, peste. Son coeur en payait les frais. « Le coeur brisé, vraiment ? Ohhh mais quelle blague, parce que tu crois peut-être que tu comptes à mes yeux ? Un lâche comme toi ? Rêve bien fort, mon grand. » cracha-t-elle, venimeuse et arrogante. Il l'avait poussée à bout. Grand, histoire de relever son jeu de mot de la p'tite soeur, oui. Mais autant vous le dire : ce n'était pas DU TOUT ce qu'elle pensait, il comptait bien plus que cela à ses yeux - d'ailleurs, elle ne savait par quel miracle.. pourquoi était-il devenu si important, hein ? - mais ça.. à quoi bon lui dire, alors qu'il la rejettait comme une vulgaire chaussette malpropre ? Elle n'osait même plus le regarder dans les yeux, incapable de lui faire face, et de lui débiter de telles horreurs si sincèrement : ses mensonges lui tendaient un piège, et elle s'enfermait elle-même dedans.

« Alors fuis, dégage, loin d'ici, si ça te chante.. Je ne te retiendrais pas, cette fois. » furent les seuls mots qui lui venaient à l'esprit, à ce moment là.. Dûrs ? Elle le concevait, oui, et le regrettait déjà.. En outre, c'était là la totale déformation de ce qu'elle ressentait vraiment, pour tout vous dire. Cependant, l'atmosphère était si spéciale, si.. tendue qu'elle l'obligeait à dévoiler un côté qu'elle n'avait pas envie de faire ressortir. Mais tant pis, c'était fait, c'était dit, elle n'allait pas faire demi-tour, maintenant qu'elle avait déjà entammé ce chemin. Et puis, c'était lui qui l'avait emmené sur cette voie, elle ne l'avait pas fait de surcroix ! S'il ne s'agissait que d'elle, elle voguerait encore pas loin de la mer, les membres s'y mouvant avec légereté, remuant des pensées de la veille, sans aller plus loin.. et c'était peut-être bien mieux, que la situation actuelle. M'enfiiiin, que voulez-vous ? Quand ça casse, ça casse. Le coeur battant la chamade, prêt à rompre la cage qui le détenait bien enfermé, lui faisait si mal qu'elle devait presque se coucher en vache pour le stopper : ce qu'elle ne fit pas, bien évidemment. La scène était déjà bien trop envenimée comme ça.

Lorsqu'elle eut le malheur de croiser les iris perçants et menaçants du mâle, Fay dû déglutir, presque s'époumonant. Elle, têtue, dites-vous ? Tout à fait, mais c'était sa nature, sa personnalité, et elle ne pouvait ni la changer, ni l'irradier : il fallait faire avec ! A son deuxième flot de paroles balancé, la réaction du mâle fut immédiate : il était déjà là, près d'elle, les muscles collés aux siens. Non, elle n'allait pas craquer, elle ne devait pas.. « .. Certaine ! » S'évertua-t-elle à mentir, pas si mal, il fallait l'avouer.. elle s'étonnait même de la fermeté de son affirmation, c'est vous dire. « Et puis, de toute manière, qu'est-ce que cela changerait ? » Prit-elle la peine d'ajouter, soufflant dans les naseaux de l'étalon en guise de réponse, puis se détachant de lui quelques secondes après, reculant de quelques pas, les organes frémissants, en alerte, les naseaux dilatés, les paupières brûlantes, une énorme boule coincée au fond de la gorge.

Et merde. MERDE MERDE FUCK THE WORLD. L'avait-elle cherché, ce coup là ? Pour tout vous dire, elle ne s'y était pas vraiment préparée. Elle avait envie de courir à ses trousses, lui demander pardon, lui chanter milles et milles louanges, lui avouer qu'elle ne pensait pas tout ce qu'elle avait prononcé et.. à quoi bon, à présent ? Elle avait tout gâché. Et à quel prix, je vous le demande ? Un départ. Peut-être même définitif, tiens, et elle ne l'aurait pas volé. Nigauuuude, nigaude vous dis-je, c'était ce qu'elle demeurait ! No commento sur ce point. Ce temps de réaction fut celui qui précéda l'incompréhension. En effet, il était encore quelques secondes à peine à ses côtés, et venait de filer en douce vers l'autre bout de la plage, fier et dominant, tout ça sans qu'elle ne s'en rendre compte directement (quand je vous dis qu'elle était quiche - au poireau..). Tout ce dont elle avait pressenti, c'était le coup qu'il lui avait adressé, ou du moins le fait de lui avoir tiré les crins, si subitement, précédé des paroles annonçant son départ.

En outre, elle avait remarqué une chose, primordiale : son regard avait changé. Mais non, elle n'était pas folle, ah que non ! Il avait bien changé d'air. Le froid, cruel, noir et perçant avait laissé place au doux et chaud qu'elle avait connu dans les fins de leur première rencontre. Je peux vous dire qu'à ce moment là, abstraction du fait qu'elle avait son coeur décapité en deux, elle souriait, oui, elle s'en ravissait. Il lui avait mis la puce à l'oreille, lui avait laissé un indice sur la table avant de partir : il ne pensait pas réellement ce qu'il disait. Un sourire amère se dessina alors au creux de ses lèvres, et, dans un geste lourd, la petite bai reprit son chemin, marchant dans les traces qu'avait créé Cursed en décampant. A ce train, elle n'allait sûrement pas le rattraper, allez-vous me dire, mais.. ce n'était pas vraiment son attention, sur le fait. En fait, elle pensait surtout au moyen de rattraper la situation.. et avait du fameux pain sur la planche, oui ! Pourtant, elle espérait encore qu'il revienne, qu'il l'attende, qu'il.. oh, et puis, ne dit-on pas "Partir pour mieux revenir, te quitter pour mieux te retrouver" ? Héhé.

Elle avançait, oui, doucement mais sûrement, et atteignait peu à peu son but initial. C'était tout compte fait une pas si mauvaise idée que cela, de marcher dans les traces du mâle. D'ailleurs, à ce propos, c'était un phénomène à écrire dans l'agenda de son existence : qui avait vu, depuis sa naissance, qu'elle éxécutait une action positive et rapide, très efficace ? Hein, dites-moi ? Mwark. Les pupilles rivées dans le sable blanc et graineux dans lequel elle progressait, elle finit par relever la tête - et plus particulièrement les yeux - vers l'horizon, pour y apercevoir.. non, ce n'était pas possible. CURSED ?! Elle cligna maintes fois des yeux avant de s'en certifier, puis accéléra un peu l'allure, inconciemment. Mais qu'allait-elle lui dire ? Je m'excuse, je ne pensais pas ce que je disais, j'étais très blessée tu sais et.. Hanmpf nan, trop niaiseux et feu de l'amour. D'ailleurs, ce n'était pas de l'amour. Non, jamais ; du moins, c'était ce qu'elle s'obstinait à croire. Le temps pressait à présent, et elle se rapprochait de plus en plus intensément du mâle, qui semblait ne pas l'avoir vu. Semblait.

Le regard triste et vide déposé sur l'horizon lointaine et les vagues jouant entre elles, puis.. Oh non, c'était elle, la source de cette mélancolie ? A cette pensée, elle en eu un haut-le-coeur, et déglutit piteusement, la tête baissée, observant ses sabots se croiser, puis se recroiser, engourdis. « J'avais dis que je n'allais pas te suivre, cette fois, certes. » Entamma-t-elle, improvisant un scénario : trop bonne actrice en cas majeur, quoi, héhé avouez ! « Cependant, j'ai fais une autre promesse, bien antérieurement, un certain jour où j'ai rencontré un étalon noir, qui te ressemblait étrangement. Te rappelles-tu ? » Continua-t-elle, malicieuse sur l'évocation de cette journée, fixant un point précis dans la mer, le regard filant. « Ne lui avait-je pas dis, ce jour là " Je te suivrais n'importe où, même s'il faudra m'arracher les naseaux, me pendre à un arbre ou me tirer jusqu'au bout du chemin par les crins. " » Récita-t-elle, se remémorant AU MOT PRES la promesse qu'elle avait élaborée, ses yeux chocolatés & pétillants à présent posés sur ceux charbonniers de Cursed.