le sentiment de déjà-vu.

Sohjo barbotait au bord de l'eau, un sourire éclairant son visage - ses traits étaient la copie sublimée de ceux de Peter, déjà. Ses oreilles fines pivotèrent vers sa gauche, alertes, quand un inconnu se fit entendre à quelques mètres de là. «Bonjour monsieur.» L'odeur était révélatrice. L'enfant ne s'était pas même donné la peine de le chercher du regard, trop occupée à chasser les araignées d'eau - une cruauté imperceptible illuminait son regard bleuté. Au dernier moment elle posa les yeux sur le noir et l'examina sans gêne aucune. «Je m'ennuie un peu, toute seule. Cela ne vous indisposerait-il pas que je vous tienne compagnie ?»

Il était beau. Son petit regard bleuté capta avec attention le roulement de la mécanique musculaire sous la robe noire, le mouvement gracile des crins flagellant l'encolure aux courbes viriles. Sohjo était très sensible à la beauté - morale ou visuelle - et son esprit trop mature désirait la posséder. Invitée par le mâle, la gracieuse petite créature s'approcha de ce dernier. Pas même une marque de timidité ne voilait le feu de son regard. «Sohjo, protectrice de ce qui me sera donné par le destin.» Un petit rictus étrange, certes bien innocent sur son visage en fleur, la fit ressembler davantage à son père. «Je viens d'y penser, votre nom ne m'est pas inconnu.» Masquant son amusement, elle laissa planer le doute.

Sohjo marqua une pause. Elle tentait de lire dans le regard du mâle, et quelque chose lui disait que sa question n'avait pas eu l'effet escompté. Peut-être avait-elle été trop naïve de croire qu'il ne verrait pas la ressemblance - or, elle n'était pas sensé être naïve. Mais, toujours amusée par ce jeu, elle retomba sur ses pattes : Il ne fallait surtout pas dévoiler que son raisonnement avait comporté des failles. «Oui. Mais vous allez l'air de savoir qu'il s'agit de Peter, le serviteur de Kishin.» Déclara-t-elle habilement, comme si elle avait prévu d'avance l'enclenchement des choses - ce qui était faux, puisqu'elle pensait surprendre Hekme. «Désirez-vous de ses nouvelles ?» Acheva-t-elle innocemment.

Alors l'enfant se rapprocha de son interlocuteur et se coucha nonchalamment auprès de lui. «Vous connaissez Peter sous son visage le plus sombre.» Comme prouvé depuis le début de cette conversation, elle savait tout de la vie de son père, et par conséquent, de sa rencontre avec Hekme. Sohjo laissa sa phrase à l'accent tragique planer dans l'air comme une menace - elle pouvait se montrer théâtrale à ses heures. «Mais, de manière très soudaine, il a changé.» Suspens. C'était amusant de voir ce petit personnage, si rationnel à première vue, s'amuser à conter une histoire aussi étrange et avec un tel entrain. «Du jour au lendemain, figurez-vous que mon père est devenu... bon. Amusant n'est-ce pas ?» Un sourire qu'elle voulait naïf étira ses lèvres roses. «A présent, il passe son temps à me parler en bien du monde entier, et à se repentir du viol de sa mère, de sa servitude envers Kishin... Je crois que ce cheval a enfin réussi à trouver sa voie, et, quelle voie !» Cette fois la pouliche se mit à murmurer comme s'il s'agissait d'une confidence. «Il dit s'être libéré et pouvoir s'abandonner à sa vraie nature. Il s'avère qu'intérieurement, il n'est autre qu'une jument. Et, imaginez-vous ! Il est amoureux d'un étalon - dont je ne connais pas le nom, mais je le saurais tôt ou tard, soyez-en sûr.» Satisfaite, Sohjo attendit une réaction de la part du noir, des questions même.

Sohjo sentait cette sorte d'affection qui brillait dans les yeux du grand mâle, et cela lui fit plaisir. Cependant, la question la laissa silencieuse quelques instants. Ce qu'elle en pensait ? Le sujet défiait toute logique, ce qui sortait de ses habitudes. Mais le cygne ne perd jamais ses moyens, du moins, il n'en donne jamais l'air. «J'en pense que Peter est mort, et cela, c'est très bien.» Elle s'éclaircit la gorge. «Si vous le voyiez vous comprendriez. C'est une véritable renaissance.» Puis la pouliche haussa les épaules comme si tout cela n'était rien, au final. «De toute façon, je le sais, il n'a jamais été si doux envers ma personne.» Rien ne pouvait contredire de tels mots. Et malgré toute la froideur de son ton, une note d'émotion avait fait trembler sa voix d'enfant. «Mais vous, qu'en pensez-vous ?» Elle voulait être sûre de posséder tous les paramètres et de ne pas émettre une hypothèse hâtive.