Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui. (Bunmei)

Le mâle parcourt le tunnel souterrain de la Banquise.

Morphée faisait de même, pas très rassurée à l'idée que le tunnel n'ait pas de fin.

Il s'arrête. Son ouïe distingue un bruit. C'est des sabots qui claquent sur le sol, derrière lui. Ses oreilles en arrière, il est prêt à attaquer l'étalon.

Sauf que Morphée était loin d'être un étalon. Silhouette élancée, corps svelte et gracile, elle avait prit en beauté depuis quelques semaines. Peut-être parce qu'elle grandissait un peu plus, qu'elle s'approchait davantage de l'âge adulte. Mentalement, il fallait l'avouer, elle en était à la fois loin et proche. Elle se mit à faire de petits claquements de langues, l'écho produit par les parois du tunnel la distrayant et lui faisant oublier sa peur. Elle s'en amusait presque.

Et comme par magie, l'étalon se retrouve face à la jument. Non en fait il a emprunté un autre tunnel qui l'a mené en direction de la jument. Son regard la passe au peigne fin. Il la connaît. Ses oreilles restent plaquées. « C'est l'endroit parfait pour en faire une proie. »

Morphée sursauta alors quand elle se retrouva face à un étalon, ayant un hoquet de surprise étouffé. Ayant avalé sa salive de travers, elle a quelques toussotements, puis reconnait l'étalon de l'autre fois. « Oh, c'est vous ! » Entonna-t-elle presque avec enthousiasme.

C'est cette jeune jument fragile qu'il avait laissé un soir. Il lui a fait peur. Son côté obscur en rigole, mais l'autre plus sain a de la pitié pour la jument. Si elle sursaute comme cela, comment pourrait-elle se protéger ? Il ne parle pas et se retourne pour s'enfoncer dans la pénombre du tunnel. Seul, un rayon de lumière passe à travers une fissure. Ce n'est pas très lumineux, mais Bunmei sait où il met les pieds.

Et il se sauva. Elle ne comprenait pas. Il s'était déjà sauvé une fois, pourquoi recommençait-il ? Etait-elle répugnante ? Qui était-il ? Autant de questions qui trottaient dans son esprit. Mais tout le monde sait que l’inaccessible attire. Alors elle se mit dans l'objectif de le retrouver dans cette pénombre, se servant de ses vibrisses qui frôlaient le mur qu'elle longeait.

Le tunnel est comme un accès aux ténèbres. Plus il s'enfonce, plus l'endroit est sombre. Il sait que la jument le suit, elle n'est pas discrète dans ses pas. Néanmoins, le noiraud ne l'attend pas. Il ne veut pas être confronté à de multiples questions dont les réponses sont évidentes. Il veut être seul tel un solitaire qui parcourt le monde avec son sac sur le dos et comme seul ami son animal de compagnie. Oh mais oui, cela est une idée. Il pourrait faire de cette jument, un jouet. Il maîtrise l'art de la manipulation depuis plusieurs années maintenant. C'est un expert. Par contre, il continue pour arriver dans un cul de sac, éclairé par des rayons qui traversent le plafond. À gauche il y a un autre tunnel mais il ne le prend pas de suite. Il demeure immobile au milieu, songeant.

La jument continue de longer le mur, espérant qu'il ne l'ait pas semée. Elle songeait toujours à la raison de la fuite du noiraud, et mordillait l'intérieur de sa joue, s'interrogeant véritablement. Quand elle le retrouva enfin, elle osa un petit sourire, mais ne savait pas quoi faire, restant plantée là comme une idiote. Elle l'avait voulu et maintenant qu'elle était là, elle savait pas quoi faire. Petite idiote.

Croupe vers la jument, il ne se retourne pas quand elle s'arrête. » Tu ne me lâcheras donc pas, jument ? «, lâche-t-il d'une voix impassible. » Maman et Papa ne t'ont pas dit de ne pas suivre un inconnu dans une allée sombre ? «, ajoute-t-il de la même intonation.

« Mon père et ma mère ne m'ont jamais éduquée. » Lâcha-t-elle, et ses mots comme son timbre la surprirent. Elle avait été d'un ton froid. Elle conservait sa voix féminine mais son ton avait été plus ferme que celui du noiraud. Elle se rendit compte alors que ce sont des mots qui lui révélèrent à elle aussi une vérité. Cela lui donna un pincement au cœur, et elle rougit. Heureusement que l'obscurité cachait ses joues.

Elle a du répondant, la petite. Cela amuse intérieurement l'étalon qui reste de marbre à l'extérieur. » Et bien, on voit que tu t'en es très bien sortie toute seule. «, dit-il avec un faux sourire.

Du coup, Morphée ne savait plus sur quel pied danser. Elle ne savait pas si l'étalon était d'une humeur sympathique ou non, et cela perturbait un peu. Elle n'avait pas l'habitude de se trouver devant des personnes du tempérament du noir. Personne ne lui avait jamais témoigné de mépris. « Est-ce que vous voulez bien me dire votre nom, cette fois ? » Demanda-t-elle d'un ton plus calme, après plusieurs secondes de silence.

» Pourquoi aimerais-tu savoir mon nom ? « Un nom, c'est quoi ? Quelque chose qui permet à l'autre de se souvenir de nous. Mais pour Bunmei, le nom n'a aucune importance puisqu'il ne retient que les noms importants mais pas les autres.