no this is not a game. /

Nevaeh s'est figée. Tous ses membres sont tendus. Un courant d'air ébouriffe ses crins, et il lui semble particulièrement glacial malgré la chaleur environnante. Ses yeux sont enfoncés dans ceux de la bête, à l'autre bout de l'arène. Qui ne bouge pas non plus, qui se prépare au combat, qui se prépare à gagner. Parce que la blanche n'est pas naïve. Elle n'est pas stupide. Elle sait qu'elle n'a aucune chance contre un ours. Alors, pourquoi dans sa tête, l'horloge tourne toujours ? Elle ferme les yeux, l'interroge. Tic, tac. Elle l'entend. Donc, ce n'est pas encore son heure. Elle rouvre les yeux, comme déterminée. Elle va gagner. Elle ne sait pas encore comment, mais elle va gagner.

Et quel spectacle. La jument, pétrifiée, garde ses yeux vifs posés sur l'animal, une trentaine de mètres plus loin. Ses naseaux dilatés témoignent de sa tension. Elle reste immobile, avant de sentir autour d'elle autre chose que l'odeur de la bête ou celle de sa propre peur : celle d'un congénère. Elle tourne la tête et pousse un hennissement un peu strident.

Personne ne vient. La blanche va devoir affronter son ennemi seule. Mais elle ne gagnera pas. Même dans ta tête, ça ne fonctionnera pas Neva ! Elle ferme les yeux, les rouvre. La bête brune commence à se ruer vers elle. Mais tout semble tourner au ralentis dans l'esprit de Nevaeh, sauf ses idées. Elle se lance alors dans un galop souple et rapide, cherchant une issue pour s'échapper de l'arène.

La jument galope toujours. L'ours la rattrape, petit à petit. Elle a beau cavaler à toute vitesse, elle n'a pas les jambes d'un pur sang. Sûrement son sang de poney qui lui confère sa petite taille par rapport à un cheval adulte normal. D'un seul coup, elle voit une issue. Un petit couloir s'enfonçant dans le noir. Sans réfléchir, elle s'y engouffre, la tête la première, fonçant peut-être dans un cul de sac. Si c'est le cas, alors elle est fichue. Pourtant Neva, tu l'entends encore toi, dans ta tête. Tic, tac. Elle se retrouve face à des marches, et elle les saute le plus vite possible, trébuchant à quelques marches traitres. Elle entend les grognements de l'ours qui la suit, derrière-elle, ralentit par le terrain devenu inapproprié à une course poursuite. Elle émerge au milieu de centaines de rangées de sièges en pierre et, aveuglée par le soleil, elle reste une seconde figée, tentant de se repérer.

Elle aperçoit, elle aussi, l'étalon plus loin. Il est de l'autre côté. Elle a le soleil dans les yeux, elle cesse donc de le regarder. Ses flancs se soulèvent en de grands bonds, affolés par sa respiration courte. Elle ne sait pas où est passé l'ours. Peut-être n'a-t-il pas pu grimper jusqu'ici. Elle trottine entre les allées, nerveuse et épuisée.

Et soudain, elle est là, à ses côtés. Les flancs encore soulevés par une respiration difficile. Elle sourit, elle aussi. Comme si elle ne parvenait pas à éprouver de la rancoeur pour quelqu'un. Comme s'il était si facilement excusable, alors qu'elle aurait pu y passer. Mais elle savait que ce n'était pas son heure. L'horloge, dans sa tête. Tic, tac. Toujours là. Toujours en vie. « Quel imbécile. » fait-elle tout haut, à l'étalon peut-être, ou au vent, avec un sourire moqueur.

Nevaeh l'observe un instant, avant de s'en désintéressé aussi, secouant sa crinière encore humide d'où s'échappent quelques gouttes de sueur froide. Elle fait quelques pas, avant d'observer l'arène. Nulle trace de l'ours. Elle ne l'entend même pas, c'est louche. Elle repose ses yeux pluvieux sur le mâle, bien plus loin à présent, lorsqu'elle voit une forme sombre se détacher juste en amont de lui. L'ours a réussi, finalement, à trouver une issue. Bien qu'il n'en ait rien fait auparavant, la petite blanche se met à hennir dans sa direction, d'un cri alerte.

La blanche comprend le message très rapidement, et ne demande de toute façon rien d'autre. Elle cavale aussi vite que possible, trébuchant parfois sur quelques anciens sièges en pierre. Là, une sortie. Des escaliers qu'elle dévale sans vraiment savoir où sont ses pieds. Elle atterrit en bas dans un nuage de poussière, et se retrouve dans l'arène, comme au début. Paniquée, ses yeux gris cherchent une sortie réelle – peut-être l'entrée ? – de cet enfer. Lorsqu'elle la localise, quelques mètres plus loin, elle commence à s'élancer vers elle, rien d'autre ne comptant plus autant que les mètres qui la séparent de la fuite, de la liberté. De la survie. Dans sa tête, elle s'interroge. Tic, tac. L'horloge est toujours là. Tout va bien.