Aux bois dormants |cae et cha

Caelis, suivie de son rejeton, admirait les cerisiers d'un air nostalgique. Chaodence lui, passait rapidement entre les jambes de sa mère, et finissait parfois les naseaux dans les pétales. La grisette souhaitait juste revoir une dernière fois les premières terres qui l'avaient accueillie.

BALTIMORE.
J'observe les branches des arbres qui sont vides, grises et tristes. L'hiver a tué toutes les fleurs, l'hiver a tué toutes les naissances. Sauf la mienne. Et il parait qu'il y en a eu plein d'autres.
Mes yeux clairs papillonnent légèrement. Là-bas, plus loin, un peu de mouvement. Une mère et son fils. Involontairement, mon coeur – que je me plais à dire déjà de pierre – se serre. Moi, je ne vivrais jamais ça. Mais je n'ai pas besoin d'une mère. Je préfère garder le souvenir de la mienne. Qui a juste eu le temps de mettre bas. Avant qu'on l'envoie, six pieds sous terre.

De plus en plus nostalgique et finissant par être agacée par les jeux éternels de son fils, la grisette grogna, lui donna un coup de museau qui restait affectueux, puis s'éloigna de Chaodence. Le poulain lui, hennit gaiement vers sa mère, nullement perturbé. Son attention fut bien vite captée par un poulain pie, là-bas, qui les regardait. Automatiquement, il rabattit ses oreilles, baissa ses naseaux vers le sol et s'approcha, au trot. Puis étant à deux mètres environs, Cha' s'arrêta, et dressa ses oreilles. Saluuut!

Je ne l'entends pas. Mais je crois qu'il m'a parlé. Les premiers temps, c'est difficile. J'ai pas encore l'habitude. Je le fixe, fixe ses lèvres pour pouvoir lire dessus. Bonjour. Ma voix est un peu forte, sûrement. Ça aussi, il va falloir apprendre. Entre timidité et méfiance, je ne dis rien d'autre, plongé dans un mutisme discret en observant le petit bai d'un oeil curieux malgré tout.

Surpris par le ton de la voix du poulain d'en face, Cha' rabattit ses oreilles et se tendit d'un coup, de surprise. Il inclina sa tête sur le côté. L'autre semblait intrigué, et il renchérit, tout sourire, le dévisageant. Je m'appelle Chaodence. Mais on m'appelle Cha, en général. Se présente-t-il.

Je comprends mal son nom. C'est difficile, avec les noms. Ils peuvent être tellement différents. Cha ? répété-je doucement, comme à chaque fois, pour m'assurer avoir bien entendu. Je me racle un peu la gorge, par habitude peut-être, je ne sais pas. Moi c'est Baltimore. Mais on m'appelle Balto. C'est pas vrai. Je mens un peu, c'est vrai. Personne m'appelle Balto. Mais moi, j'ai décidé qu'on allait m'appeler comme ça, j'ai le droit de choisir mon surnom, non ?

Chaodence hoche vivement la tête, se mettant à piaffer. Il trouvait que le nom et le surnom de Baltimore et Balto allaient bien au pie devant lui. Bondissant sur le côté, grattant le sol d'un antérieur, il fit, enthousiaste: On joue?

Comme méfiant, je la fixe sans bouger. À quoi ? grogné-je d'une voix calme, en penchant la tête sur le côté.
Comme ma mère, inconsciemment. À croire qu'elle donne des caractéristiques à sa descendance à chaque fois. Pourtant, ce sont les yeux de mon père que j'ai pris. D'un bleu unique.

Le couleur des yeux de Baltimore intriguait le sabino. Il n'avait jamais vu de telles yeux, et essaya de loucher pour voir les siens. Pas moyen. Lui, il avait les prunelles noires de son paternel, mais l'éclat fougueux et vif de Caelis dedans, loin de la terreur du premier. Il réfléchit un instant, pas bien longtemps. Il devaient avoir à peu près le même âge. A la bagarre! Gronde-t-il, frappant l'air de ses antérieurs tout en se cabrant. Caelis avait déjà pris la peine de lui enseigner quelques mouvements, de crainte que le temps du trépas ne la rattrape.

Je ne recule pas, le fixe toujours sans ciller. Plonge dans ses iris noirs comme le charbon.
Moi, personne ne m'a rien appris. Je suis né d'un monstre, un autre monstre croyait aussi qu'il était mon père, qui se révèle en fait être un ange. Sûrement que le Diable lui-même doit m'envier, d'avoir tant d'influences dans mon sang. Un constant combat entre le bien et le mal.
Alors se battre... secrètement, ça me connait. Je me cabre en même temps que lui, sans lui répondre, mes antérieurs se posant contre les siens dans une petite épreuve de force. Mais je ne force pas, je reste juste ainsi, dressé debout contre lui, avec un sourire machiavélique sur le visage.

Chaodence, lui, sourit comme l'enfant qu'il est. En voyant l'autre ainsi se cabrer, il redescend, le contourne d'un bond vif, et vient poser ses antérieurs sur son dos, saisissant la crinières de son garrot entre ses dents. Le sabino gloussa, tout content de trouver enfin un adversaire, son premier! A croire que c'était dans leurs origines maternelles d'être prés-programmés pour se battre.

Aurait-on pu le deviner ? Que nos mères, elles aussi, s'étaient autrefois battues avant d'entretenir une complicité et une confiance qu'elles n'auraient pas avoué ? Non, enfin en tout cas moi, j'aurais pas pu le prédire. Il me surprend et grimpe à moitié sur mon dos. Autant dire que ça m'énerve au plus haut point et que je sens monter en moi une de ces petites colères que j'ai du mal à gérer.
Alors, j'essaie de décompresser mais je me secoue vivement, envoyant quelques ruades brusques pour le faire descendre de là, sans savoir si je vais lui faire mal ou non, même si ce n'est pas dans mon intention.

Mais le petit est coriace, comme sa maman. Il est taillé pour la ruse, la feinte, la vélocité, avec ses jambes plus fines que celles de son adversaire, son dos court, ses allures hautes. Mais plus tard ses gestes un peu maladroits auront été remplacés par des réflexes vifs, des gestes rapides et des esquives fulgurantes. Chaodence descend, oreilles rabattues et sourire joueur aux lèvres, trébuchant car déséquilibré. Reprenant de la stabilité, il se cabre à demi, frappant l'air de ses petits sabots et hennissant fougueusement.

Il est plus petit que moi, ce qui le rend sûrement plus agile peut-être. Mais dans une épreuve de force, nul doute que c'est moi qui aurais le dessus. Le regard clair et glacial posé sur lui, je m'avance avec à mon tour un sourire espiègle. Approche, soufflé-je machiavéliquement. Je me cabre à mon tour devant lui, avant de piaffer, l'encolure repliée, comme si j'étais déjà adulte. Ce qui, malheureusement, n'est pas vraiment le cas.

Chaodence semble hésiter. Il se regarde, considère son adversaire. Il est peut-être chaud, mais il est plus malin que sa mère. Plus fourbe. Et d'autant plus imprévisible. La sabino renâcle, laissant pendre mollement ses oreilles de chaque côté de sa tête, comme résigné. Puis il bondit soudain, pose ses antérieurs sur les épaules de Baltimore et s'empare - assez délicatement puisque ce n'est qu'un jeu - de son toupet.