cours toi

isaure

Non, ça n'était plus possible. C'était devenu infernal. Horrible, atroce. Mais pourquoi, pourquoi merde, pourquoi avait-il fallut qu'elle joue avec le feu ? Elle ne s'était pas brûlée, non, Isaure avait flambé. Au bout de deux mois. Un truc immense. Grotesque, tellement. Tellement que ça semblait factice. Horriblement épuisée, elle se coucha dans le Dédale Rouge. Il faisait bon. Le sable était chaud. Un peu de réconfort, après tous ces efforts. Attendez ... Ces efforts pour ... pour ... Merde. Merde, elle vient de saisir. Elle ne pourra pas se relever. Pas tant que son ventre ne soit soulagé. Alors ça commença. Et ça se finit aussi. Après on ne sait combien de temps, de cris, et d'épuisement. Elle était sans force. Il lui semblait avoir mis deux fois dans la même journée. C'était étrange. Du coin de l'oeil elle guetta que la petite chose s'approche. Surprise. Finalement ça n'était pas qu'une impression.

Il y en avait deux.

Deux fois plus de cauchemars.  

Son âme s'allume, en même temps qu'il s'échappe de la poche sombre et gluante qui le retenait prisonnier. La créature mouillée s'échoue sur la poussière qui se colle à lui, qui le recouvre. L'air irradie ses poumons qui se réveillent. Sa gorge siffle.
Les yeux de l'enfant s'ouvrent. Ils sont dorés et la lumière est vive. Elle brûle. La chaleur s'écrase sur lui quand le soleil crie. Le sable rouge danse autour de lui et court dans ses naseaux. L'odeur de la poussière et de la chaleur, l'odeur de la vie.
Les yeux jaunes de la bête se jettent dans les siens. Il voit ses écailles d'or se glisser sous les pierres. Le reptile. Ses yeux lui parlent. Sa langue le regarde. Le reptile. Regarde-le! Il siffle et crache. Ses yeux jaunes. Il t'emmène dans l'autre monde. Ses écailles sont froides. Invoque-le.
L'enfant regarde le reptile qui s'enfonce dans le sable velours. L'autre monde. Perdu dans le désert. Le désert est sa maison. Le reptile ricane; l'enfant est fou.
La petite créature, l'enfant, se redresse, s'agite, comme éveillé d'un immense sommeil.

Il brûle d'impatience de sortir. Mais il doit attendre. Quelque chose bloque l'ouverture, quelque chose qui a grandit parallèlement à lui durant de long mois. Lorsque, enfin, le tunnel se débouche, il est aussitôt aspiré vers l'extérieur. Tellement de choses et de matières viennent se coller à sa fine peau humide. Il tremblote, n'ouvre pas tout de suite les yeux. Il y a quelque chose de lumineux derrière ses paupières, quelque chose qui semble sécher son petit corps.

Deux fois ... Deux fois plus de boulot, deux fois plus de travail, deux fois plus de fatigue. Isaure pourrait s'évanouir rien qu'en y pensant. Mais ses souvenirs jaillissent dans sa tête. Lors de sa première mise à bas, on l'a empêchée d'enlever son enfant, alors elle doit se rattraper. D'ailleurs, il s'était passé quelque chose à cette première mise à bas. Qui l'avait empêché de pouvoir élever cet enfant. Surement un malaise, ou une connerie du genre. L'enfant ... son nom ... quel était-il ? Thao ! crie t-elle presque en se relevant, et en admirant ses enfants. Elle fera du mieux qu'elle peut. L'un est déjà debout, l'autre semble plus lent. Elle se presse davantage sur ce dernier, qui attire plus son attention. Elle s'active à le sécher, et alterne avec l'autre. Elle attendra qu'ils soient tous deux debout pour les nommer. Les nommer ... mais comment ? Un serpent lui siffle de le dos, elle se retourne vivement, et le chasse. Bien qu'il ne leur veuille aucun mal, non, un serpent de ce gabarit est bien trop petit pour des chevaux, même des poulains, elle le chasse. Devoir maternel dira-t-on. 

Ses petits vaisseaux sanguins se mettent en marche, un par un. Il sent la douce brise du désert qui caresse sa peau neuve. L'image du serpent ne le quitte pas. Il lui a parlé, il en est sûr. Il l'a appelé. Avec une incertaine assurance, l'enfant roux se lève, ses jeunes et oscillantes jambes portant, avec un équilibre fragile, son corps juvénile. Le sable rouge scintille sur ses poils humides. Il le regarde, le sable. Ce sable doux. Et puis son regard se pose sur un grand animal doré. C'est sa mère. Il a l'instinct, c'est elle qui lui a donné la vie. C'est sa mère. Il regarde ses yeux, et marche vers elle. Ses yeux, ils sont bleus comme le ciel au-dessus de lui. Il trébuche. Il y a quelque chose dans le sable. L'enfant regarde. C'est un petit animal blanc prostré au sol qui tremble. L'enfant roux reprend sa route et regarde sa mère. Il sait qu'elle lui donnera quelque chose.

Quand on le touche, il se repli un peu plus sur lui-même, sensible. Et quand on le bouscule, il gémit faiblement, effrayé. Après de nombreuses minutes d'immobilité, ses paupières s'ouvrent soudainement, et ses orbites azures parcourent le sol de fond en comble, se déplaçant mécaniquement de grain de sable en grain de sable. Après avoir inspecté l'espace juste devant lui, il se risque à lever son regard d'un étage. De fins bâtons roux se dressent devant lui et s'éloignent doucement. Il veut les suivre. Avec précipitation, il se relève. Ses jambes sont solides. Elles ne tremblent même pas. Il n'a plus peur. Il regarde le monde qui l'entoure, tourne sur lui-même, de plus en plus vite. Et il tombe sur une silhouette. Plus grande, plus massive que les autres. Il s'arrête subitement, dresse ses oreilles vers elle. Sa face blanche l'illumine. Elle est sa lumière dans cet endroit rougeâtre et lugubre. Il s'élance vers elle. On croirait qu'il a marché toute sa vie. Il dépasse le rouquin sans y prêter attention. Il ne voit qu'elle. Thorbjörn se presse sans crainte contre le corps brûlant de sa mère.

Les voilà tous deux dressés devant elle. Ils sont beaux. Le coeur d'Isaure eut un petit pincement quand elle vit les yeux du pâle. Les yeux bleus l'avaient toujours fascinés. Et puis le voilà qui se jette contre elle, aimant. L'autre, plus distant et froid malgré sa robe de feu ardent, ne quémande pas de l'attention comme l'autre, mais demande autre chose. Il attend, dirait-on. Il attend quelque chose, Isaure en est certaine. Mais avant qu'elle n'offre son nectar blanc, elle l'entour de son encolure, presque aimante. Il va falloir leur donner beaucoup d'amour, et à double dose.  

L'enfant roux s'arrête et regarde cet étrange animal blanc, gémissant et tremblotant, qui se dresse rapidement, mué par l'instinct de survie. Il le regarde découvrir le proche monde rouge qui l'entoure, immobile. L'enfant ferme les yeux. Il veut sentir les choses. Il sent les odeurs: le parfum grésillant du sable et de la chaleur. L'effluve piquant de la poussière. Il voit les choses: l'ombre de sa mère qui tombe sur lui, et la grande tête blanche et dorée qui l'entoure délicatement. La peau fine et douce du petit est caressée par celle, plus épaisse et rugueuse, de sa génitrice. Il ferme les yeux, il les repose. Trop de couleurs en même temps. Sa tête se pose doucement contre l'épaule de la jument. Il sent son odeur. Il sent sa peau.

Le petit pose son délicat museau sur le ventre de sa mère. Il découvre le toucher. Il ouvre la bouche, pousse un gémissement. Il veut dire quelque chose. Il recommence plusieurs fois, en vain. Il finit par prendre une grande bouffée d'air, et là.. il murmure d'une toute petite voix aiguë. ma..ma..mam..an.

Et toi ce sera Thorbjörn murmure t-elle à son tour avant de rediriger ses mots vers les oreilles de son autre fils. Et toi, Akan. Bon, c'était acté, c'était rédigé, c'était fait. Une étape, la première, la plus compliquée mais la plus brève. C'était fait.