Des pressions

Un frémissement l'avertit de la présence de quelqu'un d'autre. Ses oreilles hésitent. Lov n'est pas de nature méfiante ou au contraire, naïve et trop bienveillante. Disons un juste milieu un peu bancal qui hésite encore sur la position à avoir lorsqu'elle rencontre quelqu'un de nouveau. Ses petits crins clairs encore courts en épi se dressent lorsqu'elle relève la tête, discernant une silhouette. Avec un fin sourire, elle s'avance vers elle. « Bonjour, dîtes, vous aussi vous allez monter au sommet ? » s'enquit-elle avec sa petite voix fluette, le regard brillant.
Un regard aussi sombre que le sien pourtant. Une robe qu'on ne peut pas ignorer. Une musculature douce et fragile encore mais qu'on devine déjà pour plus tard.
Tout de lui est chez elle.

À la différence de la relation qu'on eu Murphy et Oroszlàn, là où le père a élevé l'enfant et lui a conté toute son histoire, Lov ignore tout de son paternel, si ce n'est son nom. Son nom, son bref rôle d'autrefois au Nord, pas grand chose d'autre. Qu'elle est une fille incestueuse, aussi. Mais ça, elle préfère ne jamais y penser. Sa mère ne lui a pas dit grand chose non plus, sur ses ancêtres. De quoi lancer la petite dorée dans un avenir meilleur. Ou pire.
Elle s'approche aussi, souriante, et un éclair de satisfaction traverse son regard vif. « Oh oui, avec plaisir ! » fait-elle, toute contente d'avoir trouvé une partenaire pour monter voir là-haut le soleil se coucher. L'inconnue se présente ; et de ce fait, son nom ne lui dit rien. Lov n'a que quelques jours encore, elle ne connait pas beaucoup de monde. « Et moi Lövojka, mais vous pouvez m'appeler Lov ! » clame-t-elle fièrement. Elle a déjà cet air fier et assuré, bien loin des airs naïfs et rêveurs habituels des poulains.

Elles se mettent en marche, et ça ravit la jeunette, qui trottine devant, multipliant d'efforts pour ne pas se faire dépasser par les pas plus grands que fait la grise. À ses paroles pourtant, elle ralentit et tourne la tête vers elle, posant sur Hérézy un regard intense. « Je n'ai peur de rien. Être jeune n'est qu'une excuse qu'on se donne pour s'interdire des choses. » déclare-t-elle d'une voix assurée.

Elle s'empresse de la rattraper, ne voulant pas être perçue comme faible, ni même jeune. Elle remonte finalement à sa hauteur et hoche la tête à la question concernant ses parents. « Non. Je n'ai pas vraiment connu mon père et ma mère vit au Royaume des Sables, je crois. » Pourquoi toujours tant de questions sur les parents ? Sur les ancêtres ? Lov sait. Elle sait qu'elle cache dans son sang de bien cruelles erreurs. Elle sait qu'on lui a donné un héritage maudit en guise de cadeau de bienvenue pour une nouvelle vie. Mais elle s'en fiche, elle. Tout ce qu'elle veut, c'est vivre.

Lov est contente que la grise ne s'attarde pas plus sur ses racines, ne devinant pas un seul instant le rôle qu'elle a dans sa famille. Si on peut encore appeler ça une famille. La pouliche secoue sa crinière pâle comme les blés. « Un coucher de soleil ! » s'exclame-t-elle, les yeux brillants. Il n'y a pas intérêt à manquer ce spectacle.

Elle ne veut pas le rater non plus ! Alors, en écho au rythme de la jument, la petite dorée accélère aussi le pas, trottinant presque, suant un peu sous l'effort que ça demande à ses jambes encore fines. Bientôt, le terrain s'aplanit légèrement. « Je crois qu'on arrive bientôt ! » s'exclame-t-elle, un peu excitée.