be part of something

Le vent ne semble jamais s'arrêter ici. Il secoue les ronces et joue avec leurs épines, secoue le sable en un tourbillon orange et rugueux. Cela fait quelques heures maintenant que Skar erre ; ses crins plein de nœuds et sa robe maculée en attestent. Pas qu'il s'en soucie réellement de toute façon. Enfin, un bruit diffère du grondement incessant des bourrasques. Le clapotis de l'eau. Quelques secondes de plus et son odeur se porte à ses naseaux, cela tombe à pic. Sa gorge est sèche, il a soif. Se laissant guider par son instinct, il approche jusqu'au ruisseau. Il plonge ses lèvres dans l'eau claire et s'abreuve avec satisfaction.

Sa fille était partie jouer en compagnie de son frère, ainsi Enja se retrouvait seule. Elle trouvait fort peu d'occupations, aussi son esprit divaguait énormément, et ses membres la portaient en conduite automatique, sans savoir où elle allait. La poussière sur ses membres et le bruit étouffé de ses pas lui indiquèrent qu'elle était en Agwo, quelque part dans les landes. La fraîcheur d'une eau proche fit frémir ses vibrisses, se rendant compte qu'elle mourrait de soif. Elle avait perdu ses flancs gonflés, Poppy ayant quitté son ventre depuis bien des semaines à présent. La brune s'approcha du ruisseau, y trempant ses lèvres pour s'abreuver, sans remarquer qu'elle n'était pas seule.

Il boit jusqu'à plus soif, après tout il ne connaît pas les lieux et ne sait pas s'il retrouvera un autre point d'eau de sitôt. Clignant des yeux de satisfaction comme un chat, il s'ébroue puis lève la tête vers l'horizon ; un peu plus loin, à une dizaine de mètres, une ombre s'est dessinée. Interdit, il se fige. La présence ne semble pas l'avoir remarquée ... Il n'est pas vraiment mal à l'aise à l'idée d'avoir une conversation, quoique. Mais le risque de tomber sur quelqu'un qui ferait preuve d'une quelconque animosité envers lui, lui semble bien réel. Il hésite, lève un antérieur comme pour se mettre en route, le repose. Il reste immobile, ne se défile pas mais ne s'approche pas non plus. C'est déjà une décision, en soit. Chaque instant qui passe amène le risque de se faire repérer. Bonne ou mauvaise chose ?

Les instants défilent, et une odeur nouvelle parvient aux naseaux de la femelle. Apathique, elle sort à peine de sa rêverie, relève simplement l'encolure quand quand elle a terminé de boire. Finalement, elle la voit, cette silhouette. Celle d'un mâle, à une dizaine de mètres. Elle déglutit, pas sûre d'avoir envie d'une discussion, pour sa part. De quoi pourrait-elle parler, elle qui est si vide de sens, d'envies, de projets ? Son regard demeure néanmoins fixé dans le sien, sans qu'elle ne le regarde vraiment. Lui aussi, semblait hésitant. Enja n'engagea donc pas le contact. S'il voulait partir, il le pouvait encore.

Elle finit par lever la tête et l'apercevoir. Bien qu'il s'y attendait, son cœur loupe un battement. Comme une biche tétanisée dans le regard d'un lion, bien qu'il ne soit pas effrayé mais plutôt bêta et contrit, il ne peut plus partir. Cela serait d'une impolitesse sans nom. C'est plus fort que lui, c'est inscrit dans ses tripes, c'en est presque ridicule. Gêné, il s'éclaircit la gorge. « Hm. Bonjour ? » Il ne sait pas s'il doit s'approcher. Pour l'instant la distance lui semble assez confortable.

Restait à savoir qui était la biche du loin. La distance lui convenait parfaitement ; Enja était devenue farouche avec les inconnus. Pourtant, cet instinct entrait en parfaite contradiction avec son naturel bienveillant. Contrairement à autrefois, elle ne rayonnait plus, elle n'était plus aussi chaleureuse qu'autrefois. Son regard ne pétillait plus, son sourire - quand elle en avait - ne réchauffait plus. Parce qu'à l'intérieur, elle s'était rafraîchie. Elle n'avait plus cette force solaire. Elle pointa une oreille vers le mâle quand il engagea la discussion. « Bonjour. » répondit-elle calmement, demeurant fixe. Le clapotis de l'eau berçait ses oreilles. Elle était si fatiguée. « Je peux aller me rafraîchir ailleurs, si ma présence vous gêne. » ajouta-t-elle tout de même. Elle avait bien capté sa gêne.

Lorsqu'elle répond à sa salutation, il se sent un peu idiot d'estimer ça comme un bon début. Mais il se sent réellement honteux lorsqu'elle croit qu'elle le gêne. Bon dieu, la seule personne qui le gêne ici, c'est lui-même et son manque d'habileté. Il est tellement novice dans les relations sociales, mais cela, elle ne peut pas le savoir. Confus, il bafouille « n-non, je ne, enfin vous ... ». Conscient de se ridiculiser, il se mord la langue pour ne pas lâcher une syllabe de plus. Prenant une grande inspiration, il décide que dire la vérité est le moyen le plus rapide de sortir de cette situation. « Si je ne suis pas à l'aise, c'est parce que je n'ai pas l'habitude de rencontrer du monde et encore moins de converser. » Voilà, c'est dit, elle peut dès à présent se moquer de lui ou l'attaquer ou simplement tourner les talons. Il ne manque pas vraiment d'estime de lui-même, c'est surtout qu'il a été confronté à des réactions si imprévisibles qu'il n'a pas confiance en ce qu'il voit. Le fait qu'il ne sait pas toujours déduire les nuances du langage corporel ni les règles implicites ne l'aide pas beaucoup à ce sujet.

Le contraste entre sa stature et sa.. sensibilité ? avait quelque chose de touchant, sans que la brune ne sache dire vraiment pourquoi. Elle se sentit un peu curieuse, se sens se désinhibant petit à petit. Juste assez pour un peu mieux prendre conscience de son environnement. Les oreilles toujours pointées vers lui, elle ne s'approcha pas, mais avait reprit un peu de contenance. Elle lui servit un sourire quelques peu fané. « Il arrive que même lorsque l'on en a eu l'habitude, on perde ces facultés aussi un jour ou l'autre. Alors ne soyez pas gêné... » Sa voix baissait légèrement au fur et à mesure qu'elle parlait, s'efforçant de garder le contrôle. Elle porta son regard sur son reflet troublé par le faible courant de l'eau. « Ne soyez pas autre chose que vous-même. C'est la seule chose à savoir pour converser. Même si ça implique de ne pas être à l'aise. » Le fond de sa voix était doux, bien qu'un peu éraillé. Les sanglots et les cauchemars avaient noué sa gorge depuis les derniers événements. « Je m'appelle Enja. Et vous ? »

Il laisse son regard dériver partout ailleurs que sur elle, n'importe où du moment que ça ne le ramène pas à ses bizarreries. Il n'a pas à s'inquiéter pourtant ; la voix de l'inconnue est abîmée, mais ses paroles sages compensent par leur douceur. Il écoute, attentif, laissant les mots prendre leur place dans son esprit. Enfin, il tend l'encolure et ramène un regard emplit de bienveillance sur elle : elle parle à demi-mots, il le sent, bien qu'il ne comprenne pas exactement ce que cela signifie. Ne soyez pas autre chose que vous-même. Est-ce pour cela qu'elle laisse entrevoir quelques blessures de l'âme ? Il le suppose seulement ; elle semble triste, mais ça ne semble être que la partie visible de l'iceberg. « Être soi-même, le découvrir ... La quête de toute une vie n'est-ce pas ? » marmonne-t-il plus pour lui que pour quiconque. Un peu plus fort, il lâche « Merci. », il ne sait pas trop pourquoi, mais ça lui semble important. Bien sûr, il remarque qu'il y a quelque chose chez la femelle, principalement parce qu'elle a choisi de le laisser visible, mais il est beaucoup trop poli et réservé pour le relever. « Mon nom est Skar. » Ce faisant, il approche d'un pas, d'un seul. Peut-être pour être sûr qu'elle l'entende.

La conversation avait prit une tournure particulière, et Enja n'aurait su dire si elle l'appréciait vraiment ou non. Elle n'avait pas l'habitude d'entretenir ce genre de propos. A la fois légers et lourds de sens, sans en capter la complète étendue. Était-ce parce que cela faisait des lustres qu'elle n'avait pas fais de nouvelles rencontres ? Par simplicité, c'est ce qu'elle se dit. « Se découvrir, ou se retrouver. Dans les deux cas, il y a forcément un moment où l'on se perd. » Son remerciement l'effleure doucement. Pouvait-elle seulement se montrer encore utile pour qui ou quoi que ce soit ? Il fait un pas vers elle, et la brune réagit en orientant son encolure vers lui. Elle lui aurait bien dit qu'elle était enchantée, mais cela aurait davantage sonné comme un mensonge. Elle ne parviendrait même pas à mimer cet enchantement. « Vous êtes nouveau par ici, Skar ? » Parce qu'il lui paraissait être un franc inconnu. Elle ne reconnaissait aucune odeur de clan. Seulement une odeur boisée et musquée, accentuée par la chaleur des landes.

Elle ne réagit pas de façon négative lorsqu'il s'approche légèrement et cela le rassure. Un peu plus sûr de lui, bien qu'étant conscient que cette conversation lui amènerait de quoi réfléchir une fois qu'il serait seul, il incline la tête en une salutation polie, exact reflet de la déférence exigée envers ces dames. Geste peu personnel certes, mais important à ses yeux. « La vie, les évènements, nous malmènent parfois. » Il secoue l'encolure d'un air vague. « Ce n'est jamais très agréable de se réajuster, de retrouver son équilibre. Ça fait mal. Mais c'est nécessaire. A quoi bon vivre, sinon. » Il le ressent, cet espoir, celui de la jeunesse, celui qui n'a jamais été brisé. Il le sent, ça fait palpiter son poitrail. « En effet, je ... découvre. » Son hésitation est perceptible ; il ne sait pas encore s'il n'est que de passage ou si sa présence sera pérenne. « Je n'ai pas l'impression que ce soit votre cas. » Il se trompe peut-être, mais elle a une expression sur le visage qui suggère qu'elle est ici chez elle.

L'étalon dégageait une certaine sérénité, et une forme de... détachement ? qui plurent à la brune. Le fait qu'ils ne se connaissaient absolument pas était rafraîchissant, voire divertissant. Ses paroles lui pincèrent le cœur. Elle se serait bien passée d'être ainsi malmenée par la vie. Elle qui n'aspirait qu'à la paix, elle n'attirait que les conflits. « En effet. » glissa-t-elle en se redressant légèrement, sentant ses membres s'ankyloser légèrement. Elle mit un postérieur au repos, après tout la discussion pouvait durer, pas franchement désagréable. « Je ne suis pas née ici, et j'ai connu l'exode de mon peuple sur ces terres, il y a quelques années. Je ne suis pas une native, mais pour autant je ne découvre plus ces terres, je les connais. » Ce qui n'était apparemment pas son cas. Mais elle l'enviait un peu. Avoir quelque chose à découvrir, ce devait être grisant, quelque part. « Est-ce que ce que vous avez vu pour le moment vous plaît ? »

Ils semblent plus détendus désormais, comme si la première vague de méfiance était passé. Attentif aux paroles de la jument, il incline légèrement la tête, les yeux fixant un point indéterminé. Ces terres ont l'air d'avoir une histoire ; un peuple, un exode ... Ramenant son regard sur Enja, il demande, brûlant de curiosité : « Un exode ? Vous êtes née loin d'ici ? Y avait-il des autochtones lorsque vous êtes arrivée ? Qu'est ce qui a poussé votre peuple à s'installer ici ? » Il se tait brusquement, prenant conscience d'à quel point il a l'air d'un enfant qui s'exprime sans filtre, sans brimer sa curiosité. « Oh, je ... excusez-moi. Je ne suis pas très poli. » Il abaisse l'encolure, respectueux, son énergie baisse d'un cran. « Évidemment, vous n'êtes pas dans l'obligation de répondre à toutes ces questions. » Elle n'a pas l'air d'être le genre de personne à qui on dicte la conduite et il est certain qu'elle a assez de caractère pour décider d'y répondre ou non, mais il préfère le préciser, plus pour lui que pour elle, en fait. Pour se rassurer. « Oui, assez. Moi qui avait besoin de changement, ça fait du bien. Les terres sont, pour la plupart, magnifiques. »

« Vous n'êtes pas impoli, simplement curieux. C'est une bonne chose. » Même si cela pouvait lui donner quelques airs enfantins, il fallait l'avouer. Elle avait esquissé un maigre sourire. « Je suis née très loin d'ici, en effet. A l'époque, je vivais exclusivement avec ma mère, Phoenix. Nos terres traversèrent une période sombre durant laquelle un groupe d'équidés sanguinaire est venu semer la terreur. Le peuple s'est soulevé pour les combattre, et un grand réseau de galeries souterraines s'est effondré. Cela a malheureusement entraîné le réveil de l'activité volcanique de la région. Nous avons du fuir. » C'était ça ou mourir, de toute façon. Même si quitter ces terres avait été la toute première épreuve dans la vie de la brune. « Des groupes, des clans, se sont formés pour s'entraider dans la survie, mais globalement tout le monde a voyagé ensemble pour trouver une terre d'accueil. C'est ici que nous nous sommes installés il y a de cela plusieurs années maintenant. » Enja prit le temps de s'abreuver suite à ces paroles. Elle ne parlait plus autant depuis plusieurs semaines, cela asséchait sa gorge. « Ces terres étaient déjà peuplées par la Tribu Nayati. Malgré les tensions et les hostilités, nous sommes parvenus à un terrain d'entente. Aujourd'hui, il règle la paix sur Luanera. » Enfin, c'était la version la plus globale et succincte qu'elle ait pu lui donner. Elle avait volontairement omis de parler de l'Erg, et énoncé peu de détails quant à son propre parcours là-dedans de façon générale. Elle n'était qu'une ombre au tableau, dans cette histoire. « J'espère que cette histoire ne vous a pas ennuyé. »