roots // N

L'ébène était venu chercher un peu de tranquillité auprès de l'arbre sacré des Nilaak. À chaque fois, c'était apaisant de s'y retrouver, qu'une âme y soit ou non.

Allie est masquée par l'imposant tronc de l'arbre aux âmes. Elle ne sait pas vraiment ce qu'elle est venue chercher ici, ce qu'elle est venue y faire. Elle s'était refusé à venir ici depuis la mort de sa mère, craignant de la voir, de l'entendre, qu'elle tente de la dissuader de mettre à exécution sa vengeance. Peut être qu'elle aurait du écouter Njörd et venir, peut être que tout ça ne serait jamais arrivé. Avec des Si on referait le monde, avec des Si elle referait son monde.
Il y a trop d'âmes qu'elle peut croiser ici à présent. Winterfell. Sa mère. Son frère. Son père ... C'est effrayant. Et réconfortant, en un sens.

Quelqu'un approche, quelqu'un est là. Allie se glisse d'avantage derrière l'arbre, et décale la moitié de son visage pour tenter d'apercevoir de son oeil bleu l'intrus. Et lorsqu'il se pose sur la silhouette connue et aimée de Njörd, un long frisson la parcourt, sans qu'elle ne puisse exactement qualifier sa nature. Alors doucement, elle se dévoile entièrement.

Il observe les branches de l'arbre et entend les murmures du vent, serein. Il ressent les présences sans pourtant qu'elles ne se manifestent. Il était tellement dans son élément qu'on pourrait presque le confondre avec l'une des âmes. Il avait trouvé sa place ici, il le savait.
Njörd tourna la tête vers la silhouette qui s'avançait vers lui. Il l’accueillit d'un petit sourire chaleureux. Salut Allie. Il la laisse venir à lui, ne voulant pas envahir son espace personnel. Ça fait longtemps. Comment tu vas ?

Sa question est banale, normale, adéquate. Et pourtant, elle la met terriblement mal à l'aise. Comment va t-elle ? Cela semble si simple à répondre, mais pour elle, tout se bouscule et se complexifie dans sa tète rien qu'à l'évocation des ces quelques mots. Elle s'en immobilise d'ailleurs un instant, ses yeux se balancent d'un oeil à l'autre de Njord durant ce labs de temps étrange. Sa bouche s'entrouvre mais rien n'en sort. Ils sont morts, ils sont tous morts. C'est ce que son esprit lui répète en boucle dans sa tête. Pourquoi la barrière qu'elle a dressé dans sa tête et autour de son coeur s'est elle ainsi envolé ? Il n'y a pas vraiment de réponses à ces questions, il s'agit juste de Njörd et elle n'a jamais réellement su lu mentir. Elle tremble légèrement puis ferme les yeux et se concentre. Elle récupère le contrôle bien plus rapidement qu'elle ne l'aurait espéré. Lorsqu'elle les rouvre, elle est de nouveau ce roc solide qu'elle s'efforce d'être et offre un doux mais pétillant sourire à l'étalon noir. Ça va, comme toujours. Il verra certainement clair dans son jeu mais peu importe. Elle vient doucement lover ses naseaux contre les siens. Mais parle moi surtout de toi, des Nilaaks. Comment vous allez tous ?

Comme elle s'en doutait, malgré le fait qu'elle reprit vite le contrôle d'elle-même, rien ne lui échappa. Il fronça des sourcils, le regard inquiet. Elle aura beau ne plus faire partie des Nilaaks, elle aura toujours cette place spéciale dans son coeur et son estime. Mais même s'il était inquiet, il ne voulait pas la forcer à parler si ce n'était pas ce qu'elle voulait. Elle avait peut-être besoin de temps, ou alors elle avait ses raisons de ne pas tout lui dire.
À sa question, Njörd sourit un peu. Myosotis et moi on a eu une fille. lui annonça-t-il doucement, comme si la naissance de Hope avait été des plus normales. Même à elle, il ne pouvait pas lui dire. C'était trop risqué. On a accueilli plusieurs nouvelles recrues. Le clan se porte bien. Il n'avait pas envie de parler de la mort de Winterfell, vu l'état de la bicolore. Si elle ne savait pas, il ne voulait pas lui ajouter ça, surtout sachant que Mygale était la coupable. Et si elle savait déjà, il n'avait pas envie de retourner le couteau dans la plaie ou de créer des frictions entre les Nayatis et les Nilaaks.

Allie est heureuse d'apprendre que Njörd est de nouveau père, et déjà, elle a hâte de rencontrer sa fille. Elle avait grandi avec ses jumeaux, puis avait rencontré et aidé Filao. D'une manière inexplicable et perpétuelle, elle se sentirait toujours liée à lui et sa famille. Elle regrettait de ne pas prendre plus de temps à leur consacrer. Félicitations ! Comment s'appelle t-elle ? demande t-elle avec un sourire avant qu'il ne se dissipe lentement, pensant au fait que elle aussi, elle était mère à présent. Tout du moins, sur les papiers, la réalité était plus compliquée. Je hm... Elle se racle la gorge, hésite un instant. Puis soupire. Elle n'a pas envie d'exclure Njörd de sa vie, encore moins de l'embêter avec sa vie complexe, mais il a toujours été comme un père pour elle, alors peut être qu'avec lui, elle avait le droit de partager les déboires de sa vie. J'ai une fille. Deux en réalité. Une que j'ai adopté avec Faucon, sa mère est morte, mais Faucon est le père. Et l'autre ... Elle baisse un instant son regard. Elle ne lui avait rien raconté pour le viol, elle avait honte, elle était si en colère, si ravagée par la haine. Nouveau soupire. L'autre est issue d'un viol. Mon viol. assène t-elle brusquement de but en blanc, redressant l'encolure et le visage, essayant de paraître neutre et insensible pour ne pas se laisser happer de nouveau dans la spirale infernale. Même si avec la présence d'Australe dans sa vie c'était la chose la plus difficile qu'elle avait à faire au quotidien.

Il sourit en entendant ses félicitations, même si ça lui serrait le coeur de se dire qu'il se réjouissait alors qu'elle n'allait visiblement pas bien. Mais il se doutait que ça allait venir, qu'elle allait finir par lui dire. Elle s'appelle Hope. lui glissa-t-il avant de voir l'expression de la pie se défaire un peu de sa fausse joie. Son inquiétude monta en flèche, encore. Ses mots le choquent, le blesse aussi, très sensible à sa détresse. Surtout que, comme au début avec Myosotis, il ne savait pas agir. Il l'aurait bien enlacée mais il ne savait pas où elle en était dans sa guérison psychologique. J'suis vraiment désolé Allie... Si t'as besoin de quelque chose, tu sais que je suis là, pas vrai ? Il aimerait lui demander comment c'était de vivre avec un enfant qu'elle n'avait pas voulu, il aimerait savoir si ce Faucon l'aide, il aimerait savoir beaucoup de détails, mais il ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie. Tu sais, Hope aussi est fruit d'un viol. souffla-t-il. Il se ressaisit aussitôt, conscient que ses paroles pouvaient sembler compromettantes. Mais elle sait pas que j'suis pas son vrai père. Silencieusement, il lui intima de garder le secret, si elle venait à croiser sa fille, juste par le pouvoir d'un regard.

Hope. Ce nom lui parle, la berce, l'enveloppe. L'espoir. Il n'y avait pas meilleure perspective, de meilleure ligne directive. Cela lui arrache un sourire presque nostalgique. Elle est certaine que ce nom va à merveille à sa fille, et celui lui donne encore plus hâte de la rencontrer.
Allie lit la douleur qui le transperce à l'évocation de son viol. Elle penche doucement la tête sur le côté et un rictus contrit se dessine sur sa bouche. Doucement, elle s'avance vers lui et vient lover son poitrail contre le sien puis glisse son visage tout le long de son encolure avant de l'enlacer tendrement. Elle reste ainsi quelques instants, serrant un peu plus son étreinte en fermant les yeux. Boréale ne se rend compte qu'en cet instant à quel point il lui a manqué.
Elle rouvre les yeux lorsqu'il lui confie que Myosotis a elle aussi été victime d'un viol et que la petite Hope en est issue. Elle se recule, juste ce qu'il faut pour capter de nouveau son regard, regard dans lequel elle dépose ses pupilles dépareillées, une lueur désolée et triste s'y étant installée. Oh je suis vraiment désolée pour vous … Pour Myosotis … Si jamais elle veut en parler, j'irai la voir. Peut être que cela nous fera mutuellement du bien, en tant que … Que victime. Elle a du mal à sortir ce mot et détourne d'ailleurs le regard en serrant la mâchoire, honteuse. Oui, elle a honte, honte d'avoir été ainsi bafouée. Je ne dirai rien à Hope si je la croise, tu peux compter sur moi. affirme t-elle en replaçant son regard dans le sien. Elle reste une seconde silencieuse, hésitante, puis se risque à poser une question délicate. Co...Comment Myosotis vit la présence de Hope dans sa vie ?

Njörd l'accueillit contre lui en la serrant davantage, pour lui montrer qu'il était là pour la soutenir si elle avait besoin de lui. C'était un sujet qui le touchait beaucoup même s'il n'avait jamais vécu une telle horreur et qu'il ne pouvait pas vraiment s'imaginer ce que ça faisait. Mais il savait ce que c'était de se sentir sale et honteux d'exister en raison du contexte de sa création. Et c'était la raison exacte pour laquelle il ne voulait pas que Hope sache.
Le regard un peu dans le vide, il acquiesça doucement à sa proposition. Ça vous fera peut-être du bien à toutes les deux. Je sais que je peux pas totalement comprendre ce que ça fait, alors si vous êtes là pour vous soutenir, ça pourrait vous aider à passer à travers ça... souffla-t-il en essayant d'être compréhensif. Ce qui avait été difficile pour lui c'était de voir celle qu'il aimait souffrir, de la voir angoisser. Il était tellement heureux qu'elle remontait la pente, même s'il savait que ça laissera toujours des traces. Alors autant dire qu'il était également sensible à ce qu'avait vécu la pie. Njörd lui offrit un sourire reconnaissant lorsqu'elle parla de Hope, légèrement rassuré. Il lui faisait totalement confiance, et la mettre dans la confidence ne l'inquiétait pas. Elle... Elle a toujours été très maternelle. Alors même si la grossesse a été très difficile pour elle, je pense que maintenant elle la voit comme si elle était de moi, du moins elle agi de la même façon qu'avec Filao et les jumeaux. C'est certain qu'au début c'était un peu compliqué, mais j'ai l'impression qu'elle ne voit plus vraiment la différence. À quelque part, il était quand même heureux de voir qu'elle l'aimait autant que si elle avait été désirée, ça leur donnait un semblant de vie normale. Tu sais, c'était pas la première fois que ça lui arrivait. C'était la troisième. Toujours avec le même mec. Son regard s'était rivé vers le sol, le coeur lourd. Ça lui faisait du bien d'en parler à quelqu'un, ça le libérait un peu, mais il n'avait pas envie d'alourdir la charge sur les épaules de Boréale. Enfin bref, maintenant j'ai un meurtre sur la conscience. lâcha-t-il abruptement sans embellir quoique ce soit. Ça faisait juste démontrer jusqu'où il était prêt à aller pour protéger sa famille, même s'il était souvent vu comme quelqu'un de calme et clément.

Allie l'écoute et aimerait tellement parvenir à se convaincre de ses mots. Réussir à surmonter ça. Comment le pourrait-elle lorsqu'un être vivant le lui rappelait sans cesse ? Si seulement elle n'avait pas eut cet enfant, peut être cela aurait été plus simple, plus facile. Elle n'avait visiblement pas la force de Myosotis, de Njörd, de Faucon. Aimer Australe était certainement son plus grand combat envers elle même, son plus grand défi. Car malheureusement pour sa fille, elle trainerait toujours dans son sillage ce souvenir insoutenable qu'un jour on est parvenu à priver Boréale de toutes libertés. Liberté d'agir. Liberté de choisir. Liberté physique et psychique. Et ça, elle ne l'accepterait certainement jamais. Mais au fond, elle envie Myosotis, elle envie son instinct maternel et son courage. D'autant plus lorsque Njörd lui révèle que ce n'était pas la première mais troisième fois que ce drame se produisait pour Myosotis, et toujours avec le même bourreau. Elle sent son sang bouillir dans ses veines. Allie est perdue dans un mélange de haine et de peine, abasourdie par cette révélation. Elle se mord la lèvre inférieure jusqu'à ce que le goût désagréable du sang caresse sa langue. Elle commence à ouvrir la bouche pour demander si ce fils de pute était encore sur les terres mais le mâle noir répond à sa question avant qu'elle n'ait pu la poser. N'entache pas ta conscience de quoi que ce soit. On ne parle pas de meurtre pour des monstres pareil. Ce salopard n'avait aucun droit de vivre, pas après tout ce qu'il a fait. Tu as fait la seule chose légitime à faire. tranche t-elle d'une voix assurée et ferme. Puis son visage angélique se radoucit, ainsi que sa voix. Tu as protégé ta famille Njörd, ta femme, tes enfants. Et bien plus encore. Qui sait à qui d'autres ce mâle aurait fait subir des choses atroces ? Elle tend doucement ses naseaux vers les siens. Elle savait qu'il ne devait pas être à l'aise avec l'idée d'avoir tué quelqu'un, même pour des raisons justes. Tu es et tu resteras toujours quelqu'un de bien, crois moi.

Bien qu'il tentait de masquer le doute qui semait son esprit et le brin de nervosité qui lui donnait mal au coeur, il ne put retenir le bref mouvement du coin de ses lèvres qui prirent une fraction de seconde la forme d'une esquisse d'un sourire soulagé. Il ne pouvait pas s'empêcher de se mettre ça sur la conscience, même s'il ne devrait sans doute pas. Mais à chaque fois qu'on lui disait que c'était la chose à faire, ça le rendait toujours un peu plus confortable à l'idée de s'être débarrasser d'un connard de la pire espèce. Même si ça ne m'a pas plu, je sais que la mort était la seule solution pour lui mettre un frein. Parce que si Myosotis avait vécu ça trois fois, il n'osait pas imaginer le nombre de juments que Kieser avait forcé à porter son enfant. Njörd secoua sa crinière pour se défaire de cette pensée, déjà suffisamment affecté par ce qu'il s'était passé. Tu sais Boréale, même si je n'ai jamais vécu ce que toi et Myosotis ont vécu... Je suis là pour toi si t'en as besoin, okay ? Tu fais partie de la famille toi aussi. Il lâcha un petit soupir. Elle était tout ce qu'il lui restait de Lov. Et même si tu ne gères pas ça de la même façon que d'autres victimes, ça n'invalide pas comment tu te sens.