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Postée sur son promontoire, majestueuse, Azara observe les reliefs qui se dessinent face à elle. Le canyon ne lui a jamais semblé aussi beau, aussi mystérieux, aussi dangereux. Pourtant, elle pense pouvoir s'y retrouver. Comme avant. Elle pense se souvenir de ses cachettes les plus secrètes, de ses pierres les plus brûlantes, de ses scorpions les plus venimeux.

Sans même se retourner, Azara devina la présence d'Aulia. L'odeur des membres de sa famille était inoubliable, unique. Elle la laissa approcher sans dire mot, supposant qu'elle ne tarderait pas à briser le silence. Azara ne la pressa pas et continua d'observer le spectacle qui s'offrait à elles. Chaque minute de ma vie. Souffla t-elle, comme un murmure, comme un aveu. Elle tourna enfin son regard vers sa cousine et analysa son visage, ses traits, sa robe si spéciale. Une vague de souvenirs pénètre l'esprit de la grise, l'image de son père, de sa mère, d'Aszio. Elle frissonne. Désormais, tout a changé. Et toi ?

C'est vrai. Le désert lui rappelle la pyramide, le décès de son père et la séparation de son frère. Pourtant, elle se sent aimantée à ces terres dont elle ressent sans cesse l'appel. Certains diront qu'elle a hérité quelques traits d'Isildure, dont celui-là. Azara oriente son visage vers sa cousine. Et qu'est-ce qui va se passer maintenant ? Que va devenir l'Erg ? Elle la sonde un instant, y réfléchissant par la même occasion. On ne lit aucune crainte dans ce questionnement. Un brin d'ambition, peut-être.

Dans l’immédiat, Azara n’est pas sure de comprendre. Il reste pourtant Hooker, Phoenix et Bryséis, aux dernières nouvelles. Visiblement, elle n’est pas au courant de tout. Elle observe Aulia, tentant de discerner des réponses sur son visage doux. Cette proposition -cette invitation- la rebute autant qu’elle l’excite. Cela implique de nouvelles règles, de nouveaux devoirs, de nouvelles responsabilités. Mais Azara ne se voit changer pour rien au monde. Elle n’abandonnera jamais son franc parlé, son impulsivité violente. Serait-elle capable de prendre des décisions ? Les bonnes décisions. Serait-elle capable d’anticiper les conséquences de ses actes ?

Pourtant, elle y voit tellement d’opportunités. Conquérante, autoritaire et ambitieuse, elle sait qu’elle sera en mesure de s’imposer et ainsi, de faire prospérer les siens. Elle analyse Aulia. Peut-être qu’à deux, elles formeraient une belle équipe ? Quelque chose d’équilibré, de sain ? Elles ont cette même force de caractère. Elles ont ce même sang qui coule dans leurs veines. Ce don de guider. C’est écrit. C’était écrit. Peut-être depuis le début ? Un héritage volé, désormais retrouvé. Elle plonge son regard dans celui d’Aulia. Toutes ces incertitudes, elle pourrait les extirper de son esprit et les partager à sa cousine. Pourtant, elle n’en fait rien. Son regard change et retrouve cet éclat assuré qui lui est propre. Je suis de la partie. Qu’elle confirme, mêlant malice et sérieux. Je sens qu’on a du travail. Certains points propres à l’Erg et imposés par leurs ancêtres sont à éclaircir ou même, à changer. Le regard brillant, Azara retrouve l’horizon des yeux. Elle est dévorée par l’ambition.

La guerrière argentée prend le temps de réfléchir, histoire d'ordonner un peu ses idées. J'sais pas. Tu penses pas qu'on ressemble plus à une secte d'autre chose là ? Notre famille doit réapprendre à faire confiance. C'est pas en s'isolant qu'on deviendra puissant. On doit s'agrandir, se développer. Arrêter de se couper du monde. Je sais que ça va pas plaire aux anciens. Et celle qui risque de peu apprécier cette idée, c'est notamment Bryséis. Mais ne serait-elle pas prête à passer le flambeau, comme ses frères et sœurs ? Se délivrer de la pression qu'ils ont toujours subie. La famille, c'est pas que le sang. C'est aussi ceux qu'on décide de protéger et d'aimer. Elle cherche le regard de sa cousine, espérant qu'Aulia fasse elle-aussi preuve de bon sens et ne s'embrigade pas dans ce qu'ils ont toujours connu. Faut tisser des liens. Les uns avec les autres. Pas seulement avec notre frère, notre cousine. Avec ceux qui choisissent de nous suivre. J'veux qu'on construise un troupeau soudé, pas une putain de secte ultra fermée.    

Azara agite les oreilles, signifiant qu'elle apprécie la proposition de sa cousine. Bien sûr. Il faut organiser ça, créer des événements récurrents. Que ça devienne une habitude. J'aimerais que les autres jalousent les liens solides que nous entretenons à l'Erg. Elle se perd un peu dans ses pensées, rêveuse. Cette fois, elle en oublie sa lointaine liberté. Elle ne pense qu'à l'avenir des siens. Qu'aux changements futurs. Elle braque son regard vers les cieux. Est-ce que papa et maman auraient été fiers d'elle ? Et Aszio..? Où est-il aujourd'hui ? Elle déglutit péniblement, tentant d'éloigner cette douloureuse question de son esprit. Elle doit penser au présent, à ceux qui sont ici. Le 4 de chaque mois, on devrait organiser une veillée dédiée au présent et au futur. Nous nous concentrons énormément sur nos ancêtres, sur ce qu'ils nous ont offert, mais pas assez sur ceux qui sont ici, maintenant, avec nous. On y serait rassemblé, autour d'un grand buffet. On y ferait brûler un grand feu, où chacun pourrait y jeter tous les maux qui l'ont accablés ce mois-ci, entouré des siens. Ce serait assez significatif. On pourrait appeler cette veillée.. le Nirvana. L'état de sérénité complète. Elle avait énoncé toute cette idée d'une traite, et elle se demande si elle n'a rien oublié. Si ce n'est pas un peu.. naïf ? Ambitieux ? Mais elle est comme ça, Azara. Elle cherche le regard d'Aulia. Qu'en dis-tu..?

Aux paroles de sa cousine, Azara frémit. Douter d'elle ? C'est bien ce qu'elle vient de faire, oui. Elle ne s'en était même pas aperçu. Comment est-ce possible ? Ça ne lui est jamais arrivé. Pendant quelques secondes, elle a honte d'avoir paru si hésitante, si faible face à Aulia. Face à elle-même. Elle rive son regard sur ses antérieurs et serre la mâchoire. Plus jamais. Ça n'aurait jamais du se produire. Fière comme un lion et dure comme le roc, la guerrière redresse la tête et dévisage la belle rouanne. Merci. Elle n'espère qu'une chose, que cet instant de faiblesse inhabituel soit vite oublié par sa cousine.