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OROSZLÀN.
Il court. Toujours plus vite. Ses flancs semblent raser le sol. L'herbe de la réserve disparait peu à peu pour laisser place à une terre cuite et dure. Le canyon se creuse, se révèle aux deux fugitifs.
Le Lion fuit. Il fuit les hommes. Il fuit l'image et le regard démoniaque de son père qu'il a vu. Il fuit même cette jument étrange, dérangeante. Il fuit toute sa vie. Il court comme si sa vie en dépendait. Mais sa vie en dépend peut-être, non ? Finalement, à bout de souffles, c'est à des kilomètres de là qu'il ralentit enfin. Ses flancs se soulèvent énormément, il manque d'air, il transpire, il a le regard fou et effrayé. Il cligne des yeux, se tournant vers l'arrière. Il distingue la silhouette noire qui l'a suivi à la trace, comme le piston d'un missile.

Elle si haute au-dessus du sol, l'a tout de même perdu de vue. Il ne semblait jamais vouloir s'arrêter, quand bien même la menace des hommes était loin derrière. Ils les ont fui, et ces terres qui n'existent plus, déchirées par les dieux, mais lui fuyait plus encore. Et elle s'est obstinée à le suivre, à le poursuivre, à son allure aérienne. Elle aurait presque pu l'appeler proie, mais ce n'était pas du mal qu'elle lui voulait.
Et les voilà acculés à l'étrange gorge tropicale, nouvel élément géologique dans le grand chamboulement divin. Acculé... c'est bien l'impression qu'il donne, lui, en tous cas, et encore plus quand il lui jette un regard. Son corps et son esprit sont fiévreux. Elle arrive tranquillement, car désormais il est à portée. Elle souffle elle aussi, mais la grande femelle a bien moins souffert de la course. Et puis, elle se contient, comme elle aime toujours le faire. Some things never change.
Sa trajectoire ne vise pas directement le jeune mâle ; elle s'oriente nonchalamment vers les cascatelles qui dégoulinent de la roche, au dessus. Son poil fin est humide de sueur, elle a trop chaud, elle va quêter l'eau fraîche. Mais elle le fixe, silencieuse. Le comportement du petit fauve est tellement curieux qu'elle ne dit rien, elle attend qu'il se reprenne, et pourquoi pas s'explique de lui-même. Un sourire étrange complète sa physionomie.

Mais Oroszlàn reste muet. Ses grands yeux sombres semblent encore affolés par quelques cauchemars qui n'ont pas de nom. Sauf peut-être celui de Solheim. Il renâcle, baisse la tête, tente de se calmer. À l'intérieur, c'est la course effrénée. Il ferme les yeux, respire profondément. Essaie de détendre ses muscles noués. Enfin, il relève des iris d'obsidienne vers la noire, sans avoir encore dit un mot.

Il met trop de temps. Elle a presque envie de le pousser sous les chutes d'eau, lui aussi, qu'il réagisse plus vite. Et son impatience est attisée par cette eau glacée qui lui ruisselle dessus, perpétuelle, immuable. C'est agaçant, elle exhale un bref soupir et marche finalement vers lui. Sa peau est rendue plus luisante encore qu'à l'accoutumée. Ses yeux en paraissent plus sombre, peut-être. Le sont-ils autant que ceux du jeune mâle ? Elle n'est pas déstabilisée par ce regard-là, si noir, mais se demande pourquoi. Elle le scrute, sereine mais perçante, s'approchant toujours. Comme si elle voulait le transcender, comme si elle pouvait tout savoir et tout deviner ainsi. Mais ce n'était pas son pouvoir, et il était perdu, de toute façon. C'est donc avec les mots qu'elle l'aborde. " Allons, fils du Diable. Le danger est passé. N'est-il pas temps de faire risette ?"

Elle s'approche. Elle le transperce de ses yeux si noirs. Aussi noirs que l'étaient ceux de son père. Effrayé à l'idée de revoir le regard fou et meurtrier de Murphy, le Lion ne fait pas le fier. Il baisse la tête, fuit ses iris de jais, se dérobe légèrement, le corps encore tendu. Mais le surnom lui fait relever la tête immédiatement.
Ses oreilles se couchent en arrière, contre ses crins blancs. « Ne m'appelle pas comme ça ! » siffle-t-il avec agressivité.

Ah, une corde sensible. La corde sensible, peut-être. Lui qui paraissait si calme, si sûr de lui lorsqu'il lui était apparu pour la première fois. Mais depuis l'apparition de ce fameux "Diable", il avait bien dégringolé. Le sourire de Rowena s'étire, son regard s'éclaire. Elle a donc bien vu juste. Lorsqu'une âme partage son corps, elle partage aussi ses impressions. Habitée par le vieil étalon, elle a simplement su qu'il était parent avec le petit blond. " Alors, comment dois-je t’appeler ? Le pourfendeur de ténèbres ? " Elle n'a pas oublié que sans son aide, elle n'aurait su déjouer si vite l'emprise du mort sur elle. " Tueur de Diable, peut-être ? " Elle ira jusqu'au bout, jusqu'à tout savoir. C'est la moindre des choses, après cette scène si étrange qu'ils ont partagé tous les deux. Ou tout les trois, selon le point de vue.

Le Lion garde ses oreilles couchées. Oui, il a dégringolé. Au bas d'une échelle qui lui semble si interminable, depuis qu'on lui a arraché son père. Il la fixe d'un oeil mauvais et méfiant. Pourtant, pendant l'intervention, il la considérait avec lui. Dans son camp. Mais y a-t-il vraiment des camps, dans cette guerre sans merci entre le bien et le mal ? Et s'il sombrait lui aussi dans cette folie ?
« Je m'appelle Oroszlàn. » répond-il d'abord seulement, entre ses dents restées serrées. Il détourne le regard et ses traits se durcissent encore. Il parait si âgé dans un corps si jeune, soudain. « Et le Diable ne se tue pas. Tu devrais le savoir. »

Oroszlàn. Elle se sent comme un devoir à le rassurer. Est-ce le mot ? À le décoincer. Ça l’agace de le voir dans cet état, qu'elle juge exagéré. " Pff. Il est bel et bien mort, celui que tu nommes ainsi. Et le fait que tu l'aies vu n'a rien d'extraordinaire. " Le lien qu'ils ont créé, peut-être, en luttant ensemble contre un ennemi commun. Ou peut-être veut-elle qu'il sache qu'elle n'est pas contre lui. Même si l'âpreté dans la voix du garçon creuse une certaine distance entre eux. Elle le scrute, toujours. Concède à lui livrer son nom, telle une piètre monnaie. " Rowena. " Elle réfléchit un court instant, puis précise. " Du troupeau étranger. " Non pas qu'elle se considère comme telle, mais elle ne sait pas comment les habitants locaux les appelaient, elle et les "siens". S'il avait entendu parler d'eux, en tous cas, il aurait sans doute entendu parler des pouvoirs. Et peut-être qu'un début d'explication le calmerait.

Bel et bien mort.
Les mots résonnent. Ricochent, comme de vulgaire galets lancés à la surface inerte de son subconscient. Bel et bien mort. De qui parle-t-elle ? De son père, sûrement. Son coeur se serre. La colère s'échappe, pour ne laisser place qu'à une case vacante, un vide inutile et grandissant. Son regard devient ferme mais plus agressif. Il baisse les yeux, se détend.
« Je sais. » murmure-t-il simplement. Il ne sait pas l'expliquer, mais il reconnait les gens du troupeau étranger. Peut-être parce qu'il reconnait facilement les nouveaux-venus, pour être né et avoir grandi ici. Il relève la tête. Sa voix est plus calme. Mais il pose sur elle un regard inquisiteur. « Comment avez-vous fait ça ? »

Elle le regarde changer peu à peu. Elle l'a vu si vulnérable, et le voir se... reconstruire en quelque sorte, procure à la jument un sentiment étrange. Elle descend un peu de son piédestal. Quelque chose la dérange dans tout ça, mais elle ne veut y prêter attention pour l'instant. " Ce n'était pas vraiment moi aux commandes, comme tu peux t'en rappeler. ‹ you shot me down, bang bang › suite rowena 653621

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" Elle prend un air détaché, comme si cette perte de contrôle ne l'avait pas affectée. " Mais... J'ai eu pendant quelques temps le pouvoir d’appeler les morts dans mon corps. " Ou du moins, c'est ce qu'elle avait cru pendant un temps. " Ce pouvoir n'est plus, cependant. Alors tu peux laisser tes démons au passé. ... Qui était-il ? " demande-t-elle après un petit temps de silence.

Elle prend ça à la légère, et le Lion lui adresse un regard neutre. Elle ne faisait pas la fière, peu avant. Quand elle était la « victime ». Bon, il était loin de faire le fier lui aussi. Elle lui parle d'un pouvoir et ça le fait frémir. Il n'a pas vraiment été confronté aux pouvoirs des autres membres du troupeau étrange. Mais des rumeurs avaient couru jusqu'à ses oreilles.
Il ne recule pas mais il l'aurait fait s'il avait été capable de réagir. À la place, son corps s'incline vers l'arrière. Il la dévisage comme si elle était un monstre, ni plus ni moins. Il est encore jeune. Oroszlàn n'est pas un comédien, c'est un adolescent perdu. Lui il appellerait ça une malédiction plutôt. « Et ça vous.. plaisait ? » demande-t-il avec une curiosité morbide, reprenant le vouvoiement par intimidation sûrement. Il la fixe toujours, lorsqu'il répond à sa question : « Il s'appelait Murphy, ou Solheim. C'était le dominant du Nord. Le plus grand Roi que ces terres aient jamais connu. » Il le vante, il ne cache pas son admiration, sa fierté. Il l'idolâtre, même dans la folie, même dans la mort. Le Lion soupire doucement. « Et puis... c'était mon père. »

À la légère, oui, c'est exactement ça. Rowena prend tout à la légère. En apparence. Mais quand il la regarde avec cette horreur à peine dissimulée, elle lui renvoie un regard glacé. Ses bonnes grâces ont des limites. Heureusement, inspirer la crainte a toujours été un de ses plaisirs. Le respect malsain qu'exprime la physionomie du mâle, et le souvenir de sa maîtrise du pouvoir, tirent un nouveau sourire à la noire. " Si ça me plaisait ? J'étais la Reine des enfers. " Elle le laisse interpréter ça. S'il commençait à la cerner, cette réponse devrait suffire.
Elle prend un ton plus moqueur, un brin mordant. " Dis-moi, Oroszlàn, Petit prince. Tu n'oublies pas un petit détail, comme, c'était un gros connard ? " Vu comme Oros a parlé de lui, des étoiles plein les yeux, ces mots offensants risquent de le faire réagir salement. Un peu de provocation, et on en apprend long sur un interlocuteur.

La Reine des Enfers. Il ne frémit même pas. Il la fixe seulement. Elle est sérieuse, il le sait, il le sent. Il ne détourne même pas le regard. Il a affronté le démon droit dans les yeux; sa servante ne peut pas l'effrayer après tout ça, n'est-ce pas ? Pourtant, il conserve un respect et un retranchement étrange par rapport à la noire.
Il baisse lentement les yeux, soupirant.
Se détendant.
Jusqu'à-ce que les mots de l'hakal le tende de nouveau. Il lance l'encolure vers elle, faisant claquer ses dents dans le vide sans la toucher. Mais tout près. Un air mauvais s'affiche sur son visage. « C'était - mon - père ! » crie-t-il en détachant chaque mot.

Voilà qu'elle le trouve puéril. Ça la surprend un peu. Elle avait cru le trouver mature malgré une évidente fragilité. Au faux coup de dents, son encolure longiligne ploie sur le côté, souple, seul part de son corps qu'elle met en mouvement. Elle reste ainsi. Regard sombre. Il a osé. " Et alors ? " fait-elle avec un peu de hargne. Elle veut le secouer. Son obstination est déplacée, l'énerve. Pourquoi s'accroche-t-il à quelqu'un qu'il semble tout autant haïr ? Aimer quelqu'un qu'on hait. Drôle d'idée.

Et alors quoi ? Et alors rien du tout ! C'est son père, et il en est fier ! Et il l'aime. Parce qu'il lui a tout appris. Parce qu'il lui a tout raconté. Les démons, le Diable. Le Lion frissonne, son échine parcourue de petites déchargées électriques.
Il voudrait pleurer, comme l'enfant qu'il était. Il n'est pas encore adulte. Il n'est pas encore assez grand pour contrôler correctement ses émotions. Mais il l'est assez pour ne pas les laisser l'envahir totalement. Alors, il se grandit. C'est qu'il est devenu grand, déjà, le Lion. « Laissez-tomber. Ma relation avec mon père ne vous regarde pas. » conclut-il simplement, en se détournant, observant le canyon sans un mot de plus.

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