◉ épiphanie

ALMAGESTE

La tête basse, suivant à pas de loup les paons peu farouches, Almageste fouette l'air de sa queue à mesure qu'il s'approche de l'un d'eux. D'un geste empli de fougue, il finit par se jeter sur l'animal qui décolle aussitôt manquant d'arracher des crins au bicolore qui le regarde s'envoler, déçu.

Ruyn avait promis quelque chose à Fenrir qu'elle réalisa dure à tenir lorsqu'elle regarda Almageste se jeter sur un paon et se louper, comme il était prévu. Si cela lui avait paru un tant soit peu facile, c'était uniquement parce qu'elle ne l'avait pas vu depuis longtemps. Mais le voyant agir de façon si débile lui faisait miroiter tout ce qu'elle allait perdre : une âme d'enfant à même de comprendre sa propre d'âme d'enfant. Le coeur lourd mais le sourire aux lèvres, la grande noire s'approcha de lui au trot, se signalant d'un doux hennissement.

Et lui ne savait pas ce qui se tramait, il ne pensait même pas qu'il était possible que cette idylle se termine. Après tout, elle était restée lors de la venue au monde d'Adàgio, elle avait été là pour lui. Son doux hennissement extirpe Alma de sa bulle et il se tourne, un sourire grandissant, vers elle.
« Tu m'as manqué.. » Se murmure-t-il à lui-même, comme s'il n'était pas capable de lui dire à elle.

Son sourire s'élargit, adoucissant son visage un peu trop crispé ces temps-ci. Toi aussi, mon chéri fit-elle en se dépêchant de se blottir contre lui. Et il ne mesurerait jamais assez l'étendue de ses propos.

Elle se blottit contre lui et il laisse sa chaleur l'envahir, les yeux fermés, le moment si paisible.
« Tout va bien ? » S'enquière-t-il immédiatement, ne parvenant jamais à déchiffrer le doux visage de sa douce.

Elle ferma les yeux pour ne pas avoir à affronter son regard tout doux. Elle n'avait pas envie de le quitter maintenant. Pouvait-elle reporter le moment terrible à plus tard ... ? Bien plus tard ? Redressant un peu la tête, elle s'efforça de le rassurer. Mais oui, enfin ... Elle secoua la tête. Et toi ? Je t'ai pas vu depuis longtemps

Doucement il ronfle au niveau des oreilles de la noiraude, lui insufflant un souffle chaud empli de réconfort. Sa voix tremblait sans qu'elle ne puisse s'en apercevoir alors Almageste lui offrait un maigre sourire pour la réconforter. N'étaient-ils pas piteux eux deux ? Chacun cherchant à faire sourire l'autre parce que l'atmosphère sentait les adieux, les départs, les déchirements. Almageste ne comprenait pas.
« Désolé.. C'est à cause de ma mère, elle n'a pas si bien accepté le fait de devenir grand-mère.. » Il soupire et pousse ses naseaux du bout des siens.
« Et toi ? Qu'as-tu fait ? »

Je ne connais même pas ta mère ! s'indigna-t-elle à moitié, lui jetant un regard faussement boudeur. Il caresse ses naseaux du bout des siens et elle frissonne, ses hormones à peine troublées par des chaleurs ténues. Tant mieux. Il ne manquerait plus qu'elle soit soumise à une envie de sexe incontrôlée, et qui ne lui attirerait que des ennuis Elle lui vola un léger baiser et se repositionna, prenant appui sur lui comme s'il était un mur Ben, j'ai vagabondé un peu à droite à gauche. J'ai recroisé mon frère, et il me manque fit-elle en lui jetant un regard prudent. Heureusement qu'il ne savait pas vraiment lire en elle.

Haha, manquerait plus qu'ils ken à nouveau quoi

A son indignation il plaque une oreilles contre sa nuque, maman Alma n'était pas bonne à rencontrer ces derniers temps et son amertume ne faisait que grandir au grand désespoir de son fils qui tentait de recoller les morceaux de sa vie entre eux. Avant qu'ils ne lui échappent à nouveau.
« C'est pas plus mal, c'est une vieille aigrie » Plaisante-t-il en déséquilibrant Ruyn une seconde, profitant de servir de tabouret à la jolie brune. Mais il se crispe, la mâchoire grinçante et l'oeil obscur.
« Et.. qu'en est-t-il ? » Que cherchait-il avec cette question ? Que pouvait-elle lui répondre ?

Comment elle s'appelle ? questionna-t-elle, curieuse, ronflant lorsqu'il al déséquilibre, mais sa laissant aller contre lui, jouant un peu. S'il bougeait elle se cassait la gueule par contre Une vieille aigrie.. Elle se demanda fugacement si sa mère - la vraie, la biologique - aurait été aigrie. Comment elle aurait réagi si Ruyn lui avait présenté son ... ses concubins Aurait-elle désapprouvé la frivolité de son rejeton ? Elle mordilla l'intérieur de ses joues pour revenir à la réalité, fixant Almageste dans les yeux. Il semblait si peu sûr de lui, si triste, si incertain ... Il fallait qu'elle lui dise maintenant, c'était l'occasion, elle ne pouvait pas lui faire croire plus longtemps que ... Toujours aussi grincheux dit-elle sur un ton qu'elle se voulait léger. Enfin grincheux n'est pas le mot, c'est quelqu'un de très compliqué ... Je ne sais pas comment ... Elle s'écarta finalement d'Almageste, l'air préoccupé. Je ne sais pas comment le retrouver, finit-elle par dire.

« Aslaug » Fait-il simplement en roulant des yeux, défiant ainsi l'autorité maternelle devant laquelle il s'était toujours prosterné. Finalement, plus la vie avançait, plus les choses lui semblaient compliquées, comment n'avait-elle pas pu le prévenir. Ruyn s'éloigne de lui et le rappelle à la réalité. La chaleur de la noiraude s'échappe de contre la chair du pie qui manque de couiner tant il est surpris du déchirement que cela peut provoquer. Alors il la suite, pose ses naseaux sur la base de son encolure, la suivant.
« Tu l'as déjà retrouvé non ? » Sa voix s'éteint sur la fin de sa phrase, comme étouffée par son coeur qui se serre encore et toujours. « Il va te faire du mal.. » Marmonne-t-il comme un gosse délaissé.

Elle gloussa légèrement lorsqu'il roula des yeux, comprenant que malgré ses allures de fifils à maman, son prince tentait d'être un petit rebelle Il la suivit et elle soupira, résignée à ne pas le repousser. Peut-être avait-il plus une place d'enfant auprès d'elle ? tenta-t-elle de se convaincre. Non, elle aimait bien son statut d'amoureux gamin. Elle secoua la tête. Pas vraiment, confia-t-elle, j'ai une famille de barjots, ils sont tous compliqués tu sais ... Je t'en ai déjà parlé ? demanda-t-elle, un peu pour changer de sujet. Il avait tellement raison et sa dernière phrase aggrippa son coeur comme une araignée sur sa proie. Il allait lui faire du mal, mais ne souffrait-elle pas davantage que le savoir loin d'elle ?

Il joue avec l'absence de crins de la noiraude alors qu'il l'écoute parler, qu'il la sent tressaillir parfois et même hésiter.
« Non, tu ne m'en as jamais parlé.. » Il marque une pause, se remémorant avec difficulté la naissance de son fils, ce moment si déchirant qui avait commencé à ruiner son idée de l'amour parfait, de la famille parfaite, de la vie parfaite en somme.
« Je ne sais que ce que j'ai vu quand Adà est né » Tranche-t-il, la voix un plus sèche qu'il ne l'aurait voulu.

La vision de la vie parfaite avait vite été éclipsée pour Ruyn : elle n'avait pas droit de déroger à sa pré-destinée, même si elle faisait tout pour enjoliver les bords du tableau noirci. Elle lui jeta un regard plein de reproche en entant sa voix sèche, comme s'il lui reprochait quelque chose dont il l'estimait coupable - et elle ne l'était pas, n'est-ce pas ? Eux étaient coupables de l'aimer trop, mais elle n'avait jamais rien fait pour les emprisonner sous son joug charmeur. Eh bien, c'est un aperçu assez caractéristique, concéda-t-elle, en levant les yeux au ciel. Je ne sais pas si tu as déjà entendu parler de Ramsès ... ? Elle l'interrogea du regard, se disant qu'Alma n'était pas vraiment de la génération à avoir connu l'affreux personnage. Mais sait-on jamais, il peuplait encore les contes pour enfants ...

Il aurait tellement voulu la garder cachée dans un cocon dont lui seul aurait eu la clef, dans une sorte de cage dorée auréolée de son plus tendre amour. Elle était la seule chose pour laquelle il pouvait se dévouer avec autant de candeur, jamais sa vie n'avait pris autant de sens qu'après leur rencontre, après leur baiser, après leurs langoureux échanges. Almageste avait grandi avec elle, sa douce princesse noire qui avait montré la vie, lui avait tendu les astuces du bonheur. Sauf qu'il n'était pas le seul à avoir connu tant de joie à son contact, et il allait l'apprendre. Il secoue la tête, hausse les épaules.
« Plutôt, tout le monde le connait.. c'est une sorte de mythe maléfique.. » Résume-t-il soudainement âpre à l'idée de l'écouter lui énoncer sa relation toxique avec son frère. Doucement, Alma se met à grincer des dents sans s'en rendre compte. La colère et la haine devenaient subitement ses meilleures amies. Ruyn lui avait fait découvrir toutes les sensations et émotions, même les pires.