♠ Un grain de poussière au combat.

Expédiée au Nord, la jeune akhal parcourt le bois. Le crissement de la neige sous ses sabots cadence ses mouvements.

OROSZLÀN.
Il aime chacune des terres qui composent le (désormais son) territoire. Le Lion foule la neige d'un pas agile, gracieux, presque trop aérien pour sa carrure.

La jeune akhal découvre ce terrain qui lui est inconnu. Elle se glisse, poussé par son instinct, dans les bois. D'autres bruits viennent parasiter le son qui s'échappe à chaque foulée de Runaway. Ses yeux se tournent et interceptent l'image d'un étalon.

Encore une veuve noire.
C'est la première chose qu'il vient à l'esprit du Lion. La jument qui se tient un peu plus loin n'est pas Rowena, mais elle lui ressemble bien trop. Il tressaille. Pourquoi cela le gêne-t-il, hein ? Ses grands yeux noirs se rivent sur elle, la détaillant en silence. Dans le silence de l'Hiver le plus profond.

Elle s'approche du lion d'or. Va-t-elle mettre en action ce que sa tendre mère lui a appris ? Ses pas sont fluides, le regard capturé par celui du lion. Un sourire anodin vient se loger et son masque flexible se détend légèrement. Elle hume l'air, il empeste le Nord.

Il s'arrête près d'elle, incline la tête sur le côté. Ses crins d'argent dégringolent en une cascade lumineuse. Il remarque directement la ressemblance avec un autre individu – noir, lui aussi. Fin, filiforme, apparenté à la veuve noire, certainement. Combien a-t-elle de fils ici ? « Bonjour. » murmure-t-il, poli et cordial, d'une voix qui réchaufferait même les glaciers du Nord.

Elle soutient son regard, ne montrant rien. Le rituel de salutation engagé par le lion fait incliner la tête de Runaway qui enfonce dans son regard une joie semblable à une jument heureuse. Elle est prête pour succéder la veuve noire. Même si personne remplacera Rowena.
Bonjour. Sa voix se calque à celle du lion. Ce n'est pas son habitude de saluer quelqu'un, mais le corbeau se débrouille. Elle s'avance vers lui et elle détaille sa silhouette en lui portant un léger intérêt. Le silence entre les deux individus tourne autour du bois.
Bref, arrêtons les rituels de politesse et allons droit au but. Téméraire de sortir cette phrase, mais elle ajoute un sourire qui nourrit sa folie. Les yeux pénétrant ceux du lion. Il a quelque chose. Runaway essaiera de percer ce mystère. Elle planifie dans sa tête tout un programme.

Il va se passer quelque chose. Oroszlàn en mettrait son membre à couper. Il sent comme si.. quelque chose d'important allait se produire. Ou surgir des fourrés. Il incline sa tête, sans bouger, mais ne cache pas sa surprise lorsque la jument parle de nouveau. Il plisse les yeux sans l'avoir quittée du regard. « Droit au but ? » reprend-il, sans vraiment comprendre, attendant qu'elle explique.

Runaway s'avance de plus près, un sourire sur ses lèvres. Elle ne dit rien tandis que son souffle se mêle à celui de l'étalon. Elle décide de couper net le silence.
Oroszlàn, dominant du grand Nord. Elle laisse sa voix couler au creux des oreilles du lion. Elle ne répond pas à sa réplique.
Non, elle lui donne aucune réponse. Pourtant, la fascination pour cet être qui a rendu sa mère en cloque. Cela lui procure un plaisir qui assouvit la soif de l'autre, sa folie.
Un brin de malice, une lueur espiègle semble illuminée les pupilles dilatées du corbeau. À voir ce qu'elle prépare...

Il la fixe avec dureté. Aucune compassion, bien qu'il ne la connaisse pas. Aucune envie de faire plus ample connaissance, même s'il est curieux de connaître les raisons qui ont fait naître tant de vélocités dans sa voix à son égard. « Et donc ? C'est le Nord, que tu veux ? » demande-t-il d'une voix calme, posée, mais si froide – froide, comme l'Hiver de son territoire.

Non, j'ai d'autres projets. Le Nord ne l'intéresse pas, mais cet étalon lui donne envie de s'attarder. Pourquoi sa mère l'a-t-il choisi ? C'est ça qu'elle veut savoir. Elle l'épie du regard sa silhouette dorée. Rowena a toujours eu un faible pour les chevaux musclés.
Elle finit de le détailler, ses yeux qui entrent dans les orbites froides du visage de ce lion. La folie la guette, attendant le bon moment pour éclater. Pour l'instant, la future mère reste calme. Son regard perd la douceur pour s'endurcir d'une fraîcheur qu'un mort puisse avoir.
Tu as hérité d'un enfant, non ? Elle pose sa question. Rhétorique : sa mère lui a tout dit. Elle ne peut pas s'empêcher de penser. Négativement, mais elle arrive à ne rien laisser paraître telle la surface lisse d'une roche.

Et le Lion ne veut pas les savoir.
En fait, il n'a pas envie de savoir beaucoup de choses sur l'individue qu'il a en face de lui. Elle ne lui inspire rien qui vaille, et il commence à se demander, déjà, s'il est bien prudent d'autoriser un va-et-vient si facile sur ses terres. Mais il se contente d'étudier la noire, et garde ses yeux rivés aux siens, sans ciller, soutenant son regard sombre. Aussi sombre que le sien. Mais plus dévoré par cette folie qu'il a aussi en lui, mais plus tamisée, plus camouflée. « En quoi cela te regarde-t-il, au juste ? » grogne-t-il d'une voix pourtant stoïque et toujours posée, la dévisageant.

Soudain submergée par des émotions nouvelles. Ces dernières brûlent en elle. Les hormones de jument enceinte, certainement la cause. À fleur de peau, la réaction du lion la touche. Déjà qu'elle a été écartée par son père. Il a fini par la renier et cela a été comme une lame écartant la peau pour faire sortir les viscères. Bref, une douleur qui ne peut pas être identifiée par le corbeau donc aucune qualification l'accompagne.
Son regard soutient les yeux du chef du Nord, la tristesse au bord de ses prunelles. Elle arrive à se contenir donc les larmes n'accablent pas ses iris obsidiennes. Ce qu'elle réussit à qualifier, c'est le dégoût et la colère qu'elle éprouve pour sa propre personne. Elle oublie que son regard s'est égaré dans celui du dominant. Elle lâche l'affaire par peur qu'il voit quelque chose.
Soudain, les hurlements de loups éclatent et rompt le silence installé car Runaway n'a pas prononcé un seul mot pendant ces longues minutes à se maintenir dans une impartialité totale. Un autre hurlement retentit, plus fort donc plus près.

Mais croyant à une ruse, le dominant reste tout aussi dur. Ses yeux sombres et sévères ne la lâchent pas. On peut aisément y lire une méfiance brute, injustifiée certes, mais bien réelle. Il la fixe, ne cédant pas à son numéro de faiblesse. Elle a forcément des talents de comédiennes, vu ses parents. Il ne se laisse pas attendrir et carre un peu ses épaules. Lorsque les hurlements résonnent autour d'eux, il ne sursaute même pas. « Tu devrais partir avant qu'ils n'arrivent. »

Et pourquoi ? Tout se mélange dans sa tête et ses nœuds causent une confusion allant jusqu'à la migraine. Elle tourne le regard vers la meute de loups.
C'est eux qui vont partir.