∞ l'idéal

On parlait souvent de la beauté pour caractériser un être vivant ou même un paysage dans son ensemble. Socrate s'était demandé si celle-ci était universelle. Finalement il avait dû se rendre à l'évidence qu'elle devait être la chose la plus subjective possible. Alors il explorait sa propre définition de la beauté, cherchant chaque jour à contempler quelque chose de beau, à dénicher un bout du monde qui resplendissait à ses yeux. Aujourd'hui c'était sur l'escalier en ruines qu'il se questionnait en prenant soin d'observer chaque recoin des roches qui l'entouraient pour ne rien manquer.

(aenor)
Et c'est la princesse qui les descend, tranquillement, sans se presser. Ses naseaux dilatés captent des odeurs d'humidité, de terre lointaine, de vent frais et chauds qui s'entremêlent. Elle n'a pas vu le mâle, beaucoup plus bas.

Socrate entend des pas, il n'est pas craintif et ne daigne donc pas bouger. Une seule de ses oreilles se pointe néanmoins vers la source de ce bruit, identifiant finalement qu'ils ne pouvaient appartenir qu'à quatre sabots qui descendaient tranquillement les marches. Quand une silhouette rouquine apparaît finalement, Socrate fait dépasser sa tête des roches. « Il y a quoi là-haut ? » Le mâle s'attendait à une réponse alors qu'aucune satisfaisante ne pouvait lui être donnée.

Elle est un peu surprise par la voix, n'a pas vu ni senti l'inconnu. La belle sursaute légèrement, ronchonne au fond d'elle, avant de se détendre en posant ses yeux brillants et vifs sur le noiraud. Elle lui offre même un sourire, semblable à la caresse des premiers rayons printaniers. « une vue magnifique. »

Réponse banale, réponse à laquelle il pouvait s'attendre mais à laquelle il aurait voulu échapper. Tant pis, il creusera. « Plus qu'ici ? » Demande-t-il à nouveau afin de savoir si traîner sa carcasse jusqu'en haut valait le coup. Mais au fond, quelle que soit la réponse de la rouquine, Socrate savait qu'il finirait par y grimper, sa curiosité l'emportant toujours sur sa flemme.

Elle lui offre un sourire comme elle lui tendrait une miche de pain s'il crevait de faim. « bien plus qu'ici. et le calme, aussi. un silence rayonnant, là-haut. »

Socrate hoche la tête, elle semblait comblée par la vue que le labeur des escaliers offrait.« Pourquoi n'y êtes-vous pas restée alors ? »

La princesse incline la tête sur le côté, ses yeux pétillant de malice. « parce que si j'y restais trop longtemps, ça finirait par perdre de son charme. »

Cette réponse était correcte, l'hypothèse se tenait. Alors Socrate s'avance vers elle pour la contourner. « Je ne devrais pas tarder alors, le soleil va bientôt se coucher »

S'invitant toute seule, ayant la curieuse envie de partager avec l'inconnu sa réaction face au panorama, elle fait volte-face, habile, sur les escaliers. « je peux vous accompagner ? »

Elle se met à le suivre et Socrate n'y voit pas d'inconvénient. Néanmoins elle demande la permission au mâle qui lorgne vers elle sans pour autant se retourner et continuant son avancée. « Si je dis non, vous ne me suivez pas ? » Questionne-t-il, cherchant à savoir si la rouquine faisait usage d'une marque de politesse ou si elle demandait sincèrement si sa présence n'était pas dérangeante. Drôle d'idée que la seconde hypothèse: qui pouvait se sentir aussi insignifiant qu'il demandait la permission à des inconnus ? Socrate s'interroge même sur sa propre interrogation. Lui qui était si étranger à la politesse et aux actes coutumiers, pouvait chercher des réponses là où d'autres chevaux n'auraient vu que de la gentillesse. Là était tout l'art de la bizarrerie de l'animal.

Aenor ralentit, jusqu'à s'arrêter. Peu importe si quelques mètres les séparent avant qu'il ne s'en rende compte, elle parlera d'une voix forte. « eh bien non. sinon, je n'aurais pas demandé. » Alors, elle attend, immobile, qu'il lui donne l'autorisation. Prête à faire demi-tour s'il voulait profiter seul, ce qu'elle comprendrait puisqu'elle préfère souvent se délecter d'un plaisir simple sans avoir de voyeur à ses côtés pouvant se nourrir de sa joie éphémère.

Ses petites oreilles pivotent à l'unisson vers l'arrière, se posant sagement sur les paroles de la rouquine. Socrate n'avait pas obtenu sa réponse, il ne pouvait se résoudre à abandonner un telle énigme. « Tu as peur que ta présence me dérange ? » Demande-t-il alors franchement sans se tourner vers elle, n'y voyant pas d'avantage et ayant peur de chavirer dans le vide.

Elle n'a toujours pas continué d'avancer. « n'importe quelle présence pourrait en déranger une autre. alors la mienne pourrait bien te déranger, oui. »

Il n'est pas de cet avis, l'étalon que rien ne dérange et qui se fiche de toutes les présences. Plus il étudiait le monde, plus il apprenait à se connaître soi-même finalement. « La tienne ne me dérange pas alors » Tranche-t-il finalement, sans parvenir à répondre à sa question, ayant déjà d'autres interrogations en tête. Le mâle recommence donc à marcher, s'attendant à entendre la chanson de huit sabots en procession.