bloody mary

Comme elle en avait un peu marre de toujours rester en retrait, Anka s'était décidée de venir jeter un coup d'oeil au bal de Noël. Après tout, ça n'engageait à rien de venir jeter juste un coup d'oeil. Puis y avait de l'alcool, et ça faisait un moment qu'elle ne s'était pas pris de cuite. Gratos en plus. Mais elle était toujours devant la porte d'entrée à se parler à elle-même, pesant le pour et le contre...

Jacin, qui a entendu parler de la fête organisée ce soir dans la salle de bal, vient tout juste d'arriver. Son regard ne s'attarde pas sur des détails inutiles comme les dorures qui ornent la devanture du bâtiment ou encore les mosaïques qui envahissent les carreaux. Non. Ses orbes d'azur se posent immédiatement sur les douces rondeurs d'une petite grise qui semble attendre le déluge devant la porte d'entrée. Intrigué, le jeune mâle n'attend pas midi quatorze heures pour l'aborder. « 'Scusez-moi Milady mais hmm… vous êtes au beau milieu du passage. » Il ne dit pas ça sur le ton du reproche, bien au contraire. Il se contente de pointer du doigt un fait - un fait qui l'amuse beaucoup, d'ailleurs, même si, en soi, il n'y a rien de bien cocasse là-dedans.

Le monde affluait de manière inconstante et Anka était bien seule à l'entrée. Tout le monde était à l'intérieur, elle observa quelques instants les crinières bien coiffées, perlées, décorées, la grâce et l'élégance de certains couples de danseurs, les sabots bien vernis. Elle, elle n'avait pas fait d'effort. Même pas de parfum, rien. Bref elle se croyait bien seule, jusqu'à ce qu'une voix retentisse derrière elle. La grise sursauta légèrement, se tourna puis toisa celui qui interrompu sa tranquillité. Euh, ouais pardon. J'savais pas que j'étais aussi large. Elle était cynique. L'étalon avait largement la place de passer sur le côté et elle savait pertinemment que c'était un prétexte pour l'aborder. Cependant, elle savait qu'en venant ici, elle s'exposait aux autres et au fait de devoir faire la conversation. C'était le principe d'une fête après tout.

Bien sûr, Jacin, l'ignorant de service, est bien loin de saisir le cynisme de la belle. Il s'arrête au sens premier de sa phrase et se contente de lui faire les yeux ronds. « Je ne vous trouve pas large, voyons. Vous, large ? Non mais, m'dites pas que vous aussi, vous faites partie de cette secte d'écervelées qui sont épaisses comme mes poils de cul et qui se trouvent trop grosses ?   » Il laisse échapper un "t-t-t-t" réprobateur.

Le "poil de cul" déclenche en elle une vague d'hilarité. Pourtant rien ne sort de sa bouche, elle se contient. Elle avait envie de rire, non pas à cause de ces quelconques grossièretés. Elle même était grossière. C'était juste sa manière inopinée de le dire. Bref elle se reprend. Putain mais nan j'm'en fous de ce à quoi j'ressemble. C'est pas parce que j'évoque mon physique deux secondes que j'en suis obsédée. Elle le dévisage, un peu revêche, et secoue son fin toupet. Bon c'est quand que tu m'offres à boire. Mon cavalier m'a laissée tomber du coup j'me tâtais à rentrer. Menteuse.

Il rêve ou les yeux de la dame ont pétillé d'amusement ? Mmm, c'est qu'il devient bon, le bougre !  Ne prenant même pas la peine de contenir le petit sourire suffisant qui orne désormais ses lèvres, le pie saisit la perche tendue sans se faire prier. « Bon bah… si on s'tutoie, allez, j'peux bien t'offrir un verre. MAIS ATTENTION. Je décline toute responsabilité te concernant si tu supportes pas l'alcool. Est-ce bien clair ?  » Bah quoi ? Faut pas non plus qu'il se retrouve dans les toilettes à lui tenir les crins. Y a des limites ! 

Il lui sourit, un peu trop fièrement à son goût d'ailleurs. Rah ce qu'elle pouvait détester être démasquée. Mais Anka se détend aussitôt quand le pie accepte sa proposition. Enfin, est-ce qu'on pouvait vraiment qualifier ça de proposition état donné qu'elle ne lui avait pas vraiment laissé le choix ? J'suis une grande fille. Comme si ça excluait le fait qu'elle puisse être bourrée... Ça arrivait même aux meilleurs. Mais la grise se jura (pour l'instant) de ne pas commettre d'écart en présence d'un individu qu'elle ne connait pas. Bref, elle ne se fait pas prier puis franchit le seuil de l'immense porte due la salle, sans prendre soin d'attendre son cavalier.

Il s'apprête à lui répondre, mais elle se dirige déjà vers la salle, le laissant la bouche grande ouverte et les mots suspendus à ses lèvres. Il pourrait être vexé, mais figurez-vous que ce n'est pas du tout le cas. Bien au contraire, il aime les dames qui ont du chien ! Alors, satisfait, il la rattrape au petit trot et feint l'avanie. « Tu pourrais m'attendre, j'ai l'air d'un idiot. » Bien sûr, il balance ça d'un air faussement boudeur, qui trahit à des kilomètres à la ronde son amusement. « Et si tu confirmes que je suis un idiot, je me passerai de te payer un verre.  »

J'me permettrais pas, déclare la grise un peu cynique. N'accordant même pas un regard au pie, elle entre dans la salle, cherche le bar du regard. En mode elle en a rien à foutre de ce qu'il lui dit, elle ce qu'elle voulait c'était boire. Anka plisse les yeux, essaie de détailler les gens dans la foule. Elle tourne enfin la tête vers le mâle. J'te préviens direct : j'danse pas.

C'est qu'elle a la bougeotte, celle-là ! Il la suit sans trop de conviction et lève les yeux au ciel lorsqu'il réalise qu'elle se dirige vers le bar. Bah voyons ! À sa réplique, il arque un sourcil, tout de même amusé. « Et si c'était LA condition pour que j'te paye à boire ?  »

Du chantage ? Bizarrement ça ne l'étonnait pas. Elle décide donc de sortir la carte de la dissuasion. J't'assure que t'aimerais vraiment pas me voir danser... Elle le fixe, d'un regard plutôt noir.

Sa réaction l'amuse, et il ne fait rien pour le dissimuler. Une lueur danse dans son regard. « J'aime les défis. » déclare-t-il d'une voix mielleuse, un rictus joueur dessiné sur les lèvres. « Et puis, si tu refuses, j'te paye rien. J'suis sérieux. Rien du tout. Ce serait dommage, d'ailleurs. Il paraît que les mojitos sont jouissifs, par ici.  »

Ses naseaux se pincent et elle inspire, contenant sa rage. Elle avait horreur du chantage. Alors sans crier gare, elle prend le verre d'un gars qui se trouvait là, à côté. J'ai pas b'soin de toi, regarde, j'l'aurais bu mon verre. Puis elle prend une gorgée du gobelet volé, puis le crache au visage du pie. Elle laisse tomber le verre à terre, tourne sur ses talons pour se diriger vers la porte.