la marre à boue

/NYVEÈN
La petite akhal au corps froid se déplace lentement dans l'eau à la température si agréable. On ne sait pas trop si elle joue, à quoi elle pourrait penser, aux histoires inventées. Mais un petit sourire semble illuminer son visage.

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Des flocons délicats tombent doucement sur la sombre plaine de pierre, et fondent dès qu'ils touchent le sol. Hekâ sent la chaleur sous ses sabots. Elle s'approche des rives du petit lac bleu et distingue une pouliche se baignant. La petite momie se couche, les antérieurs étendus devant elle, et les postérieurs repliés sous elle. Ses yeux dorés observent l'autre petite, qui lui ressemble. Elle aussi, elle est morte. Pourquoi tu souris ? Hekâ n'a jamais souri.

fêtons ces retrouvailles dignement

C'est quoi sourire ? Pire que ne jamais avoir souri : le fait de l'avoir fait inconsciemment. Nyv pose la question avant de se retourner pour voir cette pouliche, qu'elle détaille. Ses yeux s'arrêtent rapidement sur ceux de l'inconnue, ambrés comme une étoile qui a vécu. Elle a l'air d'avoir vécu.

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Hekâ plonge ses yeux dans les siens, calme et attentive, à l'affût de tout. C'est ce que tu viens de faire avec tes lèvres. Pourquoi tu l'as fait ? Hekâ ne sait pas sourire de manière inconsciente, elle ne sait pas pourquoi le faire. Ça ne lui sert à rien, d'avoir un visage qui sourit inconsciemment, vu qu'elle ne connaît pas le sentiment de joie ou de bonheur.

Je crois que j'étais bien. J'ai vu ma mère le faire une fois, peut-être qu'elle était bien. Nul joie ou bonheur évoqué, Nyveèn n'en connait pour le moment pas l'existence. Peut-être ne le connaîtrait-elle jamais, mais son but n'était pas vivre de tout ça, son but était d'atteindre un idéal promis, une perfection rêvée. Alors s'il fallait le faire sans artifices émotionnels et avec quelques sacrifices, la tâche ne serait que simplifiée.

La petite momie reste couchée, regardant la pouliche yeux dans les yeux. Peuvent-elles seulement savoir ce que c'est d'être bien, quand elles ne savent pas ce qu'être mal ? Protégées par leur malédiction, elles sont intouchables et immortelles, préservées des malheurs du commun des mortels. C'est pour ça qu'il ne faut pas craindre la mort. Les mortels craignent la mort, alors qu'elle est salvatrice.
Pourtant, c'est réservé aux autres, d'être bien. A ceux qui mourront.

Alors je ne suis pas bien, je ne suis pas les autres. Décrète t-elle, en s'appuyant sur les paroles de l'autre immortelle. Nyv rive ses pupilles presque figées sur le ciel nuageux. Les autres en comprennent pas ce que nous sommes. Ce qu'ils font, et pourquoi ils sont ici. Même elle, a du mal à répondre à ces deux autres questions.

Hekâ reste allongée non loin de la pouliche défunte, son visage impassible tourné vers elle et vide de toute chaleur. Pourtant, elle porte un rare intérêt à l'inconnue. Ma mère m'a dit que j'étais puissante. Parce que je ne ressens pas la douleur. Elle a dit que j'avais le pouvoir de ne pas mourir. Et donc la momie brune aussi. Hekâ n'a aucune idée de ce qu'est la douleur, mais éprouve une sorte de satisfaction primitive à l'idée d'être en compagnie de quelqu'un comme elle. Elles doivent être très puissantes. Tu sais pourquoi on doit être puissantes, toi ?

Mais peut-on faire mourir ? la question lui brûlait les lèvres, même si en soit elle ne ressent ni chaud, ni froid. Pas encore, mais notre puissance servira. Ses pupilles opaques et noirâtres restent constamment ouvertes, face au ciel qui pourrait gronder d'une seconde à l'autre, sans qu'elles ne craignent quoi que ce soit. Mais ce sera grandiose. Elle est persuadée, elle le sait, au fond d'elle, qu'elle a quelque chose à réaliser.

Hekâ se redresse pour s'approcher de cette pouliche qui lui est égale en tout point. Elle sent émaner d'elle une aura qui l'attire avec une force indescriptible. Ce n'est pas son conscient qui est attiré, mais quelque chose comme son instinct primitif. On va essayer. Parce qu'elles en ont le pouvoir. Elles n'ont aucune limite. Elles ne ressentiront ni peur, ni honte, ni culpabilité. Juste l'expérience de la mort face à elles. On va trouver quelqu'un et le tuer, ce sera grandiose. Ses prunelles dorées se vissent dans celle de la momie brune dont elle ne connaît toujours pas le nom. Pourtant, elle a l'impression qu'elle l'attendait depuis toujours.

Tuer, c'était étrange comment cela sonnait sans connotation dramatique. Quelque chose de normal, un fait commun, comme on aurait pu dire qu'il faisait beau aujourd'hui. Il faut des critères pour tuer la bonne personne ? Peut-être que l'autre savait, avait tout prévu. Nyveèn l'espérait et ne l'espérait pas à la fois.

Le regard d'Hekâ se pose sur le fond du petit étang d'où s'échappe une chaude vapeur. J'imagine que ça peut être n'importe qui. Tout le monde meurt à la fin. Sauf nous. Elle se remet à toiser la brune. Mais pour tuer, il faut qu'on s'entraîne.

Il nous faut quelqu'un pour nous entraîner. Tu aurais un nom ? Peu sûre que tous comprennent ce que Nyveèn voulait savoir, mais la petite vipère en face le savait, elle savait.

Rowena. Rowena. La seule en qui sa mère avait confiance, la seule vers qui elle pense pouvoir se tourner. C'est elle qui doit nous entraîner. Elle saura le faire.

C'est d'accord. Elle ne savait pas que sa mère entraînait. Et elle se gardait de le dire à Hekâ. Quel est ton nom ?