les chiffres ronds

Elle ne l'a pas vraiment suivi. Ou peut-être que si. Suivant ses pas à la lettre, comme une correspondance qui ne s'est jamais arrêtée. Suivre les indices, pister les traces.
Elle le suit.
Elle le rattrape enfin, près de la plage où la mer se transforme en étoiles, la nuit tombée. Pour l'instant, elle n'est qu'un rivage banal. Rien ne la distingue d'une autre plage, d'un autre océan. Ses vagues se ressemblent et se rassemblent, pour finalement s'échouer presque sur les pieds de la lionne. « Red.. » chuchote-t-elle, ses yeux noirs rivés à ceux de son demi-frère. Son unique pilier.

Elle remarque rapidement son boitement. Rien ne lui échappe. Sûrement pas ce qui concerne son frère. De tous ceux qu'elle a, elle a toujours eu le sentiment qu'il était celui qui lui ressemblait le plus. Qui partageait les mêmes démons avec elle, comme si les autres avaient été épargnés. Elle le laisse venir à elle, sans bouger, sûrement paralysée par son manque de réaction. Mais Red sourit et vient la coller brusquement contre lui. C'est si chaud et si agréable que Lov peine même à ne pas se dégager, tant la caresse la brûle. Elle n'en a pas l'habitude, ne la prendra sûrement jamais. Au bout de longues minutes passées l'un contre l'autre dans un silence presque religieux, elle se décale légèrement, l'observant. Tant de choses à lui dire. Tant de choses à entendre aussi, sûrement. Elle le détaille. Aujourd'hui, ils sont presque pareils. Une carrure quasi-identique, des yeux jumeaux. Seuls leurs crins jouent au ying et au yang. Elle soupire doucement. « Tu m'as manqué. » avoue-t-elle sincèrement. Et Dieu m'est témoin qu'il est le seul à pouvoir entendre ça.

Il s'inquiétait pour elle ?
Dieu que ça lui fait étrange, même si c'est de la part de Red et qu'elle devrait trouver ça normal. Personne ne s'inquiète pour elle. Elle pourrait mourir demain qu'elle serait oubliée dans l'instant. Elle tressaille, se laissant aller au plaisir agréable bien que trop rare qu'est l'affection simple et pure. Elle ne connait habituellement que des caresses sauvages, brutales, violentes. Et elle se nourrit de cette violence, qui alimente toujours plus sa colère. La douceur de Red, au contraire, vient combattre cette rage qu'elle porte comme une alliée. Elle se sent fatiguée, soudain. Comme si sans ça, elle n'était plus rien qu'une enveloppe vide. Elle relève les yeux vers lui, sans honte ni timidité pourtant. « J'étais pleine. Le père était Hooker. La guerre se terminait, nous avions gagné, mais j'ai été incapable de supporte tout ça. Alors, je suis partie. » avoue-t-elle en soupirant, sans parler de l'enfant.

Elle, elle ne se gêne pas pour étudier son corps, humant sa peau, s'emplissant de son parfum. S'il n'était pas son frère, sans doute l'aimerait-elle. Bon, avouons que les liens du sang ne sont pas une barrière pour Lov, de toute façon. « Et toi, qu'as-tu fait pendant ce temps ? »

elle écoute attentivement le récap' de ce qu'elle a manqué. elle aimerait lui demander si un guérisseur ne peut pas l'aider, mais elle devine qu'il a déjà essayé. alors, elle ne dit rien. aux propos sur leurs frères, elle hoche la tête. j'ai revu aaren. c'est bien un sbire. haussement d'épaule. elle n'en attendait pas mieux de lui, à vrai dire. je n'ai pas revu ghanan... mais je ne pense pas qu'il veuille me revoir. parce qu'il ne sait pas. ce qu'il s'est passé entre eux. qu'elle a répété les erreurs de ses parents pour se les approprier. elle détourne le regard. elle pense à hooker, soudainement... elle aurait tant aimé que ça se passe autrement. tant aimé que la peur ne la saisisse pas si violemment, que la peur ne la fasse pas s'enfuir. qu'elle soit restée. elle aurait tant aimé qu'il croie en elle. qu'il ne la déteste pas si fort. elle serre les dents, mal à l'aise depuis l'intérieur. quelque chose qui gigote, qui grince, qui lui fait mal. jamais elle ne voulait ressentir ça ! en plus, elle a tout bousillé.
la question de red la sort brusquement de ses sombres pensées. ça la laisse bouche-bée, à vrai dire. elle le dévisage, s'attend à ce qu'il rit, que ça soit une blague... mais son sérieux la désarçonne. tu quitterais tout ? moi, je partirai avec toi. parce que rien ne me retient ici. je n'ai personne, je n'ai pas d'attaches, et les seules que j'aurais pu nouer, je les ai brisées à jamais. ici, je n'ai que toi. mais toi... tu as une famille, ici. ça lui fait mal, quand même, d'avouer tout ça. que lui, il a su sortir de cette bulle malsaine donnée par leurs ancêtres comme un cadeau empoisonné. qu'il a su s'élever, changer, devenir un autre. construire quelque chose.

elle tressaille. peut-elle vraiment lui dire ? c'est dans mes gênes, red. je suis foutue. et je fous tout en l'air. même avec mon propre frère, j'ai réussi à commettre l'impardonnable. peut-être qu'il comprendra, peut-être pas. elle n'expliquera pas plus. elle l'a déjà avoué à hérézy, sous l'emprise de la colère. elle sourit tristement, en baissant les yeux à sa proposition. elle se voit mal, elle, aux côtés de sa famille. elle n'est pas des leurs. elle n'est pas comme eux. pour elle, red a réussi là où elle échouera toujours et elle en est persuadée. même vieille, elle ne se voit pas autrement qu'une garce sans coeur qui détruit tout sur son passage. je ne pense pas que.. que je serai la bienvenue. je.. me sentirai pas à ma place. mais c'est quoi ta place, lov ? nulle part. pas de place, pas de maison, rien. rien sinon un chemin bancal et sinueux qu'elle se trace toute seule. elle hausse les épaules, pas forcément convaincu mais décide de ne pas lui faire de peine en le contredisant. elle lui offre un sourire épineux. alors peut-être que plus tard, je serai comme toi

elle ne dit rien, ne précise pas, ne donne pas de détails. elle hausse les épaules et détourne le regard, sans s'ébattre plus sur le sujet. ghanan ne devrait jamais lui pardonner. elle fait ressortir ses démons presque invisibles aux yeux des autres, comme le vinaigre blanc détruit le calcaire je pense pas que la paix intérieure me viendra un jour, mais on peut espérer, elle rit, parce que c'est presque comique de l'imaginer calme, détendue, apaisée et ce, pour toujours. comment on se fait pardonner quand quelqu'un nous en veut, à raison, au point de vouloir nous tuer ? demande-t-elle après un long silence. elle fixe red, curieuse de savoir s'il a une réponse. elle peut tout lui dire, elle le sait.

Elle incline la tête sur le côté, ne sachant pas si Red est sérieux ou non. Elle tente malgré tout, avec un sourire amusé : Tu veux vraiment tenter de raisonner Hooker ?