/ better death than slavery.

/ LOV

Elle se traine, toujours à l'arrière.
Après sa mise-bas, elle a reprit la route. Elle doit les suivre, même si sa seule envie est de se barrer, très loin d'ici. Loin de tous. Loin de lui.
Elle n'a pas recouvré ses forces, pourtant elle avance. Elle serre les dents, elle a mal, sans plus savoir différencier la douleur physique de celle psychique. Elle a l'impression qu'elle a accouché par la tête tant son crâne lui est douloureux.

(céci, je vais faire d'autres libres alors )

Elle entend sa voix. C'est comme une bouée dans l'océan. Ou une ancre, qui la tirera vers le fond. Quoique, non.
Au fond, elle y est déjà. Mais il parait que même les déchets remontent à la surface. Sans doute remontera-t-elle un jour, elle aussi. Elle ne se retourne pas tout de suite, parce qu'il lui faut plusieurs longues secondes pour se composer un visage, une émotion, un masque. Parce qu'elle ne peut pas lui montrer ça, même à lui, n'est-ce pas ? Ou bien, si, justement ?

Elle ne sait pas pourquoi il est là. Pourquoi est-ce qu'il est encore là. Au fil des années. Son seul vrai pilier. Celui qui l'a élevée, aussi. Qui l'a vue grandir, qui l'a vue passer de sauvage à solitaire, de solitaire à violente, de violente à épanouie. D'épanouie à morte ?
Elle se retourne. Elle ne peut pas lui cacher, elle n'a jamais pu. Ses yeux sont d'un noir absolu, comme s'ils s'étaient encore assombris. Elle trouve ceux de Red vitreux. Peut-être ne sont-ils plus que deux fantômes. Peut-être aurait-elle dû reproduire le schéma de son père, avoir une relation avec son propre frère, comme il l'a fait avec sa soeur, lui. Sans doute aurait-elle moins souffert, même avec de l'inceste ! La pensée l'effleure, lui plait même. Tu dérailles, ma grande. Mais elle survit comme elle peut, quitte à dérailler. Elle le regarde, se dit qu'il aurait pu être le père de son seul et unique enfant, qu'elle n'aurait pas eu besoin d'en faire trois ; qu'elle en aurait au moins un, à défaut d'en n'avoir finalement aucun. Toutes ces pensées étranges semblent germer pour la première fois, pourtant ils ont toujours eu une relation proche, presque ambiguë. Mais ça lui plaisait tellement.

Elle ne sait pas pourquoi ils sont là. Pourquoi ils se sont pas barrés, avant l'exode ! Ensemble, bordel, comme ils l'avaient dit ! Ensemble, parce qu'au fond, personne ne la comprendra jamais mieux que lui. Il l'a toujours anticipée, comprise, soutenue. Il sait que c'est un monstre et pourtant, lui, il l'aime vraiment. Asmund aussi, il disait ça. Mais c'est pas la même chose, putain ! Asmund est un traitre, Asmund est un monstre d'une bien différente espèce. C'est un meurtrier calculateur et manipulateur. Pourquoi n'est-elle pas restée méfiante ? Pourquoi a-t-elle cru ce qu'on lui disait ? Qu'on pouvait y avoir droit, au moins une fois ? Elle n'y a pas eu droit, n'y aura jamais droit. Red, lui, il l'aime vraiment. N'est-ce pas ?
La peur s'allume dans ses yeux noirs. Une petite étincelle qui ravage en un temps record pourtant toute la forêt de ses iris. Comme les grands jours d'été. Quand tout part en fumée.
Et s'il lui avait menti, lui aussi, depuis le début ? Et si Red était un imposteur, qu'il avait fait tout ça juste parce qu'il le devait, parce qu'ils partageaient le même sang ? Ta gueule ! Elle voudrait crier, leur crier dessus. Parce qu'ils racontent n'importe quoi, là dans sa tête. Elle déraille. En réalité, ça fait longtemps que ses wagons ont quitté le chemin de la gare. Elle ne sait plus où elle en est. Ne sait plus où elle est.

Elle ne sait pas pourquoi il est là. Mais d'un seul coup, elle se jette contre lui. Elle le renverse presque, parce que Red a maigri et qu'elle, malgré la mise-bas, malgré la famine, elle est restée solide, bâtie comme leur père. Elle lui rentre dedans, elle voudrait se fondre en lui. Prends-moi avec toi ! S'il te plait... Elle se noie dans son odeur. C'est comme un tranquillisant. Comme apaisée en un temps record, elle lève la tête, à moitié stone, à moitié folle – ou bien folle tout court, peut-être. Elle cherche le regard de son frère, est-ce qu'il devient vieux ? Est-ce qu'il va mourir un jour, ou partir, la laisser, l'abandonner, la trahir d'une certaine façon ? Il lui faut savoir ! Lui, il ne sait pas. Il n'a pas pu savoir encore, n'est-ce pas ? C'était il y a quelques jours à peine. Une éternité. Hier. Elle ne sait plus. Elle a lavé le sang de sa mise-bas. Aucun poulain contre son flanc pourtant. Son regard prêt à s'allumer sous un nouveau jour de maternité s'est creusé de solitude, de terreur brute, celle qui vous mord de l'intérieur avec une mâchoire de couteaux.
Elle s'accroche à lui, parce qu'il est tout ce qu'il lui reste vraiment, de solide, de sincère, de pur. Elle ne sait pas pourquoi il est là. Mais elle, elle sait ce qu'elle fait là, devant lui. Est-ce que tu m'aimes, Red ?

t'inquiètes

Il la serre, il la serre si fort ! Etouffe-moi, voudrait-elle crier ! Mais sa gorge reste sèche, ou trop humide, elle ne sait plus bien. Comme ses yeux, qui refusent de pleurer, de se libérer. Sa réponse libère la lionne, qui soupire et souffle contre le corps de son frère. Elle oublie tout, elle s'oublie elle-même. Quand elle rouvre les yeux pour les poser sur son frère, elle découvre ses iris comme des questions. Il est muet, mais son regard n'est que questions.
La vie entière est questions. Est-ce qu'on va survivre, Red ? Pourquoi on nous inflige tout ça, Red ? Est-ce qu'on le mérite, Red ? Est-ce qu'on doit vraiment payer pour nos ancêtres, Red ? Tant de questions qui n'auront pas de réponses, elle le sait. Est-ce que tu vas partir ? Elle espère que celle-ci aura une réponse, peu importe qu'elle soit électrisante, peu importe si ça la coule un peu plus, elle veut savoir la vérité. Elle est née de rien, avec rien, et elle a tout appris à avoir avec le temps. Aujourd'hui, o lui a retiré tout ce qu'elle avait mis des mois, peut-être même des années à construire ! On a balayé celle qu'elle avait réussi à se construire, n'en laissant que des ruines. Elle qui pensait avoir tout trouvé sans l'avoir jamais cherché, elle découvre de quelle immensité est fait le vide. Car avant, même quand elle n'avait rien, elle n'était pas vide.
On est vide quand on a eu. On est vide quand on n'a plus.
Ses yeux noirs cherchent ceux de son unique pilier inébranlable qui semble pourtant au bord de l'effondrement. Il peut s'appuyer sur elle, elle ne tombera pas.
Soudainement, dans ses yeux s'allume la flamme de la colère, celle qui l'a toujours portée jusqu'à présent, celle qui l'a toujours relevée.
Non, elle ne tombera plus.

Il lui dit la vérité, c'est déjà ça. Elle hoche la tête, ne dit rien. Elle ne le retiendra pas. Elle s'était volatilisée sans rien dire à personne. Elle n'a pas le droit de le retenir, elle le sait. Pourtant, la réponse est comme un pieux dans le coeur. Elle détourne le regard, comme pour mieux se contrôler. Elle renforce ses barrières, son armure trouée, ses défenses usées. Est-ce que tu reviendras un jour ?

(oui c'est fait, sorry !)

Lov est rassurée à l'idée de le revoir. Elle aussi est partie pour mieux revenir, même si elle n'aurait peut-être jamais dû remettre les pieds ici. Elle hoche simplement la tête, mais c'est comme un remerciement. Quand il reviendra, elle sera plus forte encore. Elle l'est déjà.
La question vient, elle l'attendait, avec une patience infaillible. Elle pose ses grands yeux sombres sur son frère et répond, d'une voix froide qui se veut détachée : Il me l'a enlevée. C'est tout. Est-ce que ça résume tout ? Faut-il lui raconter qu'il a agit par vengeance ? Que tout était prémédité, du début de leur histoire, à la saillie, jusqu'à la mise-bas ? Quel être peut être aussi calculateur pour.. se venger ? Au fond de ses yeux noirs, on peut apercevoir comme ça l'atteint, malgré ce qu'elle cherche à montrer.

Pour se venger. Uniquement pour ça. Juste de la cruauté pure et dure. Ses « principes » qu'il se dit avoir ne sont qu'un alibi pour justifier sa mauvaise personne. Elle secoue son encolure massive, faisant virevolter ses longs crins blancs emmêlés. Sûrement pense-t-il que je suis partie avec l'enfant d'Hooker dans le seul but de lui faire du mal. Si seulement il avait un peu plus d'esprit que de calcul dans son crâne, grince-t-elle, amère.

Mais Lov baisse les yeux. Il lui rappelle qu'il va s'en aller, ça lui brise le coeur, encore. Elle qui a toujours eu l'impression de ne pas en avoir, elle a l'impression soudaine que ces derniers mois, elle a eu un troupeau de coeurs dans son poitrail et qu'ils se sont tous brisés. Il lui dira assez de choses sur moi pour qu'elle ne veuille jamais me voir. Elle ne serait pas surprise. Ça serait si petit, malgré-tout. Elle décide de changer de sujet. Au moins, son frère est au courant, elle n'a pas envie de s'étaler. Mais... l'enfant que j'ai eu avec Hooker, il... il m'a retrouvée. Il est ici. Il s'appelle X et.. je crois que le courant passe entre nous.