☼ Se rassurer

Les coqueliquots. Elle inspire profondément pour calmer les tremblements d'anxiété qui secouent ses jambes maigrelettes depuis maintenant des jours. La fatigue engourdis ses muscles et la faim tord son estomac. Mais elle s'apaise, elle est entourée de si jolies fleurs...On dirait celles qui l'ont accueillis sur Terre quand elle est nait. Cela lui rappelle la douceur du soleil...la douceur de sa mère.

Le grand noiraud prenait du temps pour lui, pour lui permettre de faire son deuil tranquillement. L'absence de Lyra le faisait toujours autant souffrir, bien que quelques semaines étaient passées depuis son décès. C'était si dur de devoir faire sans elle à présent. Surtout qu'il voyait de moins en moins Hélivia, Aël et Tehya...
En plus, les membres de son groupe l'avaient élu pour les guider. Il ne s'y était pas attendu jusqu'à ce qu'on lui remette les rênes du clan en main. C'était étrange. Au moins, il avait une conseillère digne de ce nom pour l'aider, moralement aussi.
Njörd profitait donc de quelques instants où il échappait à ses responsabilités pour se reposer un peu lorsque ses yeux se posèrent sur un petit corps frêle et fragile parmi les fleurs. Étrange, il n'y avait pas de jument autour. Peut-être s'était-elle perdue ? Tout va bien, petite ?

Elle ne sait pas si ça se mange les coquelicots. Son ventre gargouille furieusement. Elle se baisse pour arracher quelques touffes d'herbe. Qu'elle est fraîche, qu'elle est grasse. Ses oreilles s'agitent, elle est soulagée. Bien que le temps soit frais, elle se demande si, enfin, après tout ce chemin parcouru, elle ne vient pas de trouver sa nouvelle maison.

Elle se redresse, en alerte, lorsqu'elle capte le bruit mat des sabots d'un autre cheval. Oh non, voilà que ses jambes se remettent à trembler. Le froid ? L'anxiété ? Les deux sûrement. L'étalon est grand, il l'intimide mais il n'a pas l'air de lui vouloir du mal. Elle essaye de se redonner un peu de contenance, difficilement. "Bonjour monsieur." Bafouille-t-elle "J'ai juste un peu froid." Au moment où elle le prononce, la petite alezane est secouée d'un grand frisson qui lui serre les mâchoires.

L'ébène s'approcha lentement et doucement en sentant une vague d'anxiété émaner d'elle. Depuis combien de temps était-elle seule ici ? Tête basse pour se mettre à sa hauteur, il huma l'air. Aucun signe d'une jument dans les parages. Que fais-tu toute seule ?

"Je cherche une maison." Lui dit-elle après avoir pris le temps de souffler dans ses naseaux et de sentir son odeur. C'est un effluve prononcé mais si chaleureux qui marque instantanément son esprit, elle ferme les yeux et essaye de l'associer à quelque chose, à une idée rassurante. "Tu sens comme le soleil."

Njörd posa ses naseaux chauds sur son petit crâne. Pauvre petite. Ça lui fendait le coeur de la voir tout seule dans ce monde. Ses mots innocents le firent sourire avec tendresse. C'était beau, l'enfance. C'est la première fois qu'on me dit ça. D'habitude on me dit que je sens la glace. Parce qu'il venait du Nord. Le guide observa la petite et imprima son parfum dans sa mémoire. Elle ne venait pas d'ici, visiblement. Et... tu n'es pas avec tes parents ?

Ce sont les premiers contacts qu'elle partage avec un pair depuis la mort de sa mère, c'est bouleversant pour elle. Son coeur se serre, sa gorge se noue. Elle ne sait pas si elle va pleurer parce que maman lui manque ou si parce qu'elle est soulagée d'avoir un peu de compagnie. Ils ont tout faux pense-t-elle en se rapprochant instinctivement de l'étalon pour s'assurer un peu de chaleur.

Ses parents. A nouveau elle se sent tout chiffon. Elle n'a jamais eu a expliquer pourquoi elle vagabonde toute seule et c'est difficile à exprimer quand on est si petite et qu'on a si mal. Pendant quelques secondes, elle reste silencieuse parce qu'elle doit trouver les mots. "Ma maman...elle est..." partie ? Disparue ? Plus là ? Non, elle ne sait pas, c'est trop compliqué. Elle renifle bruyamment, submergée par la tristesse comme elle ne l'a jamais été. Peut-être vient-elle de réaliser à quel point elle est seule. "J'ai peuuuur." Gémit-elle pathétiquement.

Il perçut la détresse de la petite alezane, il la ressentit comme une épine dans son coeur. Elle ne méritait pas de se retrouver seule ainsi. Depuis combien de temps vivait-elle sans la protection de sa mère ? À ses explications, il n'eut pas besoin qu'elle termine sa phrase pour comprendre. Elle était orpheline. Il sentit son coeur se fendre à nouveau alors qu'il se couchait au sol pour l'inviter à venir s'installer contre lui, pour lui offrir un peu de chaleur rassurante. Ne t'en fais pas, je vais t'aider, d'accord ?

L'étalon lui inspire confiance, elle serait capable de le suivre au bout du monde. Il s'allonge pour lui offrir plus de confort, comme le ferait un père pour sa fille qui se plaint d'avoir froid. Il n'est plus du tout intimidant. Le mâle noir est beau et fort comme un papa. Grelottante, elle s'allonge contre son flanc. "Brrr, je n'aime pas l'automne." Couine-t-elle en se recroquevillant pour se laisser envahir par une puissante chaleur. La petite fait vibrer ses naseaux tout en prenant ses aises. "Je peux rester avec toi alors ? Tu sais, je suis très sage, maman m'a bien élevé..."

Il ne sait pas pourquoi, mais l'envie de protéger la petite créature contre son flanc naquit en lui. Peut-être avait-il pitié de sa situation. Ou peut-être était-ce parce que lui aussi s'était retrouvé orphelin avant de se faire adopter, lorsqu'il avait son âge. Quoiqu'il en soit, Njörd avait envie de lui venir en aide, il avait envie d'aider la petite qui l'avait touché droit au coeur. Oui, tu peux rester avec moi si tu veux. C'était un peu vite pour prendre de telles décisions, des décisions qui changeaient une vie entière. Ou plutôt, deux vies, dans ce cas-ci.

"J'ai envie de pleurer..." Lui dit-elle avec une lèvre tremblante. Son calvaire est terminé. Elle n'aurait plus froid, plus faim et plus peur. Elle ne mesure pas sa chance d'être encore en vie après avoir erré pendant des jours. Dorénavant, elle a une chance de se bâtir un avenir, en sécurité. "Est-ce que c'est ici que tu habites ?" Lui demande-t-elle, non sans avoir laissé perler une petite larme au coin de son oeil.

Touché par la pouliche, il la ramena un peu plus contre lui, la serrant contre son flanc avec douceur. Il fit glisser ses naseaux sur sa joue pour essuyer sa petite larme. Il voudrait la protéger de tout, à cet instant. Oui. Mon troupeau n'a pas de territoire fixe alors tout Lunaera est ta maison. Même si son coeur appartenait au Nord, il voulait éviter des conflits territoriaux comme autrefois, alors désormais son clan n'avait pas de frontières. Comment t'appelles-tu ?

Elle soupire de bien-être, c'est aussi doux qu'un câlin de maman. Elle pose la tête contre l'encolure de son bienfaiteur, elle écoute sa grosse voix grave qui résonne à son oreille, ça la fait sourire. Puis elle se redresse, les yeux scintillants et la bouche grande ouverte. Tout Lunaera ? La clairière lui semble déjà si gigantesque...Elle n'arrive même pas à se rendre compte de l'immensité sur laquelle s'étend sa nouvelle maison. "C'est très très grand !"

Elle tord la bouche "Tu es un roi alors ? Est-ce que ça veut aussi dire que j'ai une très très grande famille ?" Elle aurait aimé avoir un frère ou une soeur, elle pourra s'en trouver plein plein maintenant ! "Je m'appelle Esquisse."

Sa réaction le fit sourire avec tendresse et amusement. Il était vrai que Lunaera était un grand pays qui regroupait Sheol et Agwo. L'émerveillement de la petite était à en faire fondre plus d'un. D'autant plus qu'elle semblait l'avoir adopté. Étonnamment, ça ne le dérangeait pas plus que ça. Et en même temps, elle avait eu de la chance de tomber sur lui et pas sur quelqu'un de mal intentionné. Oui, c'est grand. Mais ce n'est pas que à nous. Les autres groupes ont autant le droit de se promener partout que nous. Il fallait bien lui faire comprendre que les terres ne leur appartenaient pas, mais qu'ils avaient le droit d'aller où ils voulaient. Eh bien, je suis le chef de mon groupe, oui. Et j'ai une fille et un fils plus âgés. lui répondit-il. Malheureusement, il savait qu'il ne pourrait pas lui offrir de nouvelle mère. C'est un joli nom. Moi c'est Njörd.

"Oui, c'est normal, le monde est à tout le monde, c'est plus rigolo comme ça !" Sa tristesse est noyée par l'allégresse de cet instant. Ses larmes sont séchées, sa peur envolée. Elle regarde le ciel, et adresse un signe du sabot à un nuage blanc tout dodu "Regarde maman ! Njörd m'a sauvé !" Elle se met à chuchoter. "Je suis sûre qu'elle est là-haut, elle adorait dormir dans des bosquets tout moelleux, alors imagine comme elle doit être heureuse dans les nuages ! Mais elle va beaucoup me manquer tu sais..."

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