☼ S'envoler

Depuis son arrivée, il y a de cela une petite poignée de jours, Esquisse n'osait pas s'aventurer plus loin que la clairière d'Iris, elle restait dans son périmètre proche et apprenait à apprivoiser cet endroit. Peut-être aurait-elle bientôt l'occasion de partir ? D'avoir une nouvelle famille. Elle en était maintenant persuadée. Cette idée lui redonnait du baume au coeur.

Le matin se terminait dans une tranquillité reposante. Quelques rayons de soleil régalaient la pouliche qui s'amusait à courir derrière les papillons, insouciante.

Esquisse est loin de toutes ces histoires d'envahisseurs, elle ne sait même pas ce que veut dire ce mot. Elle appartient à ce monde depuis si peu temps, elle ne connait que la notion immédiate de maison. Les territoires, les groupes, les hardes sont des concepts qu'elle n'a même pas encore appréhendé. Elle ne se souci pas de savoir où elle se trouve, mais d'où elle dormira ce soir.

Aujourd'hui, elle a pu manger à sa faim alors elle peut se permettre de galoper pour attraper les papillons. Son rire ampli l'espace. Elle ne représente aucun danger pour la jument rousse qui vient d'arriver sur son terrain de jeu. Quand, enfin, elle remarque sa présence, elle s'arrête, essoufflée. Qui est-ce ? Une gentille ? Oui forcément, les méchants n'existent que dans les histoires. "Bonjour madame !"    

Esquisse laisse un papillon se poser sur le bout de son oreille. Ca la chatouille et l'amuse un instant. Elle l'observe ensuite s'envoler alors que son sourire vacille. C'est la deuxième fois qu'on lui pose la question. La première fois, elle n'avait pas su quoi répondre et elle n'est pas sûr d'y arriver là ,non plus.

L'alezane veut être forte, elle se redresse et inspire comme si elle s'apprêtait à faire le grand saut. Ce doit être un peu le cas dans sa tête. Elle ne sait pas quels mots employer parce qu'elle est terrifiée par la réalité. Maman avait dit qu'il arrivait un moment où les gens qu'on aime devaient partir, pour se reposer sur les nuages. Elle n'y pouvait rien, et il ne fallait pas pleurer car de là-haut ils continueraient à veiller sur elle. "Mamanestpartiesereposersurunnuage !" Les mots se sont bousculés mais elle l'a dit et contrairement à ce qu'elle avait imaginé, elle se sent soulagée.  

"C'est ma nouvelle maison ici." Répond l'enfant en tendant le sabot pour qu'un énorme papillon bleu flamboyant vienne s'y poser. "J'ai un peu peur de m'éloigner de la clairière." Du bout du nez, elle désigne la Clairière d'Iris qui se dessine un peu plus loin, immense étendue piquetée de fleurs rougeoyantes. "Je ne connais pas encore bien Lunaera."

Me perdre ? Je fais une mou dépitée « Je sais…c’est pour ça que j’ai peur de m’éloigner. » J’imagine pourtant facilement que je ne pourrai pas rester ici toute ma vie. D’un côté, j’aimerai pouvoir explorer ma nouvelle maison mais je n’ai rien appris, j’ai un instinct qui n’est pas encore des plus affûté. Je penche doucement ma tête sur le côté « Tu t’es déjà perdue toi ? » Je frissonne à cette idée. Ca m’est déjà arrivé une fois, c’était terrifiant mais maman m’avait rapidement retrouvé. Sauf que là, je n’ai plus de maman pour venir me tirer d’affaire. Mon nouveau papa m’apprendra peut-être à ne plus me perdre, à toujours pouvoir retrouver le troupeau où que je sois.

" Mais tu réussies toujours à retrouver ton chemin ?" Je lui demande, assez admirative. Moi, j'en suis incapable, j'ai l'impression que tout se ressemble et que tout paraît incroyablement dangereux à partir du moment où je me retrouve seule. "Moi, quand je dois m'éloigner, je suis toujours le troupeau, sinon, je n'arrive pas à retrouver ma route, je n'ai pas appris à le faire."

J'ai la même technique, je passe mon temps à demander à tout le monde où nous somme quand nous nous déplaçons. Parfois, j'essaye de retenir les chemins que nous empruntons, ce n'est pas toujours évident. Je ne sais me rendre seule qu'à un unique endroit ; le lagon miroir, c'est un point d'eau important. Je finis par pointer les oreilles sur elle, une question me taraude l'esprit ; "Est-ce que tu es une Orosymal ?"

"Wiha ?" Je me rends compte que je ne connais pas les noms des troupeaux de Lunaera, ni même leur nombre exacte. Je me demande comment on fait pour reconnaître les chevaux de telle ou telle harde. Par l'odeur peut-être ? J'inspire discrètement pour essayer de trouver la différence dans l'effluve que dégage la jument avec celui des autres membres d'Orosymal. "C'est qui ton chef ?"