Murmures

C'était aussi au coeur de la nature que je me sentais le mieux. Je me remémorais la chasse au trésor qui s'était déroulée dans ces bois avec Lunà, c'était il y a quelques mois, je n'étais qu'une pouliche. Mes sabots suivaient leur route, je me repérais difficilement dans la brume mais j'aimais pourtant la voir s'élever et envelopper le monde dans ses pans de coton.

Aw     J'étais contente de voir que tu avais ouvert un sujet, j'ai sauté dessus    

L'humidité ambiante me collait les poils sur l'encolure et sur le dos. A vrai dire, peu m'importait, ce n'était que détail. J'étais seule dans la brume, c'était un expérience exaltante bien que légèrement stressante. Qui sait ce qui pouvait se cacher derrière ces rideaux fumeux ? J'avais une peur terrible des loups mais ce n'était pas un de leur terrain de chasse, il fallait que je reste rationnelle, chose que je parvenais à faire de plus en plus facilement en grandissant.

Mes sens étaient endormis, l'humidité masquait les odeurs et les sons semblaient plus ténus. J'aurais pourtant juré avoir entendu un bruissement...et...cet effluve ? C'était un autre cheval, je n'étais en fait pas si seule que je ne le pensais. Cependant, maintenant que j'arrivais à bien différencier mes semblables selon leur signature olfactive, je pouvais affirmer aisément qu'il n'appartenait pas à une harde que je connaissais. Les oreilles droites, attentive, je retroussais les lèvres pour analyser plus en détail cet odeur. Elle était très présente, il ou elle ne devait pas être loin...

Une voix sortie de nulle part me fit sursauter. Enfin, de nulle part...je pensai qu'elle venait de ma gauche. Pourquoi ne pas se montrer ? Pourquoi être si méfiant ? Faisais-je quoi que ce soit de mal en arpentant les bois ? Ou l'inconnu était-il juste particulièrement craintif ? Je n'avais pourtant rien d'une armoire à glace. "Juste moi, je m'appelle Esquisse." Je n'étais pas particulièrement craintive mais curieuse de voir qui se cachait derrière cette voix rauque...et derrière cet arbre vers lequel je me dirigeais, je voyais même un morceau de croupe dépasser. Intriguée, je me stoppai à quelques mètres, la tête légèrement penchée sur le côté. "Qui êtes-vous ?"

Je restai interdite face à cette déclaration. Le maître des lieux ? C'était impossible. Papa m'avait expliqué que ces terres n'appartenaient à personne, que la nature était à tout le monde. Il fallait que je comprenne ce qu'il se passait. "Désolée monsieur mais...on ne m'a jamais parlé de vous." S'il y avait un maître à ces lieux, on m'aurait certainement avertie non ? Ce n'était pas non plus le dominant d'une harde, je ne lui reconnaissais aucune odeur familière. "Je ne vais pas vous importuner, je venais juste observer les plantes. Les observations dans la brume sont les plus exaltantes !"

Décidément, chacune de ses paroles soulevaient avec elles des flots de question. Dans la brume ? Que pouvait-elle bien dissimuler ? Je connaissais cet endroit comme ma poche, je n'y avais jamais senti la trace du moindre prédateur. C'étaient-ils fait toujours si discret que je n'avais pas remarqué leur présence ? Papa ne m'avait pas fait de mise en garde particulière. " Mais...il n'y a rien de dangereux ici ?" Je suivis son regard, on ne décernait pas grand chose dans cette purée de pois.  

Je restai comme deux ronds de flanc, incapable d'articuler un seul mot face à cette franchise tranchante. Je n'avais jamais été rejetée, je n'avais même jamais envisagé le fait que cela puisse m'arriver. Dans le troupeau, tout le monde avait accepté que je traine dans leur pattes, que je pose des questions, que je partage leur repas. J'étais donc habituée à cette chaleur et cette générosité dans laquelle j'avais baigné pendant de longs mois et le rejet fut donc amer, très difficile à avaler. "Ok...mais heu...j'ai fait quoi de mal ?" Il avait réussit à me déstabiliser, moi qui affichais toujours un sourire assuré, j'avais maintenant du mal à articuler les mots qui venaient de franchir mes lèvres.

Je retrouvai presque immédiatement le sourire. "Je comprends..." Fis-je en acquiesçant. J'étais d'un caractère très sociable, la compagnie de mes semblables m'était très agréable mais, parfois, comme ce matin, j'aimais me retrouver seule avec la nature pour y mener mes recherches et laisser ma curiosité s'exprimer. "Je suis passionnée par la nature, je m'y promène souvent tranquillement pour apprendre à mieux la connaître."