Flou ▬ A & M

Levée avant l'aube, je me suis extirpée de la grotte en faisant attention à ne pas réveiller Azel. En pleine nuit, j'ai parcouru avec hâte les quelques mètres qui me séparait de la mer et sans réfléchir, je suis entré dedans. La fraîcheur de l'eau m'a presque arraché un gémissement. A cette heure et sans les rayons du soleil, elle était pour ainsi dire gelée mais malgré tout, son contact me faisait un bien fou. Le remous des vaguelettes efface rapidement les traces de sueur de ma robe palomino. Un léger soupir m'échappe ; ce n'était qu'un cauchemar. Encore un.
Une fois calmée et apaisée par cette petite baignade improvisée, je sors de l'eau et m'ébroue. La morsure du froid me fait frissonner. Je regagne rapidement ma petite cachette dans la falaise et me couche près d'Azel mais pas trop non plus pour éviter de lui donner froid. Je ne me rendors pas et me contente de l'observer alors qu'elle semble rêver de jolies choses, elle.

Dès que les premières lueurs du jour éclairent la plage, je me lève et décide de réveiller Azel. Je caresse son petit corps grisonnant du bout de mes naseaux pour la réveiller en douceur. Elle l'ignore encore mais aujourd'hui va être un jour un peu particulier pour elle. Parce qu'aujourd'hui, à l'aube de ses trois mois, elle va enfin découvrir sa grand-mère.

( Je me suis permise de lui donner un âge mais tu peux lui en donner un autre si tu préfères   )

On avait donc au moins un point commun. On partageait un rêve qui ne sera jamais rien de plus qu'un rêve. Un rêve cousu d'or de fil en aiguille qui, par la faute des facéties du destin, se sera décousu tout aussi vite. L'espérance est éphémère, elle aussi. Finalement, la seule chose qui ne le soit pas, c'est les plaies taillées en plein cœur.
Et un peu malgré moi, Azel en représentait une, de plaie. Et cette plaie là, plus que n'importe quelle autre, était affreusement profonde.
- Suis moi. J'ai quelqu'un à te présenter, dis-je en prenant le pas.
Un long chemin nous attendait, puisqu'on devait rejoindre les terres des Nilaak.

- On va chez les Nilaak. On va voir ta grand-mère, je réponds en glissant enfin mon regard sur Azel.
Sur le chemin, je fais attention à adapter ma vitesse à celle d'Azel. Lorsqu'elle a une question, je m'efforce aussi de lui répondre le mieux possible. De loin, peut-être qu'on ressemble réellement à une mère et sa fille. Peut-être...

Après environ une petite heure de route - entrecoupée de pauses - on arrive devant le lagon miroir, là où se trouve le camp des Nilaak. Le clan qu'à rejoint ma mère après sa séparation avec mon père. Voyez comme le destin peut parfois se montrer curieux. Ma mère m'a donné l'amour en décadence en héritage.
- On est arrivé. Attends moi ici et ne bouge surtout pas. Je reviens immédiatement.
Et aussitôt, je disparais derrière la barrière de ronces qui protègent le camp. Je ne mets pas longtemps à repérer ma mère, qui semble plutôt surprise de me voir ici.
- Salut maman. J'aimerais que tu me suives, j'ai quelqu'un à te présenter, dis-je sans entrer davantage dans les détails.
Je l'entraîne ensuite en dehors du camp pour retrouver Azel qui semble m'avoir écoutée. Il faut avouer que, pour le coup, cette gamine est un ange. Dommage que ça ne suffise pas à me faire oublier la colère que je nourris pour son paternel et donc indirectement pour elle.
- Maman, je te présente ma fille, Azel. Et Azel, je te présente Myosotis, ta grand mère.
Mon regard bleu glisse vers Myosotis. Elle semble un peu surprise et je pense que c'est normal, dans le fond. Qui aurait pu croire que je serai devenue mère si vite, d'autant plus que j'avais jeté mon dévolu sur une jument, à la base. Elle devait sans doute s'imaginer qu'elle ne serait jamais grand-mère par mon biais. C'était sans doute mal me connaître.

La dorée suit docilement sa fille jusqu'à l'extérieur du camp. Elle se demande qui elle pourrait bien lui présenter. Un potentiel petit ami ? Ou petite amie ? Aucun des deux, visiblement, puisque c'est une pouliche qui les attends sagement là. Un peu surprise, Myosotis jette un rapide coup d'oeil à Absinthe avant de reporter son attention sur la petite. Sa petite fille donc.
- Bonjour Azel, souffle avec douceur la dorée.

Je reste volontairement un peu en retrait pour laisser Myosotis et Azel faire connaissance. Elles auront peut-être besoin l'une de l'autre, dans un avenir plus ou moins proche. En tous cas, j'aimerai qu'Azel apprenne à connaître sa grand-mère et qu'elle ne choisisse pas de briser ce lien qu'elles pourraient créer entre elles.

Myosotis offre un doux sourire à la pouliche qui semble un peu perdue. En même temps elle pouvait la comprendre, si Absinthe s'était cachée si longtemps du regard des autres, créer des liens ne devait pas être quelque chose d'aisé pour Azel même si elle était encore bien jeune.
- Quel âge tu as Azel ?

- C'est bien ça, j'affirme.
Déjà trois mois. Curieusement, depuis sa naissance, le temps me semblait s'écouler bien plus vite. Et pourtant, les quelques jours qui avaient précédés sa naissance m'avaient semblé être longs à en mourir. Je m'étais jamais sentie aussi seule que durant cette période. Seule avec pour seule compagnie cet énorme ventre qui était apparu du jour au lendemain.

Le regard de la dorée est bienveillant. Elle a toujours aimé les poulains, qu'ils soient les siens ou pas. Mais Azel était particulière, parce qu'elle était son premier petit-enfant.
- Je suis heureuse de te rencontrer, souffle-t-elle en glissant ses naseaux vers ceux d'Azel.
Ainsi, elle lui laissait l'occasion d'accepter ou de décliner le contact.

Ce premier contact reste timide. Ce n'est pas tellement surprenant et Myosotis décide de ne pas forcer la pouliche qui ne semble pas très à l'aise avec ce genre de geste.
Son regard clair quitte finalement la pouliche pour se poser sur la palomino. Elle ignore tout de cette histoire mais elle sait d'instinct que sa fille n'est pas heureuse. En fait, ça fait déjà quelques mois qu'elle lui semble éteinte. Absinthe qui était si solaire est devenue lunaire. Elle semble blessée, éreintée. Elle lui fait penser à elle, quelques années en arrière, lorsqu'elle fréquentait Kieser. Et c'est douloureux pour Myosotis de le constater.
Finalement, son regard revient sur Azel qui observe une coccinelle. Dans cette histoire, c'est certainement elle qui souffre le plus. Et malheureusement, la dorée n'y peut pas grand chose.