Poursuite difficile

Un couinement se fit entendre dans la forêt tandis qu'une lourde silhouette, d'un mètre soixante dix, se leva difficilement. Elle a très mal dormi aujourd'hui la mamie. Son arthrose a été beaucoup plus douloureuse qu'à l'accoutumée et sa vision était devenue plus trouble. Heureusement, le sommeil a réussi à calmer cette vision, mais non pas la douleur. Alors, lorsqu'elle se releva, on pu entendre un craquement sinistre et la jument grogna. La vieillesse la faisait tellement souffrir. Finalement, sachant parfaitement que le mouvement calmer tout cela, elle se mit en route et marcha calmement. Après plusieurs minutes de marche, elle se retrouva devant une immense étendue d'herbe. Sa faim et surtout sa gourmandise furent beaucoup plus grandes et ainsi, elle se mit à brouter sans se poser une seule question. Soudain, un bruit de galopade se fit entendre et elle releva la tête : un troupeau de bison venait vers elle avec colère. Et merde. Alors, sans se poser une seule question de plus, elle partit au grand galop, les oreilles dans sa crinière et la queue entre ses cuisses.

La vieille jument ne comprenait pas ce qui était en train de se passer derrière elle : comment des bisons pouvaient-ils la poursuivre ? Avaient-ils eu peur de quelque chose ? Défendaient-ils leur territoire ? Elle ne saurait le dire, mais son âge faisait en sorte qu'elle avait beaucoup de mal à, de un, contenir ses émotions et, de deux, refouler la douleur que lui provoquait son arthrose. Elle en avait rencontré des animaux durant ses péripéties, pourtant, mais les bisons jamais. Elle se souvenait de ce glouton qu'elle avait croisé un jour ... Un pauvre animal faisant la taille d'un chien et semblant inoffensif. Tout du moins, il semblait seulement. En effet, lorsqu'elle voulut traverser la forêt et donc passer au dessus de son terrier, il n'hésita pas une seule seconde et se jeta sur son paturon gauche. Depuis ce jour, il lui manquait une glome au postérieur gauche, mais heureusement cela ne se voyait pas. Il n'y avait qu'elle qui le savait, mais surtout qui le ressentait sur les sol rocheux ou le sable trop chaud. Alors que Cap' semblait entrevoir une porte de sortie face à elle, un buisson, on la bouscula brutalement et elle se retrouva bien vite au sol, couinant de douleur. Son corps, trop vieux pour ces conneries, venait de percuter violemment le sol et donc venait de réveiller ses muscles bien trop âgés. Elle cligna les yeux quelques secondes, tentant de reprendre ses esprits et les mit sur une jeune jument isabelle, face à elle, qui voulait l'aider. C'était donc elle qui venait de la jeter au sol ? Elle allait l'engueuler mais lorsqu'elle distingua les bisons passer à toute vitesse derrière son homologue, elle comprit : elle venait de lui sauver la vie. Et aussi mauvaise qu'elle était, elle n'a jamais été ingrate envers ceux qui l'aidaient, c'est pour cette raison qu'elle accepta volontiers la main qu'on lui tendait. Malheureusement, cette chute venait de réveiller une vieille blessure dans sa cuisse droite et donc, elle eut du mal à poser son postérieur au sol.

" Merci de m'avoir sauvé la vie ... " souffla-t-elle en tentant de masquer sa douleur.

Comment voulez-vous qu'elle en veuille à une jument qui venait de lui sauver la vie ? Bien entendu, elle était connue comme étant une âme tourmentée, une jument ayant beaucoup de mal avec la communauté, mais avec l'âge, elle avait réussi à mettre de côté sa fierté lorsqu'on lui venait en aide. Bien sûr, elle ne réagirait pas comme la plupart des pouliches, sautant au cou de leur sauveurs et les aimant dés le premier regard ... Non, elle, elle savait comment cerner les autres, mais surtout comment agir avec eux. La communauté la rendait nerveuse, c'est pour cette raison qu'elle demeurait solitaire. Lorsque la jument s'excusa pour ses plantes, elle secoua la tête en lui lançant un regard empli de reconnaissance. Elle avait perdu les plantes qui pourraient soulager sa douleur ? Cap' s'en moquait complètement. Tout ce qui comptait aujourd'hui, c'est qu'elle était vivante. Elle se moquait pas mal de souffrir, elle souffrait depuis beaucoup trop d'années de toute façon, et tenta de reposer son postérieur au sol. Malheureusement, sa cuisse refusa de se déplier et donc la douleur fut encore trop présente. Lorsque l'isabelle se colla à son flanc pour l'aider à marcher, la grise se décolla immédiatement, elle détestait cette proximité. Puis lorsqu'elle lui proposa d'aller voir un guérisseur et lui demanda si elle en était capable, Cap' poussa un profond soupir, en adressant un sourire presque triste à sa vis-à-vis.

" J'ai supporté bien trop longtemps cette douleur pour aller voir un guérisseur, vous savez. Et puis, en marchant, elle disparaîtra et mon postérieur se reposera ne vous en faîtes pas. " Elle tenta de faire un pas pour le lui prouver.

Personne ne la comprenait et de toute façon, elle ne faisait pas en sorte qu'on la comprenne. Elle ne trouvait aucun intérêt en cela. A quoi bon vouloir se faire comprendre ? Pourquoi voulait-elle se faire comprendre ? Ce n'était pas utile, mise à part le fait qu'on veuille la cerner pour mieux l'anéantir tout simplement. Tous les chevaux qu'elle avait rencontré dans le passé l'avaient fait. On avait été gentil avec elle une fois, deux fois, dix fois, mille fois et finalement, ça finissait toujours de la même manière : on la bernait et la laissait pour morte. A dix-sept ans, elle était épuisée par cet abus, par cette compréhension inutile. C'est pour cela que la proximité lui faisait peur, c'est pour cela que le contact la répugnait. Si elle avait connu l'amour ? Ce n'était pas le but dans sa vie. Avait-elle connu l'amitié ? Sans aucun doute, mais cette amitié a vite disparu sous un couteau entre ses deux omoplates. Alors lorsque l'isabelle sembla déçue et décontenancée par son comportement, elle s'en moquait, réellement. Elle connaissait son corps, mais surtout son état d'esprit du moment. Finalement, aux présentations faites, elle hocha la tête et lui adressa un subtil sourire. Elle voulait paraître aimable, c'était le moins qu'elle puisse faire face à sa sauveuse.

Effectivement, la petite jument isabelle a raison : les adjectifs qualifient facilement les gens. Mais certains ne sont pas à mettre avec autant d'évidence que cela. En effet, qualifier quelqu'un d'hypocrite doit se faire que quand on réellement la personne. L'hypocrisie n'apparaît qu'après plusieurs mois, après plusieurs années si on sait le discerner. La franchise, quant à elle, n'apparaît qu'après plusieurs jours. On arrive bizarrement plus facilement à discerner la franchise de l'hypocrisie. Car les gens hypocrites manipulent, alors que les gens francs pas du tout. Mais apparemment, la douceur était une qualité que la jument possédait réellement. Dommage pour elle : la douceur rend les gens faibles, vulnérables et facilement manipulables. Car en étant trop gentils, on abuse facilement de notre coeur. Inoubliable ? Elle ne l'était pas. C'est une bonne chose qu'elle n'ait pas confirmé, car en le confirmant elle serait passé pour une égocentrique. Et la grise détestait les égocentriques. En réalité, depuis des années, elle était devenue froide, silencieuse et surtout dure avec les autres pour éviter qu'on abuse d'elle. A la question de sa vis-à-vis, Cap' lui adressa un sourire énigmatique.

" C'est une bonne question : disons que ce nom correspond parfaitement à l'identité que je souhaite avoir. " dit-elle en toute franchise.