Liens de sang ▬ A |-18

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Voilà plusieurs semaines qu'Absinthe a rencontré son défunt père à l'arbre aux âmes. Plusieurs semaines durant lesquelles elle a cherché vainement à digérer cette nouvelle qui lui est tombé sur le coin du nez ; celle d'un frère caché. Au début, elle s'est sentie assaillie par la nouvelle. C'était si brutal... Et après la colère, sourde et aveugle, s'est mise à grandir insidieusement dans un coin de sa tête. Depuis quelques temps déjà, la petite palomino était à fleur de peau. Autant dire qu'il ne lui en fallait pas plus pour céder à cette émotion aussi primaire qu'est la colère. A la frustration. A la tristesse. Elle ne pouvait plus tenir. Elle ne pouvait plus faire abstraction de ce petit frère fantôme. Les liens de sang sont forts. Et elle le ressent au plus profond d'elle ; elle doit le retrouver.
C'est pour cette raison qu'elle s'est rendue sur l'île Nayati. Pour comprendre. Son pas est hâtif alors qu'elle s'avance vers la roche-mère. Elle a espoir de tomber sur Faucon. Et redoute un peu de tomber sur Toundra. Mais il est trop tard pour faire marche arrière. Elle est là.

Et comme s'il avait entendu son appel muet, Faucon est là. Juste un couloir plus loin, tapi dans la grotte, profitant du courant d'air qui s'engouffre pour y capter toutes les odeurs sans risquer d'être vu. L'odeur qui pénètre dans ses naseaux dilatés est étrangère mais pas inconnue. Ce n'est pas un Nayati. Mais Absinthe. Curieux de savoir ce qu'elle vient faire ici, il s'extirpe de la Roche-Mère avec assurance, détendu. Il n'a rien à craindre d'Absinthe. Il s'avance droit sur elle, sans hésitation. Après être partie si brusquement l'autre jour, je ne pensais pas que tu te risquerais à me croiser de nouveau, souffle-t-il d'un ton taquin, plus amusé que vexé en réalité.

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Elle s'immobilise et prend une grande inspiration. Sois courageuse Absinthe, se répète-t-elle alors que son pouls s'accélère sensiblement. Une vague envie de vomir la titille également ; sans doute est-ce à cause du stress. Le vent qui souffle doucement lui fait du bien. Malheureusement, il souffle dans son dos et par conséquent, il lui est parfaitement inutile. Mais de toutes façons... Elle ne joue pas à l'espionne. Au contraire, elle veut qu'on sache qu'elle est là.
Et on ne tarde pas à venir à sa rencontre. Un léger soupir de soulagement lui échappe d'ailleurs lorsqu'elle réalise qu'il s'agit de Faucon. Elle laisse un fin sourire prendre place sur ses lèvres.
- Et pourtant je suis là, répond-elle avec malice en posant son regard océanique sur lui.
Pour le moment, elle garde pour elle toutes ses questions. Elle a peur de le braquer alors que ce n'est clairement pas le but. Il est sa seule et unique chance de retrouver son frère... Alors elle n'a pas le choix. Elle n'a pas le droit à l'erreur.

Il accueille ses paroles avec son sourire fin, s'avançant toujours vers elle jusqu'à n'être plus qu'à un mètre. Il s'arrête lentement, sans la quitter de l'oeil, avec un sourire en coin. Tu m'en vois ravi, lui dit-il, franc. Ses naseaux inspirent son parfum, cela le ramène à leurs ébats mais il n'en dit rien, n'en montre rien. Tu me cherchais ? demande-t-il à tout hasard, ne voyant pas vraiment d'autres raisons pour elle de venir ici, devant la tanière des Nayati si ce n'est pour cela. Il ne doute pas un instant que ce n'est pas Toundra qu'elle est venue chercher. En même temps, elle doit avoir une raison solide pour se risquer dans un endroit où sa fille risque d'apparaître elle aussi. Suis-moi, lui intime-t-il doucement mais toujours avec cette fermeté naturelle. Il retourne dans la Roche-Mère, marchant lentement pour ne pas la semer, l'emmenant quelques couloirs plus loin, dans une pièce où l'odeur de Faucon est forte puisque c'est ici qu'il passe ses nuits.

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Le souvenir de leurs ébats la traverse furtivement, elle aussi. Comment oublier ? Cette journée avait été explosive, dans tous les sens du terme. Et elle est inoubliable, c'est certain. Aussi bien du côté positif que du côté négatif d'ailleurs. Le genre de souvenir que tu as envie de revivre cent fois mais d'oublier à jamais en même temps.
- Oui, affirme-t-elle.
Bien-sûr qu'elle le cherchait. Quel autre Nayati se serait-elle donné la peine de venir chercher en plein sur leur territoire ? Aucun autre.
Son cœur loupe un battement lorsqu'il lui ordonne presque de le suivre. Pourquoi éveille-t-il aussi aisément ses sombres envies ? Pourquoi a-t-elle ce désir presque viscéral de le suivre, peu importe où il compte l'emmener ? Face à lui, elle n'oppose aucune résistance. Elle prend le pas et se laisse docilement guider à l'intérieur du dédale que renferme la roche-mère. Elle ne peut s'empêcher de laisser son regard courir le long des murs et parfois même dans les petites pièces devant lesquelles ils passent avant d'arriver à destination. D'un pas presque hésitant elle pénètre dans la pièce qu'elle devine être la tanière de l'étalon. Perdue dans sa découverte, elle oublie presque la raison de sa venue ici. Jusqu'à ce que son regard croise de nouveau celui de Faucon et qu'une petite étincelle lui vrille les reins. Non. Elle ne peut pas penser à ce genre de choses, non. Elle n'a pas le droit, elle a une mission !
- Est-ce que nous sommes seuls ici ? Demande-t-elle finalement.

Il l'entend la suivre, sourit dans l'ombre sans qu'elle ne puisse le voir, occupé à marcher. Pendant le court chemin, il a lui aussi cette envie dérangeante de faire volte-face, juste pour se retrouver contre elle. De la plaquer là, à même la pierre de la Roche-Mère. Impassible, il continue sans un mot, sans rien montrer. Il se retourne une fois arrivé, observe sa réaction, détaille son visage doré, ses crins clairs, les yeux bleus qu'il tente d'attraper, d'accaparer. Parfaitement seuls, répond-il d'un ton neutre. Pourtant, une lueur amusée vient de naître dans son oeil glacé. Il avance d'un pas vers elle. Enfin, il ne faudrait pas crier trop fort non plus... souffle-t-il, aguicheur, implacable, mutin.

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Une once de satisfaction illumine ses iris glacés lorsqu'il lui répond qu'ils sont parfaitement seuls. C'est parfait. Pour le moment, il faut absolument que la Tribu ne soit pas au courant de ses intentions. Seul Faucon doit être dans la confidence. Parce qu'elle lui fait assez confiance pour ça. Parce qu'elle ose espérer qu'il l'aidera et ne la trahira pas.
Une lueur sauvage enflamme son regard lorsqu'il fait un pas vers elle. Et ses paroles aguicheuses lui brûlent furieusement les joues. De nouveau, elle oublie la raison de sa venue pour se concentrer sur le bai qui taquine le démon lubrique qui vit en elle. Elle le dévore presque du regard avant de le rejoindre d'une démarche gracile. Ses lèvres effleurent rapidement les siennes avant de glisser jusqu'à son oreille.
- J'en prends note... Mais avant ça... J'ai un petit service à te demander, souffle-t-elle d'une voix suave, presque mielleuse.

Elle semble se prendre au jeu. Du moins, Faucon y croit. Il baisse la garde, prêt à lui faire revivre ce feu violent de l'autre fois. Leurs lèvres s'effleurent, elle murmure et il s'apprête à se jeter sur les siennes. Pourtant, ses derniers mots ont l'effet tout inverse et le mâle se concentre de nouveau, reprenant ses esprits, écartant le début d'envie qui l'a tiraillée. Je t'écoute, lui répond-il, sérieux. De quoi pourrait-elle avoir besoin, venant de lui ? Est-ce un problème avec Toundra ?

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Ses lèvres glissent le long des traits de son visage, descendant jusqu'à ses lèvres qu'elles effleurent à nouveau avant de s'en écarter pour de bon. Elle a besoin qu'il ait les idées claires, au moins l'espace de quelques minutes. Son regard plonge dans le sien, cherchant à le sonder. Sera-t-il de son côté ? Absinthe prend finalement une grande inspiration. Elle ignore comment faire pour lancer le sujet. Alors autant y aller directement.
- J'ai appris il y a peu de temps que j'avais un petit frère et qu'il vivait ici. Sa mère est morte et... Il a très certainement été adopté par Nyveèn, d'après ce que j'ai compris. Je veux le retrouver. J'ai besoin de le retrouver, souffle-t-elle sans faillir une seule fois.
Evidemment, elle sait que Nyveèn est la mère de Faucon. Et par conséquent, si l'araignée à bel et bien adopté le poulain de Bailey et Sueño... Faucon est forcément au courant.

Faucon pense une seconde qu'elle va céder mais elle s'écarte. Il reste stoïque, et au fur et à mesure qu'elle entame son histoire, il sent son sang se glacer. Il ne le montre en rien, parfaitement maître de ses émotions. Il fallait bien que ça le rattrape un jour, n'est-ce pas ? Tant d'années qu'il vit avec ça sous silence. Peut-être même que cela peut durer encore un peu. A part moi, ma mère n'a élevé qu'un autre enfant. Narval est ton frère ? demande-t-il, en apparence parfaitement détendu. Pourtant intérieurement, il prie pour qu'ils aient eu le même père. Le père, et pas la mère. Faîtes qu'il n'ait pas tué sa mère à elle aussi, ce jour-là.

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La réponse ne tarde pas à tomber ; Nyveèn a bien élevé un autre enfant. Une once de joie s'immisce en elle. C'est certain, elle est sur la bonne voie ! Elle s'efforce pourtant de ne rien laisser paraître. Il faut absolument qu'elle contrôle ses émotions de A à Z. Absolument.
- Je... Je n'ai aucune idée du nom qu'on lui a donné. Je sais juste qu'il n'est pas mort en même temps que Bailey. Et c'est certain que Nyveèn était là le jour où il est né, explique-t-elle posément.
Malgré qu'en réalité, elle est loin d'être calme. Au contraire, c'est un joyeux bordel dans son crâne. Elle essaie tant bien que mal d'assembler ce foutu puzzle que son père lui a si gentiment balancé.
- Narval ? C'est le nom de cet enfant... ? Je... Tu crois que... Que je pourrais le voir ? Ose-t-elle finalement demander, le cœur battant.
Il faut absolument qu'elle puisse l'emmener jusqu'à l'arbre... Qu'il puisse rencontrer Sueño et Bailey. Qu'il sache d'où il vient.

Il l'écoute avec attention, hochant petit à petit la tête. D'un ton plein de franchise, il répond tranquillement : Oui, il s'agit bien de Narval, c'est son nom. Je me promenais avec ma mère, Nyveèn, quand on est tombés sur cette jument, Bailey. Faucon est persuasif, rien ne change dans sa voix, rien n'influence son ton. Ses paroles défilent, comme habituées, comme préparées - parce qu'elles le sont. Elle était mourante et nous n'avons rien pu faire. Nous avons sauvé l'enfant pour l'élever. Il n'a appris que très récemment qu'il n'était pas de notre sang, termine-t-il avec un sourire de biais. Il restera toujours mon frère. Mais il ignore qui est ou était son père. Nous ne le savions pas non plus, mais son nom est donc Sueño.
Il se rapproche d'un pas, sérieux mais avec un sourire fin. Je pense que tu peux le trouver ici sur l'Île, il vit ici lui aussi. Il est plutôt grand, blanc comme neige, des yeux aussi clairs que le mien. Tu pourras pas te louper, il est encore plus space que moi fait-il en se permettant même de rire. Puis, discrètement, il demande : Et donc, toi aussi tu es une fille de Bailey ? Sa question est curieuse, presque innocente. Il préfèrerait que ça ne soit pas le cas.

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Il sait y faire l'oiseau ; Absinthe croit en sa petite histoire sans peine. En fait, elle se sent presque triste pour Bailey. Elle était mourante ? Aussi jeune ? La palomino tique légèrement sur ce détail. Elle a beau chercher dans ses souvenirs, elle revoit la jolie baie en parfaite santé.
- Nyveèn n'était pas au courant que Bailey était la compagne de Sueño ? Ose-t-elle demander, une nouvelle fois sceptique quant au discours de Faucon.
Cette histoire lui semble clairement étrange mais elle n'en dit rien. Son regard suit tous les mouvements de l'étalon. Elle ne bouge pas d'un millimètre lorsqu'il s'approche. Un simple sourire glisse sur ses lèvres.
- J'imagine qu'il a prit la carrure de notre père... S'amuse-t-elle, une leur de malice faisant pétiller son regard.
- Non pas du tout. Je suis la fille de Myosotis. Elle était la première compagne de Sueño, avant que... Bailey n'arrive. Enfin... Qu'elle se décide à aimer mon père, répond-elle, un poil agacée.
Parce que, oui, certaines blessures ne cicatrisent jamais parfaitement...

Faucon plisse les yeux, appréciant peu la méfiance qu'il ressent échapper du comportement et des mots d'Absinthe. Comment l'aurait-elle su ? Bailey était au sévèrement blessée quand nous l'avons trouvée. On n'a pas vraiment pu lui imposer un interrogatoire. Au départ, nous n'avions même pas vus qu'elle était pleine, précise-t-il froidement mais de son ton naturel, sans animosité, sans montrer même qu'il sent son incompréhension face à cette situation. Il hoche la tête pendant qu'elle lui raconte son histoire. Je vois. Je ne connais ni ta mère, ni ce Sueño, et je ne connaissais pas Bailey non plus. Pas avant de la tuer. Il détourne son oeil pour le fixer dans la roche. Narval voudra peut-être connaître son père. Cela lui serait sûrement bénéfique, il n'en a jamais eu.

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En fait, Absinthe pensait simplement que Bailey était relativement bien connue. Mais ce n'était visiblement pas le cas.
- Excuse-moi... C'est simplement que cette histoire me semble tellement... Folle, soupire-t-elle.
Presque irréelle en fait. Entre ça et la nouvelle de la mort de son père... Absinthe a vraiment l'impression d'être dans une sorte de cinquième dimension. D'un pas presque hésitant, elle s'approche de Faucon. Il a toujours été froid - c'est son tempérament naturel - mais là, il lui semble réellement distant.
- J'espère qu'il en aura envie, avoue-t-elle.
Elle se retient de justesse pour ne pas préciser que, malheureusement, il n'aura pas pour autant un père à ses côtés. Parce qu'hélas, Sueño n'est plus de ce monde. Comme sa chère et tendre Bailey. D'un geste doux, Absinthe effleure l'encolure du mâle avec ses naseaux.
- Toundra va bien ? Ose-t-elle finalement demander, après un court moment de silence.

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