sweet poison (e)

Elle avait allumé un petit feu. Le feu qui n'aurait jamais du s'éteindre. Mais c'était trop tard pour les regrets. Enja s'éveillait à la nuit tombée, d'un sommeil sans rêve, et à ce constat, elle eut un léger sourire. La concoction de la veille avait donc fonctionné. Elle en déboucha une nouvelle, qu'elle avala d'une seule gorgée. Sa souffrance lui paraissait plus légère, plus abstraite.

Azara erre dans les environs. C'est ici que son père a grandi. C'est ici que l'assassine de son père a grandi elle-aussi, en sa compagnie. C'est aussi ici que beaucoup ont vécu, fut un temps. Nombre de sa famille, en tout cas. Désormais, les choses avaient changées. Et bien sûr, plus rien ne sera plus comme avant. Absolument rien. Azara ignorait que les choses pouvaient filer aussi vite, sans qu'on ne puisse plus rien rattraper. Pourtant, ironiquement, elle avait découvert ce qu'était la mort dès ses premiers instants de vie. Aujourd'hui, elle se sent plus seule que jamais. Sa grande famille représente beaucoup pour elle, mais pas autant que ceux qui lui ont été arrachée.

Azara progresse dans les environs, longeant la cascade. Elle effleure les pierres et les tanières à moitié détruites du bout du museau. Un faible bruit lui fait relever la tête et dresser l'oreille. Elle observe les alentours et, dans un recoin un peu assombri, aperçoit Enja qui semble se délecter d'un étrange liquide. La grise penche la tête sur le côté et décide d'approcher, sourcils froncés. A quoi ça sert ? Sûrement à oublier, se dit-elle. Les horreurs qu'avait vécues Enja ces derniers jours dépassaient probablement celles de Azara. Pour Azara, tout s'était écroulé brutalement sur ses épaules. Elle n'avait que rarement été affaiblie avant ce cataclysme alors elle avait su ne pas tomber. Mais pour Enja.. c'était autre chose. L'accumulation, probablement. Le jeune âge de la guerrière Tsöldur l'empêchait de connaître cette sensation. Et pourtant.

Azara sait éprouver de l'empathie. Pour ceux qui la méritent. Mais parfois, elle ignore comment l'exprimer de manière correcte. Alors elle approche de la petite bai et croise son regard un instant. Sans savoir quoi dire -parce qu'il n'y a rien à dire, dans certains moments-, Azara continue de marcher jusqu'à créer un contact avec Enja. Là, elle finit par l'enlacer silencieusement, sans craindre rejet ni colère. De toute façon, Azara agit par instinct.

Dans le brouillard de ses pensées, Enja aperçoit une silhouette, qu'elle pensa être celle d'Aszio. Rien de plus normal, vu leur ressemblance. Mais en peu de temps, la brune sut qu'il s'agissait d'Azara. Après tout, elle les avait nourris tous les deux, quand ils étaient jeunes. Aussi savait-elle parfaitement les distinguer. Enja n'avait jamais eu l'occasion d'être aussi proche d'Azara que d'Aszio, probablement un de ses regrets d’antan. Probablement en aurait-elle eu tout autant besoin que son frère. Elle sent le corps de la grise contre le sien, l'enlacer. Elle se raccroche à cette chaleur, revient un peu à la réalité, groggy. « Azara, ma puce... » commença-t-elle. Un surnom qu'elle avait employé à plusieurs reprises quand elle était enfant. Probablement qu'elle ne l'avait jamais vraiment apprécié d'ailleurs ? « Je suis tellement désolée.. » C'est tout ce qu'elle trouvait à dire au reste des ergiens. Parce qu'il n'y avait pas d'autres mots. Parce qu'elle n'avait plus rien à dire ?

Azara n'avait jamais connu sa mère. Pourtant, à l'Erg, elles avaient toutes eu ce rôle pour elle. La protection de Bryséis, la douceur de Enja, la tendresse de Phoenix jusqu'à la bienveillance de Fiona. La grise ne les avait jamais remerciées. Peu axée sur les sentiments, elle n'avait même pas su leur rendre cet amour. Mais c'est dans les actes et les décisions qu'on peut lire la reconnaissance d'Azara. Si elle n'avait pas quitté l'Erg pendant la période sombre, c'est parce que les Ergiens avaient été là pendant sa période sombre, à elle. Ils avaient tous cherché à prendre soin des jumeaux. Azara ne rechigna pas à l'appellation doucereuse de son ancienne nourrice. Peu adepte des surnoms, elle avait su accepter celui-là. Parce que dans ces mots, dans cette appartenance, elle s'était sentie aimée et protégée. Elle ne s'était pas sentie orpheline et c'est tout. Elle l'était pourtant. Et aujourd'hui plus que jamais.

Je suis désolée. Azara se redresse et fronce les sourcils. Comment pouvait-elle l'être ? Comment osait-elle l'être ? Enja n'avait pas à s'excuser. Elle ni personne n'était responsable de ce qui était arrivé. La mort est une fatalité. Elle ne nous rend pas visite parce que nos voisins lui ont envoyé une invitation. Aux yeux d'Azara, peu sont aussi innocents que l'est Enja. Non. La stoppe t-elle immédiatement en plongeant son regard dans le sien, ferme de nature. Tu n'as pas à l'être. Qu'avait-elle à se faire pardonner ? Azara était triste que sa nourrice ait quitté l'Erg, bien sûr. Mais comment lui en vouloir ? Elle avait perdu beaucoup. Et l'esprit des uns est plus rapidement pénétré par la douleur que celui des autres. Azara réussissait à le concevoir. Même si cela lui fendait le cœur. On prend tous des chemins différents.. Sa voix se fait plus douce et elle relève son regard vers Enja. Certaines choses ne trompent pas. Je suis sûre que ce bébé t'offriras le bonheur que tu as toujours mérité. Alors je t'interdis dans le mettre en danger. Et sur ces mots, elle donna un violent coup de tête à la fiole qui vint se briser sur un rocher. Elle ignorait ce qu'elle contenait, mais à en juger de l'état légèrement groggy de la brune, cela devait servir de drogue. Azara poussa un faible soupir. Je sais que c'est dur.. Mais si tu veux un conseil, regarde le futur et cesse de te rattacher au passé. Ce qui est fait est fait. Tu dois te concentrer sur le futur si tu veux qu'il soit radieux. Accroche toi, Enja. Sa voix est dure, presque sévère. Azara a toujours été très abrupte lorsqu'elle s'exprime. Pourtant, tous ces mots ne sont que bienveillance et encouragement. Elle est jeune et on pourrait lui reprocher de ne pas pouvoir imaginer les terribles maux qui peuvent ronger un cœur. Mais à l'heure d'aujourd'hui, Azara a déjà été baptisée. Et même si elle ne pourra jamais être aussi brisée que Enja ne l'est aujourd'hui, elle sait une chose : lorsqu'on a un genou à terre, il faut s'en servir pour se relever. Par pour tomber.

chronologiquement, enja a déjà accouché, je sais pas si inrp tu pensais qu'elle était encore pleine mais ci po le cas :p

Les paroles sont dures à encaisser. Et pourtant. Et pourtant Azara, dans toute sa jeunesse et la maturité prématurée qu'elle avait du acquérir, avait les mots les plus justes qu'elle ait entendu jusqu'ici. Même dans ce soupçon de douleur que lui inspiraient ses paroles, elle était reconnaissante. Elle sentait que c'était ce qu'elle avait besoin qu'on lui dise. Pas seulement qu'on la brosse dans le sens du poil, encore moins qu'on la prenne en pitié. Ceci dit, les mots ont eu le don d'assécher ses yeux humides. Si elle savait Azara forte de caractère, elle ne pensait pas qu'elle conserverait aussi bonne posture face aux événements. « Tu as raison, Azara. J'avais besoin de ce moment de flottement. Maintenant, il est temps de revenir à la réalité... » Encore si dure à affronter. Son ou plutôt ses deuils, elle ne savait pas par quel côté les aborder. Si elle devait les vivre un par un, ou tous en même temps. En une seule vague : unique et puissante. « Mais dis-moi plutôt comment tu vis tout ça, toi. » souffla-t-elle, préférant, comme souvent, ramener la conversation à autre chose qu'à elle-même.

La jument est soulagée de voir que les larmes bordant les yeux d'Enja s'amenuisent au fur et à mesure. Elle la fixe, droite comme un i, le regard plongé dans le sien. D'après certaines rumeurs, beaucoup pensaient qu'Enja et son père finiraient un jour ensemble. Ces commérages avaient toujours agacée Azara, qui n'imaginait pas son père avec qui que ce soit d'autre que sa défunte mère. Avec qui que ce soit d'ailleurs. Elle avait toujours connu Asmund seul, par fatalité. Mais peut-être Enja aurait-elle moins souffert si elle s'était orientée vers l'appaloosa et non Xander... Bref. Les choses ne peuvent être changées. Ce qui est fait est fait. Et puis, si cela s'était déroulé comme ça, Azara et Aszio n'auraient jamais existé. Et ça, no way Azara agite son encolure et laisse retomber sa crinière sombre le long des muscles de son épaule. C'est difficile, bien sûr. Je ne sais pas trop comment les choses vont évoluer, mais j'espère que toutes ces pertes n'auront pas été vaines. Un peu de bonheur ne serait pas de refus. Ricane t-elle, en réalité très sérieuse. Mais le bonheur, il lui a toujours échappé. Depuis sa naissance, il la fuit comme la peste. Azara a bien remarqué qu'Enja avait fait en sorte de reporter la conversation sur elle. Curieuse, la Tsöldur renchérit, Comment il s'appelle ? Ton enfant.

La brune acquiesça calmement. Elle partageait cette pensée. C'était une douleur et une perte colossale. Pourtant, elle s'était réfugiée dans l'espoir que ce soit la plus grande leçon de leur vie, de leur histoire à tous. « Tu es tellement mature, pour ton âge... » souffla-t-elle avec une certaine douceur, attendrie. Malgré cette forme de raideur qu'elle ressentait chez Azara - peut-être à tort -, elle vint caresser son toupet, pour le replacer de façon à mieux voir son regard. « ... mais j'oublie souvent que tu n'es plus une petite fille. » Et sûrement ne l'avait-elle jamais été, au fond. Cette pensée fana quelques peu son sourire. L'Erg leur avait tellement donné, mais leur avait tellement pris, aussi. Et la jeune génération avait sacrifié leur enfance pour le peuple du désert. Une pensée qui rendait son cœur amer, sans qu'elle ne puisse le contrôler. « Elle s'appelle Poppy. » Courte pause. « Elle est avec Thylacine. Mais tu la verras sans doute prochainement, si tu reviens dans la Jungle. »

Il était difficile, pour ne pas dire impossible, d'attendrir Azara. Elle refusait, en général, le contact avec qui que ce soit. Elle repoussait toute tendresse venant d'autrui. Mais la douceur d'Enja ne la laissait pas indifférente, et elle ne pouvait la repousser. Elle ne le voulait pas. Parce qu'au fond, elle aimait ça.Poppy ? Elle se redressa brusquement, retrouvant sa fougue habituelle. Azara mourrait d'envie de la rencontrer. Avec Thylacine en plus ! Cela lui permettra de revoir son ami adoré. Le veinard avait hérité d'une petite sœur. Azara, elle, a désormais la certitude qu'elle sera toujours la benjamine. Alors je vais revenir souvent ! Mais du coup.. Vous formez quoi maintenant ? Des solitaires ? Un clan familial..? Vous n'avez aucune protection.. Elle ne doutait pas de l'esprit maternel d'Enja, de la protection que Thylacine mais.. Elle savait qu'aucun d'eux n'était très familier avec le combat.

« Nous sommes solitaires. » confirma la brune, détaillant la mine inquiète de la pommelée. Elle eut une légère moue. « De quelle protection aurions-nous besoin ? La Jungle est le meilleur rempart contre les menaces, s'il en existe encore. » Parce qu'en soi, ils n'avaient aucun ennemis.

Azara continua d'observer Enja quelques minutes après ces paroles. Elle n'était pas vraiment convaincue. La jungle, à ses yeux, présentait également de nombreux dangers. Elle se rappela qu'Enja y avait passé son enfance et la plus grande partie de sa vie. Peut-être que lorsqu'on la connaissait bien, cette forêt tropicale représentait en effet, un rempart. C'était plus pour Thylacine et Poppy que le lieu préoccupait Azara. Ils allaient vite devoir apprendre à détecter les serpents venimeux, les jaguars, les araignées mortelles.. Il y a toujours des menaces, même si on ne les connait pas encore. Le monde n'est pas tout rose. Et bien sûr, elle savait que la bai ne pourrait qu'approuver ses propos. Enja semblait du genre à positiver, même après avoir traversé les ténèbres les plus sombres. Bien sûr, elle avait des coups de mou, et Azara venait d'en surprendre un. Comment ne pas en avoir ? J'espère que vous n'aurez jamais à en arriver à l'usage de la force. Et que vous trouverez le repos et la sérénité, ici. Elle releva la tête et observa les grands arbres. Visiblement, elles avaient attiré l'attention d'une dizaine de singes. Azara soutint leurs regards curieux et attentifs. D'autres paraissaient plus méfiants. Les plus âgés probablement. Comme eux, Azara avait appris à se méfier en grandissant. Même si elle avait encore beaucoup de mal à contrôler son émotivité et son hyperactivité, il lui arrivait d'avoir de sages raisonnements lorsqu'elle était au calme. Mais si vous avez le moindre soucis, je serai là.