On ne peut pas changer les ombres on peut juste les éclairer ▬ H

Le trajet jusqu'au camp indien a été long. Très long. Hirondelle n'a pas cessé d'essayer de fuir, en vain. Elle a pourtant usé de nombreux stratagèmes pour tenter d'y parvenir. L'indien l'a rapidement guidée jusqu'à un enclos verdoyant où d'autres chevaux se trouvaient. Et, curieusement, elle n'a pas réagit de façon extrême comme elle en a pourtant l'habitude. Au contraire, elle a prit le pas et s'est mit à longer la barrière de bois, sans doute à la recherche d'une faille.

Hirondelle s'arrête devant une planche qui semble moins résistante que les autres. Elle appuie progressivement son épaule dessus et force de plus en plus dans l'espoir de la briser, en vain. Elle est finalement plus résistance qu'elle ne paraît. La jeune jument reprend alors son inspection et s'arrête de nouveau un peu plus loin mais pas pour la même raison que précédemment. Cette fois ci, ce qui attire son attention, c'est l'odeur qu'elle vient de sentir. Son cœur se met à palpiter et sa peau frémit d'excitation alors qu'enfin, son regard dépareillé tombe sur la silhouette de Foudre, dans la pâture voisine à la sienne. Hirondelle rejoint dans un trot rapide la barrière qui les sépare.
- Toi aussi tu es là ?? S'interroge-t-elle, réellement surprise de voir sa tante ici.
Comment est-ce possible... ? Elle qui ne cessait de la mettre en garde concernant les Humains. Bah bravo...  

Au début, lorsqu'on l'a déposée ici, Hirondelle pensait que cet endroit serait horrible. Ce n'est pourtant pas le cas. Bon, certes, c'est rageant d'être enfermé mais il y a largement pire. Et puis ce n'est que temporaire, elle en est certaine. Plus ils seront nombreux et plus il sera facile d'organiser un plan d'évasion.
- Non. Je ne savais même pas que tu avais disparue vu que tu ne dormais plus à la roche-mère, répond-elle en couchant ses oreilles contre sa nuque, le regard noir.
Parce qu'elle n'a pas oublié leur dernière petite entrevue. Et pour tout dire, elle lui en veut encore.
- Je voulais libérer un autre cheval, finit-elle par avouer.
Et visiter leur campement également, c'est vrai. Ce qui est chose faite, désormais.

En temps normal, elle aurait aussitôt regretté ses paroles tranchantes. Faire volontairement du mal aux autres ne lui a jamais posé problème et la culpabilité, ce n'est pas vraiment son truc. Pourtant, avec Foudre, c'était différent. Mais aujourd'hui, Foudre était abaissée au niveau des autres. Parce qu'elle l'avait blessée en première et qu'Hirondelle avait la rancune tenace.
- N'importe qui. Je voulais juste leur proposer la liberté. A ceux qui sont du côté des humains. Et libérer ceux qui viennent de Luanera.
Sauf que son plan a lamentablement échoué et elle est la seule fautive. Elle n'était clairement pas assez entraînée pour se lancer dans une telle mission et ça lui faisait bien du mal de l'avouer.
Hirondelle redresse vivement la tête et s'éloigne de la barrière lorsque la noiraude donne un coup de sabot. Lui était-il adressé ? La silver espère que non.
- Je te déconseille de jouer à ça, dit-elle en couchant ses oreilles contre sa nuque.

Ce n'est même pas la colère qui étouffe Hirondelle mais la déception. Tant bien que mal, elle essaie de faire face à toutes ses émotions qui ne sont pas loin de la submerger. Elle regrette amèrement d'avoir confié son cœur et son affection mais aussi sa confiance à Foudre. D'autant plus lorsqu'elle décide d'éviter sa mise en garde. Comme si ses mots ne valent rien, seulement parce qu'elle est jeune. Ainsi, elle préfère faire voler en éclat leur relation plutôt que de l'écouter. Et bien grand bien lui fasse. Au moins ça permet à Hirondelle d'enfin réaliser qu'elle ne vaut pas grand chose aux yeux de l'éclaireuse des Nayatis. Tandis que Foudre s'énerve et montre son mécontentement, Hirondelle reste placide. Elle ne ressent pas le besoin d'extérioriser ce qu'elle ressent et pourtant, elle bouillonne. Intérieurement. Parce qu'extérieurement, elle est aussi glaciale que le vent du nord.
- Même sans moi il serait venu, siffle-t-elle entre ses dents.
Une autre raison le poussera à coup sûr à s'aventurer sur les terres indiennes. Déjà, Astrée. Il ne laissera jamais un membre de son clan aux mains des Humains. Pourtant, Astrée n'est sans doute que secondaire, dans l'histoire. Et la vraie raison, Hirondelle l'offre à Foudre sans chercher à faire dans la dentelle ;
- Boréale a disparue. La jument qui m'a élevée à disparue. Ma mère.
Elle marque une courte pause, redresse la tête et adopte un air hautain et plein de condescendance à l'attention de celle qu'elle considérait autrefois comme une tante mais surtout comme une "seconde" mère.
- Alors la sécurité du clan, j'la mets bien où tu penses, conclu-t-elle en tournant le dos à Foudre.
Puis de toutes manières elle ne ressent aucune once de culpabilité. Parce qu'elle en a clairement rien à foutre et ce n'est absolument pas de cette manière qu'elle parviendra à lui faire comprendre quoi que ce soit. C'est même bien le contraire, justement.

Autour d'elle, le silence est revenu. Il est assourdissant. Elle déteste ça. Lentement, ses oreilles glissent vers sa nuque et disparaissent sous ses crins dorés. Elle n'a jamais eu aussi mal qu'aujourd'hui. Comme quoi, finalement, Foudre a gagné. Elle a réussi là où beaucoup d'autres ont échoué ; elle a blessé Hirondelle. Et pas qu'un peu.
Son regard bicolore se perd dans l'immensité verdoyante de la plaine. Elle ignore si elle retrouvera un jour la liberté. Tout lui semble si flou, soudainement. Alors elle relève instinctivement les yeux vers le ciel gris et sa colère s'évapore. Elle ne donnera jamais raison à personne. Et désormais, sa décision est prise. Il n'y aura plus de retour en arrière possible.
L'une de ses oreilles se redresse et se tourne vers l'arrière lorsqu'elle entend la voix de Foudre. Elle n'a pas envie de lui pardonner son excès d'humeur. Parce qu'elle sait qu'un jour, elle la décevra. Comme tous les autres. Et elle est déjà lasse de tout ça.
- J'en ai vraiment marre que vous me preniez tous pour une gamine, s'insurge-t-elle entre ses dents serrées.
Elle regrette que les adultes ne soient pas capables de voir grandir les jeunes. Qu'ils ne soient pas capables de les faire évoluer car ils ne voient en eux que les bébés qu'ils ont été un moment. Hirondelle ne comprend vraiment pas ; elle n'a pourtant plus rien d'une enfant. Ni le corps, ni le caractère et encore moins la mentalité. Tout ce qu'elle désire, c'est d'être considérée comme une adulte et qu'on arrête de la brimer pour ce que tout autre adulte avec un minimum d'ambition aurait fait.
- Faudrait que je fasse quoi pour qu'on arrête de penser que je suis encore un bébé qu'il faut protéger à tout prix ? Que j'fasse un gosse pour prouver que j'suis adulte et que j'peux avoir des responsabilités ? S'indigne-t-elle.
Elle prend une grande inspiration et se retourne enfin vers Foudre.
- Je veux bien te croire. Mais saches que je suis tout de même déçue que tu n'ais pas cherché à me comprendre mais plutôt à me réprimander. J'ai déjà un père et une mère pour ça, répond-elle avec calme.
Le but n'est pas de remettre de l'huile sur le feu, simplement de s'expliquer avec Foudre. Car malgré tout, elle n'a pas envie de la perdre car elle est sa dernière attache si on ne compte pas Faucon et Boréale.

Bien qu'elle l'ait toujours su au fond d'elle, Hirondelle se laisse surprendre par les aveux de Foudre. Elles ont toujours eu un lien particulier et ce dès le début. Un lien qui dépasse de loin la simple relation qui unie une nièce et sa tante ou une marraine et sa filleule. Et bien que Boréale soit une très bonne mère, Hirondelle a toujours considérée Foudre comme étant sa deuxième mère. C'est quelque chose qu'elle n'explique pas. Peut-être parce que Foudre a été la première à l'accepter et lui donner de l'amour malgré sa difficulté à se montrer tendre avec autrui.
- Je ne pourrais jamais te tourner le dos... Souffle-t-elle en se rapprochant enfin de la barrière. Tu es bien trop importante pour moi, ajoute-t-elle en passant à son tour les naseaux à travers la barrière pour pouvoir toucher l'éclaireuse.
- On sortira d'ici, pas vrai ? Souffle-t-elle d'une petite voix lorsqu'elle réalise que malgré son sale caractère, Foudre n'avait peut-être pas entièrement tord lorsqu'elle l'avait accusée de mettre Faucon en danger.

Le poitrail appuyé contre la barrière, Hirondelle étend son encolure au maximum pour profiter des caresses de Foudre. Ca lui fait un bien fou de la retrouver. Elle se sent moins seule. Moins faible aussi. Elle comprend maintenant pourquoi son père tient tellement à ce que les Nayati soient unis. Parce que seul on va certes plus vite mais ensemble on va plus loin. Ce n'est pas pour rien que les loups vivent en meute. Et les humains aussi, visiblement.
- Tu crois qu'il est arrivé quelque chose à mon père ? Je... Je suis surprise qu'il ne soit pas encore là... S'étrangle-t-elle alors que les larmes lui montent subitement aux yeux.
Elle regrette amèrement de ne pas l'avoir écouté pendant le rassemblement. Hélas, c'est en faisant des erreurs qu'on apprend. Et savoir que Boréale avait disparue l'avait rendue imprudente car moins concentrée.
- Non je... J'ai essayé de casser les barrières mais c'est impossible...