It falls like rain ▬ M

Plusieurs jours se sont écoulés depuis l'arrivée de Myosotis au camp indien. Sa crainte des Humains s'est légèrement atténuée au fil du temps. Malgré tout, elle reste craintive et méfiante envers ceux qui la retiennent prisonnière. Elle n'a pas oublié son enfance, passée entre les quatre murs d'un box sordide.
Ce matin, le jeune indien - Ohanko - s'est occupé d'elle. Il l'a soigneusement pansée avant de l'emmener hors du camp. Pour le moment il n'a pas chercher à l'apprivoiser autrement qu'à pied. Il a lentement gagné sa confiance, au point qu'elle parvienne à ne plus avoir peur de lui.
Cette petite sortie en forêt fait du bien à Myosotis. Elle a presque l'impression d'être libre, l'espace d'un instant.

De temps en temps la brise souffle et entraine dans son sillage quelques feuilles orangées. Myosotis les regarde tourbillonner longuement dans les airs avant de tomber au sol. Bientôt, il n'y en aura plus une seule dans les arbres. L'hiver s'installera. Puis le printemps reviendra pour faire bourgeonner les arbres qui donneront naissance à d'autres feuilles. Un second cycle commencera, et ainsi de suite.
Les naseaux de Myosotis glissent dans le cou du petit indien. Elle s'est beaucoup attachée à lui ces derniers jours. Peut-être parce qu'il semble moins dangereux que les adultes. Ou peut-être parce qu'il a cette aura agréable, infiniment pure, qui rassure la dorée. Lorsqu'il se met à parler, elle l'écoute puis lui répond par un petit hennissement tout en abaissant la tête pour glisser son chanfrein sous sa main.

Myosotis prend un petit trot pour suivre l'enfant. Il semble tellement heureux... Que ça émeut sa maternalité. Même s'il n'est pas de son espèce. Après tout, est-ce que l'amour connait vraiment ce genre de limite ?
La dorée est curieuse de le voir revenir vers elle mais elle ne bronche pas. Ses oreilles s'orientent vers lui et une lueur surprise glisse dans ses iris verts lorsqu'il détache la longe du licol. Pourquoi ? Se dit-elle sur le coup. Puis elle réalise qui lui a simplement accordé sa confiance. Le cœur de Myosotis se gonfle de tendresse et elle le rejoint en quelques foulées de trot, piaffant légèrement à ses côtés pour danser avec lui sous une pluie de feuilles mortes.

Pour la première fois depuis qu'elle est prisonnière des indiens, Myosotis se sent bien. Elle se sent libre des fardeaux qui pesaient jusqu'alors sur ses fragiles épaules. Elle ne pense plus à ses malheurs. A Hope et Absinthe qui sont seules au camp, à Njörd et Filao qui sont sur les terres indiennes sans pour autant être à ses côtés... Et à son corps vieillissant qui, depuis quelques semaines déjà, lui envoie des signaux qu'elle ne peut ignorer. Sa maternalité est en deuil. Elle n'aura plus jamais d'enfant.
Le comportement du jeune indien la sort de ses pensées sombres. Il vient de tomber au sol et s'amuse maintenant à agiter frénétiquement ses bras et jambes. Pourquoi ? Est-ce qu'il a mal ? Dans un geste lent et délicat, elle approche ses naseaux de son visage. Est-ce que tu as besoin d'aide ?

L'enfant rit et dépose entre ses naseaux un tendre baiser. Le cœur de Myosotis se remplit de douceur. Il est l'exception qui confirme la règle ; la preuve que les hommes ne sont pas tous mauvais.
Un bruit sourd et inquiétant lui fait relever aussitôt la tête. Tous les sens aux aguets, Myosotis balaye la forêt du regard. Que se passe-t-il ? Même les oiseaux fuient la forêt. Un mauvais pressentiment s'empare de la dorée. Est-ce qu'un danger rôde dans les bois ? Un danger qu'ils n'auraient pas vu ? Les oreilles de Myosotis virevoltent dans tous les sens. Sous ses sabots, le sol commence à trembler de plus en plus fort, ce qui entraine sa chute. Son premier réflexe est d'allonger son encolure pour protéger le jeune indien. Son corps est plus solide que le sien. Quelques secondes plus tard, un craquement sinistre retentit alors que le reste des animaux vivant habituellement dans les bois continuent de les fuir. Myosotis arque son encolure, prête à encaisser le choc lorsqu'elle voit l'arbre vaciller pour finalement s'arracher à la terre qui le retenait depuis des années. Il retombe finalement juste devant eux et ne fait qu'effleurer leurs corps tremblotants. Un peu secouée par ce qui vient de se passer, la dorée n'ose pas bouger. Et si ça recommençait ?

Une lueur paniquée fait briller le regard émeraude de la jument dorée. Elle ne peut s'empêcher de penser qu'à quelques centimètres près, l'arbre leur tombait dessus. Ils auraient pu mourir ici et cette simple pensée suffit à lui retourner l'estomac au point de lui donner la nausée. Myosotis se redresse maladroitement lorsqu'elle voit Ohanko s'approcher d'elle. La peur déforme son visage habituellement si doux. Elle se relève difficilement et s'écarte légèrement de l'arbre tombé au sol. Sa robe est couverte de feuilles mortes mais elle va bien. Aucune blessure ne marbre sa peau dorée. D'un geste un peu brusque, elle pousse le petit indien pour l'éloigner du trou béant qu'à laissé le déracinement de l'arbre. Elle en est maintenant certaine ; un autre tremblement de terre va suivre. Elle le sent, au plus profond d'elle.

Toujours sous le choc, Myosotis se laisse faire sans réagir. Et lorsqu'elle reprend enfin ses esprits, c'est pour intimer à l'enfant de s'en aller, ce qu'il accepte quasi immédiatement. Ils repartent alors en direction du camp, tremblotants mais sains et saufs.

( Out )