Saltillo - a necessary end
Jimie arpentait l'île, un vague espoir en bout de langue.
Elle en avait assez. Des années qu'elle traînait ce corps, et cette âme sans goût dedans. Une âme qui avait presque toujours été fade. Savez-vous ce qu'est une âme sans goût ? C'est quand elle n'est remplie que de néant. Rien. Un vide immense habite en elle. Aucun sentiment. Pas la moindre émotion. Elle ne connaît pas le doute, la haine, l'amour, la peur, l'envie, et tout ce que toi tu connais. Et malgré tout, elle peut ressentir la torture qu'est cette forme de vie. Il est dur de supporter de violentes émotions, mais qu'en est-il de vivre sans le moindre sentiment ? De ne rien ressentir, quelque soit la situation ? De n'avoir ni avis, ni désir, ni but, rien pour se raccrocher à la vie... Comment avait-elle survécu jusque là, Jimie n'en avait qu'une idée floue.
Il y avait d'abord eu Cendrillon. Tombée dans un amour pur pour la pouliche, Jimie avait consacré une de ses jeunes années à chérir et servir la Guerrière. C'est là que l'isabelle avait laissé ses dernières traces de vie. Depuis, rien n'a traversé son cœur.
Ensuite, il y a eu ses parents. Un vague désir de les voir mourir, pour passer le temps. Pour ça, elle a connu Kenpachi, son outil. Mais elle a vite oublié sa froide vengeance, pour se consacrer à un autre objectif. Est née Kana. Que lui vola Willow. L'objectif était encore perdu. Elle réitéra avec Tranco, et ses fils, Atlas & Uranium, plus connus sous l'unique nom de Bonobo. Mais elle ne savait plus quelle expérience en faire. Ils étaient 2. Le choix était multiple. Pff... un choix futile, elle se désintéressait déjà d'eux. Elle s'efforça tout de même de les modeler à sa guise. Elle les manipula les quelques premières semaines de leur existences, puis les laissa en plan pour voir quelle évolution ils subiraient après ça. Ce fut très enrichissant. Jimie en apprit beaucoup à les observer de loin. Mais son intérêt n'alla pas plus loin. Finalement, ils quittèrent GS et Jimie y revint à visage découvert. Y revoir Kana ne réveilla rien de plus chez elle ; elle n'y voyait toujours qu'une vieille expérience ratée qui ne lui offrait qu'une vague distraction à distance. Un feuilleton à suivre. A quand le dernier épisode ? C'était tout ce que l'appaloosa lui évoquait comme question. Quoique... Il y avait bien Oni.
Comme pour Bonobo, il fut intéressant de l'observer, d'analyser son comportement. Mais cet intérêt fut également de très courte durée. Les épisodes n'étaient même plus attractifs.
Pourquoi ce vide. Pourquoi est-elle comme ça ? C'est simple.
Violemment rejetée par sa mère à peine sortie de son ventre, Jimie ressentit à cet instant un violent cocktail à travers tout son être. Haine, incompréhension, peur, amour malgré tout pour sa famille, trahison, doute, désir de chaleur... Décuplé par sa solitude, ce ressentit lui a peu à peu pompé toutes ses émotions. L'a vidée. N'a rien laissé derrière. L'âme de Jimie n'avait déjà plus de goût. Et aujourd'hui, elle en a assez. Elle cherche la formule pour inverser le phénomène. Avoir ses propres enfants n'a rien changé. Ne rien ressentir pendant des années n'a rien fait revenir. Assister à des événements qui auraient été bouleversants pour d'autres non plus. Il n'y a. Aucun moyen de renaître.
Mais ce jour-là, Jimie arpentait l'île, un vague espoir en bout de langue. Si on peut parler d'espoir. Non, elle ne marchait pas vers la mort. Elle n'avait jamais envisagé de fuir cette vie par le trépas. C'était vers la lumière, et non vers l'ombre, qu'elle orientait ses pas. Sur l'île, quelque part, un trésor l'attendait. Un vœu oublié, abandonné derrière un certain Roi Génie. Comme elle, il avait été laissé derrière, rejeté, sans importance. Elle allait lui redonner tout son sens.
Elle avait tout son temps. Sa vie entière s'il le fallait, car rien d'autre n'avait d'importance. Elle savait ce qu'elle demanderait au Génie, s'il vivait encore dans le trésor qu'elle trouverait. Il n'y avait plus qu'à s'y mettre.
La jument s'approcha d'une fleur de cactus. C'était la plus grande et la plus colorée qu'elle avait trouvé sur l'île, se démarquant facilement des autres. L'isabelle la contempla un moment, constatant que les fleurs de cactus avaient bien passé l'hiver, protégées du froid sur ce territoire ardent.
Après quoi, elle plongea ses dents dans les pétales, et déchira la petite beauté de la nature sans plus de cérémonie.