❖ ils étaient passés

Ils étaient passés, tous, déjà. Ils avaient couru le monde, couru la vie et ils avaient finalement disparu sur la ligne d'horizon. Ne restaient plus que leurs traces sur le sol. Ne restait plus que l'étalon de lune sur la toundra.

Le pas de l'animal était lent, comme lourd de secrets. La nuit, était-elle donc infinie ? Qui, du soleil ou de la lune, gagnait cette sempiternelle course ? Maëlstrom n'avait pas la réponse. Il n'avait que ses rêves noires, que ses songes obscurs. Maëlstrom n'avait que ses cauchemars. Mais déjà, il sentait un regard posé sur lui. Il s'était arrêté et, avec lenteur, il se retournait à présent, comme si le regard qu'il sentait sur lui pouvait s'échapper en un seul battement d'ailes. Son regard sans fond trouva alors la silhouette. L'apparence se voulait masculine, mais Ström, depuis sa rencontre avec Gangster, ne jugeait plus de si loin. L'animal de lune salua l'équidé par un hennissement relativement bas de gorge, alors qu'il s'en approchait, serein semblait-il.

Il y avait, entre elle et lui, comme un ruisseau, une rivière, un fleuve, une mer, un océan à traverser. La palomino se tenait debout sur l'autre rive, et lui, sans penser ou parler, il se jetait à l'eau et voguait. Il voguait, silencieux, serein. Mais ce masque placide, était-il vérité ? Ou juste tromperie, mensonge, calomnie ? Mais déjà, il était là.

- Bonsoir, dame.

Sa voix suave détonnait avec ses accents graves et riches, venus d'ailleurs semblait-il.

La nuit, il n'était plus le même. La nuit, tout semblait permis, alors que la seule limite était l'aube aux doigts d'or. Sans gêne, il laissa ses yeux noirs glisser sur le corps de la jument, alors qu'elle parlait. Un visage, des traits, une voix : toutes ces informations se gravaient dans son esprit parfois calme ou parfois dément, alors qu'il enchaînait, comme naturellement.

- Que fait une pièce d'or dans un paysage d'argent ?

Elle le sublime, peut-être ? L'endroit était beau, tout comme le clair de lune. Et elle ... elle, elle semblait distante. Elle semblait vouloir attendre, en le testant, guettant ce qu'il dirait, comment, avec quel ton. Il se trompait peut-être pourtant ...

Maëlstrom avait aujourd'hui sept ans. Sept ans de vie dont quatre au moins passés à fuir, à fuir la vérité. Eux, souffraient-ils aussi d'un mal, lancinant comme le sien ? L'animal de lune était son propre mal, et aujourd'hui, il le savait. Que faire alors ? Se supprimer ? Le mal aurait gagné. Mais déjà, le regard si noir de la palomino glissait, se détachant de lui. Elle aimait la nuit, elle aimait cet endroit ... Pourtant, ces explications laissaient sur sa fin l'étalon dont la peau, par instant, tressaillait. Il n'avait plus peur de ces regards sombres qui vous dévisagent et vous fusillent, de ces regards qui vous condamnent. Il n'en avait plus peur, parce qu'il était aujourd'hui damné.

- Pourquoi aimer un tel endroit ?

Sur la toundra couraient encore de larges plaques de neige, alors que la végétation était sèche et pauvre. Pourtant, lui aussi se sentait attiré par ce singulier lieu. Là était la terre des rêves, celle de la solitude et des souvenirs.

Ils tombèrent. Tous, un par un, les mots de la belle tombèrent dans le creux des oreilles de l'étalon. Ses yeux noirs, après avoir balayé la toundra, s'étaient reposés sur elle, son corps d'or, ses yeux tout aussi noirs, son énigme et ses secrets. C'était bien la première fois qu'il la voyait, et quelque chose en elle le laissait ... perplexe ? Mais déjà, sa voix suave s'élevait à nouveau, alors que ses cordes vocales vibraient, créant sons et silences qui, rattachés les uns aux autres, finissaient par former mots puis phrases.

- Seuls mais avec le souvenir de ces âmes nombreuses qui l'ont traversé, ce bout de toundra perdu. Seuls, avec le poids du passé sur nos épaules toujours trop frêles parfois ...

Et de nouveau, il laissa son regard s'échapper. Pourtant, cette fois, ce n'est pas le paysage qu'il observa, non. Cette fois, ses yeux ne regardaient que la lune, ronde, blafarde, mesquine et cruelle. Il regardait la lune à laquelle il vouait le plus beau des cultes.