◉ as far as you can go

Elle marche, le nez à quelques centimètres du sol. Depuis que la guerre s'était essoufflée, Aslaug avait voulu se rapprocher de son territoire. Les oreilles toutes redressées, elle s'arrête, fixant un gros bateau échoué, interloquée.

Voilà une heure que je flânais ici et là, intrigué par l'épave d'un drakkar dont la grandeur m'émerveillait. Mes yeux suivaient les courbes d'un drapeau que le temps avait dévoré, quand une forme inconnue surgit dans mon champ de vision. Mes muscles se raidirent. Je n'avais pas parlé à quelqu'un depuis plusieurs semaines, et je craignais d'être un peu rouillé. Alors je fis la chose la plus idiote du monde : me cacher derrière un gouvernail rouillé et bien trop fin pour dissimuler ma musculature imposante. Oups?

(Ah nan pas elleeeee ¬¬ )

Aslaug tourne la tête, intriguée par un mouvement. S'arrêtant par précaution, elle finit par hocher la tête, ayant devant elle un gouvernail. Enfin un poney-gouvernail puisque ce gouvernail est doté de sabots, d'une queue, d'une crinière, d'oreilles et de naseaux.
N'osant pas gâcher la partie de cache-cache que devait mener cet étalon, la nordique hésite un moment avant de se manifester mais n'y résiste finalement pas.
« Je pense que pour vous, il y a meilleure cachette.. » Fit-elle avec un sourire timide.

Derrière mon bout de gouvernail rouillé, je la suivais des yeux. Elle s'approchait, son regard distrait dansant sur l'horizon. M'avait-elle vu ? Peut-être... mais ce qui était sûr, c'est que mon odeur m'avait trahi. Quand ses mirettes regardèrent en ma direction, je m'abaissai maladroitement et me cognai contre la barre. Aouch. C'est à ce moment précis que la demoiselle prit la parole. Je sortis de ma cachette illico presto, me dépoussiérant la robe du bout des naseaux comme si je n'étais pas présentable. Une fois ceci fait, je me tendis comme un piquet. « Ma dame... » soufflai-je pour la saluer, décochant une révérence. Comment ça, vieux jeu ? « Je ne... me cachais pas du tout. J'étais... » caché. Je mourais de trouille, voyez-vous. « ... en train de vérifier l'état de ce navire. Im-pe-cca-ble hein ! Vraiment. Im-pec » mentis-je avec la voix du gars de télé-achat, détachant chaque syllabe, et esquissant un sourire niais au possible.

Troublée par sa révérence, Aslaug recule, peu habituée à ce genre de politesse. Elle hoche la tête, un sourire intrigué aux lèvres. En effet, l'étalon bégaye à peu près autant qu'elle lors de ses premiers pas sur ces terres, et elle n'avait jamais rencontré pareil alter ego en matière de timidité et/ou de frayeur de l'autre.
Puis elle pointe vivement ses oreilles vers lui. Wouah, il sait faire la maintenance d'un bateau ; c'est incroyable !
« Oh tant mieux ! Vous pensez qu'il pourra reprendre la mer ? » Le pire c'est que sa question est mille fois sérieuse alors qu'il est bien bien évident que non, ce gros navire ne pourra plus jamais voguer tant la rouille qui l'accapare semble peser lourd. Mais bon, Aslaug n'est que naïveté et niaiserie, aussi elle s'approche de la coque, inspectant à son tour.

Remarquant les étoiles qui pétillaient dans ses yeux, je décidai de jouer le jeu jusqu'au bout. « Eh bien.. » dis-je en faisant le tour du navire, l'oeil faussement expert. « Un petit coup d'huile sur la barre, et c'est comme neuf, on embarque !    » un sourire marketing prit place sur mes lèvres. « Ah.. tout ça, ça me rappelle ma carrière de pirate, quand je voguais sur les flots avec ma petite bande.. le bon vieux temps » soufflai-je d'un air rêveur tout en la zieutant du coin de l'oeil, espérant qu'elle relève ma tirade. Bah quoi ? Autant entretenir le rêve, non ? Je n'avais rien d'autre à offrir qu'une crainte constante de faire du mal, un passé inexistant et des voix folles qui me possédaient 20 heures sur 24. J'avais envie de profiter de cette opportunité et du silence radio de ma folie pour discuter avec quelqu'un de rêves et d'aventures. Ça faisait si longtemps..

Aslaug avale ses mots, les boit comme du petit lait, les yeux pétillants. En fait, quand elle se trouvait dans le grand nord, dans sa jeunesse, elle voyait parfois de grands bateaux comme celui-ci voguer au loin. Depuis toujours elle veut également connaître ce frisson de la découverte, cette peur de l'inconnue qui se transforme en une adrénaline absolument additive. Quand il lui raconte brièvement, elle se sent petite.. tellement petite et niaise à côté de ça. Finalement elle ose mentir.
« Ah bah.. ça je connais hein ! Je suis même née en mer moi, monsieur ! » Après tout, elle était née juste à côté de l'eau, dans une petite grotte, c'est à peu près tout pareil. Parole de pirate.

En racontant mes graaandes péripéties de la vie, je l'observe du coin de l'oeil. Une fois fini, une pointe d'amusement prend part de moi. Il ne lui manque plus que le filet de bave pour aller de pair avec son expression béate. Soudain, elle prend la parole, et c'est ma mâchoire qui, par excès de surprise et d'admiration, finit par s'ouvrir, se déboîter, prendre le train et faire le tour de la terre en slip . T'as l'air bien maintenant, Jev', avec tes mensonges à trois francs six sous. Un « Oooooh » s'échappe de ma bouche, note assez niaise pour ruiner à jamais ma fausse réputation de pirate. « Vraiment ? C'est fou le destin, hein. Vraiment, c'est dingue. Je cherchais justement un coéquipier, vous voyez. Un compagnon de navire pour reprendre la mer, tout ça   » lui dis-je, d'un ton entendu.

(Mais ouais, je vais te croire d'abord C'est toi le caca )

Elle essaye de dissimuler sa gène, de rendre à l'étalon un regard attendu, sérieux, compétent quoi. Trépignant d'excitation d'avoir menti, elle fait mine de continuer à examiner le navire, histoire d'asseoir son histoire en démontrant ses talents de technicienne maritime. En deux fois elle se racle la gorge, si peu confiante.
« Tant qu'on partage les butins, moi ça me va ! » Sa voix la surprend elle-même, finalement c'est pas si difficile d'être une pirate. Toute excitée par cette nouvelle aventure qu'elle croit finalement pouvoir se réaliser, la grisette tente de garder son sérieux mais cherche discrètement de quoi se faire un bandeau ainsi qu'un surnom qui en jette. Mytho Rouge ou Menteuse d'Acier moi je dis.

Sa réponse m'arrache un sourire sincère. C'est une p'tite dame qui sait ce qu'elle veut et qui a la tête sur les épaules, haha ! Pendant qu'elle parle, je fais mine de réfléchir à ses dires, comme s'il s'agit du choix de ma vie. « Hmm, on partagera le butin oui. Mais il nous faut un nom de la piraterie qui en jette, des vivres, une carte, une boussole, et des esclaves. Où est-ce qu'on peut trouver tout ça ? » ah oui, je suis sérieux dans mon délire. Parfaitement. Autant pousser le vice jusqu'au bout. Avec une fierté de lion et le torse bombé, je lui fais part de mes réflexions. « Je te vois sous le nom de... la Veuve Noire ! Du genre, ne vous fiez pas aux apparences, elle peut vous être mortelle » et c'est à ce moment précis que vous réalisez avec stupeur que j'aurais pu travailler pour les slogans marketing.

Aslaug a les yeux qui brillent de mille feux, elle se voit déjà sur la proue du bateau (c'est où la proue déjà :red ?), un sabre au sabot, voguant vers l'inconnu sans connaître ni la peur ni la faim; la vraie vie quoi !
« Trouver tout ça va être facile... enfin, sauf pour la boussole, ça se fait plus ces trucs là » Oui Aslaug s'en fiche allègrement des esclaves qui meurent sous les coups de fouet, elle trouve même que ça rend la quête encore plus glorieuse. C'est pas une fille du nord pour rien.
Elle fait la moue tandis qu'il lui propose un surnom.
« T'es certain que c'est vendeur ça ? J'en suis pas certaine.. » Elle se gratte le menton pour mieux réfléchir et propose à son tour un surnom pour le pie. « Je pense que si on t'appelle Iron Mad, ça pourrait faire trembler les populasses ! » Je reforme les Avengers, et alors ?!

Je partage son interrogation « Compliqué oui, en effet.. Au pire, on fait sans boussole !   » comme si c'était la seule question à se poser, et comme si le fait de recruter des esclaves pour le voyage n'était ni choquant, ni difficile à réaliser. « Et ouuuui, crois-moi, ce surnom va faire des ravages. Tu vas être la plus grande pirate de tous les temps, adulée de tous » de petites étoiles brillent dans mes yeux tandis que je nous vois déjà arpenter les mers, à bord de notre bateau au bois lustré, couvert d'or. « Va pour Iron Mad, je trouve que ça en jette. Mais il me faudra une armure d'or. » Oui, c'est bel et bien ma condition pour accepter ce surnom et le vivre à fond. « Tu me ramènes ça, dis dis, steuuuuuplé ? » à cet instant précis, mes instincts de gosse reprennent le dessus.

Attentive, elle continue à l'écouter en oubliant complètement qu'elle joue un rôle et qu'elle ne sait absolument pas à quoi sert une proue. Finalement elle hoche la tête, Veuve Noire lui convient assez pour qu'elle écume les mers sous ce nom. Un frisson la parcourt quand elle imagine les populations trembler à l'entente de ce surnom ravageur.
« Pour ça il faudrait se rendre en Egypte Ancienne et piller les pyramides mon vieux ! » Fit-elle en pensant bien qu'il n'accepterait jamais, après tout c'était complètement fou comme idée.

Je souris, l'air fier et conquérant, ignorant qu'elle ne sait même pas ce qu'est une proue. Mais c'est quoi une proue, d'ailleurs ? Je m'avance sur le bateau jusqu'à la barre, le regard rivé sur l'horizon, imaginant des dragons de mer et des bateaux pirates sur les flots.. quand soudain, les paroles de la grise brisent ma petite bulle rêveuse. Piller les pyramides ? Mon sang ne fait qu'un tour, et ma raison me rappelle à quel point c'est mal. Sur le bord de mettre un terme à cette idée, je jette un dernier coup d’œil à l'horizon, repense aux merveilleuses aventures maritimes qui nous attendent, et me ravise sur le champ. « Tu connais le chemin vers les pyramides ? »

Il en met du temps à réfléchir, tant de temps qu'Aslaug a tout le loisir de se rendre compte de la connerie qu'elle vient de débiter. Mais l'air convaincu du mâle ne lui permet pas d'hésiter et elle redresse le poitrail, comme un n'homme.
« Tu m'prends pour qui ? Bien sûr que j'sais où c'est ! Suis-moi compagnon » ... je t'emmène te perdre dans une vieille statue égyptienne, on est bien bien bien