J’étais prêt à tourner la page mais c’est la page qui ne veut pas se tourner.

PA
Cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas mis les pieds ici. Elle semblait jouer avec les fils en tirant légèrement dessus, le visage plein d'une puissante neutralité.

Et l'étalon frison arpente lui aussi ce drôle d'endroit, émerveillé, regardant tout autour de lui pour en saisir chaque détail.

Elle continue son bidouillage, en trafiquant quelques sons pour faire de la musique. C'était comme une sorte de harpe, à horizontale.

Et il entend de la musique. Il ne sait pas si c'est le vent ou bien autre chose qui produit ce doux son mais, curieux, entreprend de trouver sa source. C'est là qu'il l'aperçoit. Il se fige lentement, ne sachant pas si elle l'a déjà vu.

Continuant sa petite mélodie - n'ayant pas vu son ami, enfin son ami... - elle se met à murmurer quelques petits sons en accord, mais lorsqu'une petite bourrasque venue d'on sait où balaye l'air ambiant, elle le sent. La petite colombe tourne alors simplement son visage vers celui du corbeau, lâchant un dernier son avec l'un des fils.

Pendant ce temps, il s'est rapproché. Silencieusement. Il est lourd, il est grand ; mais tout son entraînement passé lui a permis d'apprendre à marcher sans un seul bruit. Il est près d'elle quand elle le remarque. Il ne sourit pas, il n'ose pas. Il se permet juste de murmurer : Danse, mon ange..

A un mètre. Et peut-être moi, ou peut-être plus. Mais elle, elle s'en fiche. Elle s'en fiche tellement qu'il soit dans les bras d'une autre aussi, au final. Ou d'un autre. Elle l'aimera toujours, toujours. Encore, et encore plus. Alors vole, corbeau. murmure t-elle à son tour en esquissant un pas vers lui, collant son flanc au sien.

Il sent la chaleur du corps d'Angie contre le sien et ça fait comme un pansement sur ses plaies cachées. Il s'abandonne simplement, esquisse quelques pas pour la pousser à se lâcher, à danser. Ses lèvres restent muettes mais ses iris sombres sont plein de mots. Comme des poèmes.

Alors elle reflète à travers ses jambes le parfait miroir des pas d'Onyx. Mais comme elle voit qu'il la laisse de plus en plus prendre le dessus, et qu'elle comprend qu'elle continuera seule, décline la cadence. Je me suis fais la promesse... puis elle s'arrête. ...de continuer cette danse à tes côtés seulement.

L'étalon la regarde un instant sans rien dire, avant de reprendre de lui-même quelques pas. Alors je vais la continuer avec toi, propose-t-il doucement d'une voix douce. Tu sais, avant ça, je ne savais pas danser, je ne l'avais jamais fait.

Alors elle l'accompagne, battant de plus belle des ailes. Tu peux définir seulement notre rencontre par "ça"? elle pencha la tête vers l'extérieur et ses yeux parcouraient le sol au fur et à mesure que ses sabots claquaient Mais moi non plus.

Il fait durer quelques secondes de silence. Non. C'est juste que je n'ai pas de mots qui conviennent suffisamment bien. Demi-sourire. Demi-pas. Demie-mesure. La danse continue, au rythme d'une musique invisible. Tu le fais si bien, pourtant.

Elle se tait, parce qu'elle comprend. C'est bizarre, parce qu'il n'y a qu'avec lui où l'instinct ne prend pas le dessus. Parce qu'à mes premiers pas, j'étais déjà en bonne compagnie. pendant combien de temps allaient-ils se complimenter doucement? Peut-être jusqu'à ce que la danse se termine au final. Un pas de plus, encore un autre, et elle se détache pour mieux revenir près de lui.

J'ai bien compris qu'tu voulais pas de moi pour l'instant mais j'me force à croire qu'avec du temps, tu changes d'avis; et dans mes nuits je rêve encore que tu m'emmènes danser, jusqu'au matin. Sur la musique, on va, on vient ; on s'éloigne, et on revient. Puis tu t'élances, et je te tiens, je te retiens du bout des doigts, pour te ramener contre moi. Sur la musique, on va, on vient, corps contre corps, main dans la main. Plus rien n'existe, plus rien de rien, quand je te tiens du bout des doigts pour te ramener contre moi.

Il sourit doucement. Il est tendre, il est charmé et charmeur, c'est un peu contre lui, c'est parce que c'est « l'effet Angie ». Comme si le ciel avait envoyé un ange pour l'arracher à ses tourments. Il l'observe et finit par ralentir la cadence. Ses petits yeux sombres mais si pétillants de vie et d'envies sont toujours posés sur elle, à n'en plus finir. Il voudrait s'écorcher les rétines à trop l'admirer. Tu es heureuse, là ?

Elle se retient, et elle revient. Elle voudrait l'embrasser, être embrasée. L'ange voudrait finir en Phénix, pour se brûler les ailes et vivre, encore. Mais son Soleil noir est déjà pris. Et petite Lune qui tourne autour de lui sans jamais vraiment le croiser, elle continue de tourner, de danser. Comme si la gravité et ses limites n'existaient pas. Qu'il n'y avait qu'eux, boule de glace et torrent de feu. Alors elle sourit encore, et se noie dans les pierres précieuses marbrées d'Onyx. Parce que c'est aussi ça, « l'effet Onyx ». Deux objets qui s'attirent et qui se tournent autour. En défiant la gravité, sans trop de gravité. On ne peut plus heureuse.