— puisse ton amour être figé dans le temps.

Les reflets dorés de sa robe d'ivoire sont mille fois nuancés à chacun de ses muscles qui se tendent. Septenrê marche lentement, savourant la sensation de son corps sculpté soumis à l'effort. Le vent du nouveau Nord et la bruine froide lui hurlent l'orage qui s’amoncelle dans les cieux blafards.

Une rage brûlante embrase le corps émacié de Ruyn, qui se bat contre les assauts violents du vent. Elle mourrait de froid habituellement, mais son courroux semblait la préserver de toute autre sensation que la bouillante morsure de sa colère. Fini les douces paroles, et fini le parfait amour avec son âme soeur : l'heure était au règlement de comptes, aux cris et aux mots qui font mal. Ils se bousculaient à ses lèvres gardées closes, dans un rictus méprisant, ces mots acides de cruauté qu'elle lui balancerai à la figure. Elle l'avait suivie à la trace, pendant des kilomètres, mais elle se sentait désormais proche du but : le vent violent lui envoyait des bourrasques de l'odeur de son aimée. Quand enfin elle la distingua au loin, point dorée dans le gris de ce jour sinistre, elle ne put retenir un cri de rage tandis qu'elle galopait brutalement dans sa direction.

Un tempo furieux retentit derrière 7. Un tempo qui lui en veut, qui enrage, mêlé à un hurlement hystérique. Son regard aiguisé darde la rose aux longues épines. L'instinct lui dicte de tendre ses muscles. Quelque chose ne va pas, derrière cette rage dévastatrice.

Et l'incompréhension sur son visage. Quoi ? Elle ose jouer cette carte avec elle ? Ruyn secoue la tête successivement de gauche à droite, à s'en démettre la nuque. Son souffle rauque, les naseaux dilatés, les dents découvertes, ses sabots mordent la terre avec une rage démesurée. En quelque secondes elle arrive près de Septenrê, mais freine brutalement, à en avoir mal aux articulations. Elle ne la touchera plus. Son visage prend un air de dégoût tandis qu'elle recule en bondissant, fouettant l'air de la queue. Ses yeux pâles chargés de haine sont fixé sur le visage de Septenrê, la fusillant du regard. Sale traînée ! hurle-t-elle finalement, se cabrant légèrement pour retomber violemment sur le sol.

Position de défense. L'animal doré recule aussi, ses mâchoires claquent furieusement. Ses mots haineux échauffent l'âme de Septenrê. Cette bouche aux dents découvertes, qui juste avant l'aimait, semble aujourd'hui la détester. « C'est quoi ton problème, encore? » assène-t-elle à son amante sombre.

Encore ? persifle-t-elle, avant de singer la voix de Septenrê : encore ? Elle tique, comme si elle ne contrôlait plus son corps. Ce qui était probablement le cas, puisqu'elle ne pouvait s'arrêter de bouger. T'en a pas marre d'aller voir ailleurs ? J'te suffis pas c'est ça ? Elle fouetta l'air de sa queue, s'immobilisant soudain, plantant son regard pâle et agressif dans les siens. Je croyais que t'avais compris, avec Murphy ... Si tu voulais tant être mère, tu pouvais m'en parler, j'aurai compris, Septenrê ! Mais tu préfère faire ça dans mon dos, parce que T'ES QU'UNE PUTE PUTAIN ! beugle-t-elle, hystérique.

Son regard s'assombrit; le sujet est douloureux, et pourtant, cette fois-ci, infondé. Un pas brutal vers Ruyn, et elle crie plus fort qu'elle: « Mais qu'est-ce que tu racontes? Arrête de gueuler! » Est-elle folle? Que lui arrive-t-il? Ressasse-t-elle la naissance d'Oroszlàn?

NE FAIS PAS L'INNOCENTE ! hurle-t-elle d'une voix stridente, bondissant en arrière, et ne me touche pas ! NE ME TOUCHE PAS ! Elle laissa aller sa tête de droite à gauche, levant une jambe puis l'autre, perdue. Indécise. Son premier éclat de rage passé, elle voulait arrêter le flot de paroles qui traversait ses lèvres sans qu'elle ne puisse s'en empêcher. Tu ne vois vraiment pas de quoi je veux parler, Sept ? articule-t-elle calmement.

Rigide, elle observe d'un regard scrutateur les simagrées de Ruyn. Selon, l'akhal, elle devait sûrement être coupable. Coupable, une seconde fois, de l'avoir trahie. C'est vrai, ses lèvres avaient peut-être caressé quelqu'un d'autre que son amante, mais cette dernière devait sûrement l'avoir fait aussi. N'était-ce pas elle qui prônait la liberté? « Pas vraiment, non. » Ses mots sont crachés de son mépris des jours noirs.

Elle a tellement envie de fondre sur Septenrê et de lui mordre les naseaux. Mais elle se retient. Elle doit se protéger. Quelque chose, même s'il est encore invisible, grandit dans son ventre désormais. Relevant la tête d'un air de défi, elle balance : Vraiment ? Et Maddox, ça ne te dit rien ?

Et Septenrê, elle, n'a rien. Rien à chérir, rien à protéger. Juste sa propre fierté à défendre farouchement. Elle observe les deux océans déchaînés de Ruyn, les assauts marins de ses deux pupilles qui se dilatent, et se rétractent. Son regard à elle s'assombrit, si ce fût plausible. Elle demeure immobile, et calme, mais toujours incompréhensive. « Maddox? Tu l'as rencontré? Allons bon ... Qu'est-ce qu'il t'a dit? » Le mercenaire n'avait rien à voir avec elles, alors pourquoi parlait-elle de lui?

La sincérité s'entendait dans sa voix, mais Ruyn ne parvenait plus à distinguer le vrai du faux, le mensonge de la vérité. Des images immondes l'avait assaillie, et l'avaient hantées, la poursuivant de leurs paroles amères. Elle avait galopé des jours durant pour échapper à son esprit, mais elle n'y parvenait pas, et la folie sourde qui sommeillait dans ses entrailles s'était déclarée, la brûlant de ses langues embrasées. Et cette même folie voilait désormais ses yeux d'un flou bizarre, un peu comme des larmes que l'on retient et qui nous piquent les yeux. ARRETE DE FAIRE SEMBLANT SEPTENRE ! ARRETE ! TU N'ES QU'UNE MENTEUSE, UNE MANIPULATRICE ... Elle fit un bond en sa direction, faisant claquer ses dents près de sa bouche qu'elle avait tant embrassé. Elles étaient sur le seuil de la fin, n'est-ce pas ? Une peur sourde naissait doucement dans les reins de la reine noire, mais le feu fou la repoussant avec véhémence. Elle n'avait pas de place pour s'exprimer pour l'instant. Elle s'écarta de nouveau de l'andalouse comme si elle ne supportait pas d'être en sa présence, ses commissures relevées en un rictus méprisant. Alors c'est ça Septenrê ? Toi et moi ce n'était que du sexe ? J'étais ton jouet, ton petit divertissement ? Une brutale réalité la frappe : Ruyn a l'impression de se dire ça à elle-même. Elle rectifie alors, d'une voix blanche. Parce que moi ce n'était que ça. Tu n'étais qu'un petit diamant, un joli petit bijou agréable à regarder. Ne crois pas que tout cela m'atteint, princesse, dit-elle d'un ton cinglant, ricanant d'une voix folle, qui ne lui ressemblait pas et lui ressemblait à la fois. Cela se voit qu'elle ment pourtant, elle en est certaine. Mais elle tente de se sauver la face, de sauver sa dignité. Elle a l'impression de tomber, elle ne s'est jamais autant souciée de son apparence qu'à cet instant là. Elle se sent tellement pathétique qu'elle est partagée entre l'envie de pleurer et de tout casser. De préférence les os de Septenrê.

Ses hurlements de détresse. Comme lorsque c'était vrai. Ses maxillaires se contractent. Tout son corps se crispe. Est-elle en train de sournoisement lui jeter la réalité? C'est ce que Ruyn pense, en vrai? « ARRÊTE DE GUEULER. » Ses yeux se muent en un revolver dont le canon est braqué sur le visage osseux de Ruyn. Ce flingue qui fouille les pensées de la déesse courroucée. « C'est quoi le délire, là? Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour blesser ta petite personne? » 7 n'a pas la sagesse de calmer le jeu. C'est un esprit impulsif. Ses oreilles sont enfouies sous sa crinière d'or. Le rire décalé de la noire la rend méfiante.

Ruyn s'immobilise, cessant ses jérémiades et ses cris de rage, pour flanquer son regard assombri de colère dans les yeux ténébreux de Septenrê. T'as couché avec lui. Elle cracha par terre. Tu me dégoûte, je ne sais même pas comment j'ai pu te toucher, j'me sens tellement ... tellement souillée, dit-elle avec une grimace de dégoût.

Le revolver tombe. Incompréhension. Encore une fois. Elle sent une incommensurable colère courir furieusement dans ses veines. Maddox aurait dit ces mensonges à Ruyn? Pourquoi? Et pourquoi l'akhal est si naïve? « Il t'a dit ça? Mais quel connard ... ! Et toi, tu le crois? T'es conne, peut-être? » jure-t-elle, alors que la rage rendait son souffle court.