‹ walk the moon ›

OROSZLÀN.
Le dominant erre, les pensées désordonnées cognant dans son crâne comme les portes d'une pièce vide, livrée aux courants d'air terribles.

Une buée limpide s'échappe des naseaux de la nordique qui gravit avec facilité les neiges éternelles. Le vent si familier du Septentrion la frappe avec vigueur et elle s'amuse à vaciller parfois, comme surprise que son coeur si lourd puisse se laisser soulever si facilement. Mais voilà que son sourire s'estompe, qu'elle s'arrête net, qu'elle sent sa mâchoire se raidir tout autant que ses muscles à présent immobiles. Son corps frêle se met à trembler sous l'assaut de ses émotions qui battent son esprit. Elle n'avait pas envie de ne manifester, elle savait ce que ça engendrerait comme situation. Là tout de suite, elle voulait juste l'observer, l'admirer.

Un éclat de soleil pâle vient caresser la peau du mâle. Un reflet d'or pur zèbre un instant son corps musclé, développé par les entraînements, par les marches difficiles en neige haute, par le froid lui-même. Finalement, il baisse la tête, sa longue crinière dégringolant dans une cascade d'argent, avant que le rayon ne s'efface sous la menace d'un nuage cotonneux.
C'est là qu'il l'aperçoit. Il se fige aussi, à plusieurs mètres d'elle, observant son corps si fin, si clair, si pur. Et pourtant si tourmenté. Il l'observe lâchement, de loin, sans savoir quelle démarche suivre. Son coeur s'est crispé, en même temps que sa mâchoire.
Alors ça va être comme ça, maintenant ? On va s'observer de loin, comme deux inconnus qui se sont connus avant de se quitter ?

Cette tension qui règne entre les anciens amants agitent le squelette de la nordique qui ne sait se mouvoir pour casser la distance entre eux. La peur s'empare de son corps déjà tremblant et la culpabilité de ses sentiments ravage son esprit qui commence déjà à se nouer. Bizarrement Aslaug le regarde et ne peut laisser tomber ses yeux vers le sol ; l'image d'Oroszlàn la hante depuis déjà trop longtemps, elle veut s'en emparer. Un hoquet la soulève et elle avance un sabot pour ne pas chavirer. La neige crisse sous son poids et ce bruit brise enfin leur silence, ce bruit lui permet de se libérer. « J'ai rencontré l'héritier du Septentrion » Sa voix est calme, presque monotone, pourtant son regard s'enflamme sans qu'elle ne puisse le cacher.

Le Lion s'est barricadé derrière une muraille solide. Faite de défenses primaires, de mécanismes complexes, de réflexes instinctifs. Il ne fait pas un seul pas, la laisse seulement s'approcher. Il a l'air de marbre, mais tous ses sens réagissent et lui plantent des aiguilles partout dans le corps, toujours un peu plus près du coeur. « Il n'est pas héritier. Il a quitté le Nord. » Sa voix est distante, presque aussi froide que le décor de leur scène étrange.
Il la fixe, sans ciller. Il veut pouvoir décrire ses contours lorsqu'elle s'en ira de nouveau, lorsqu'il devra s'assommer de culpabilité. « J'ai entendu dire que tu avais eu une fille. » Même ton qu'elle.

J'ai cent fois refait le match, j'ai compté les points, chacune de nos larmes – mais quand on aime, on ne compte pas. On ne veut juste pas perdre, mais personne ne gagne à ce jeu-là.

Cette statue dorée qui brille au soleil ne semble pas vouloir fondre pour s'approcher plus près d'Aslaug. Cette dernière prend ça comme un affront. Un de plus. La rancune que mijote la nordique au fond de son coeur si doux et pur grandit à mesure que les jours passent. Alors elle s'efforce à ne pas bouger et à l'observer comme lui le fait, à ne pas trembler lorsqu'elle entend sa voix et à rester de marbre lorsque ses paroles transpercent son âme et la mettent à nu.
Luce. Elle ne sait que répondre, elle ne pensait pas avoir à s'expliquer, elle pensait être la seule inquisitrice.
« Tu l'as rencontré ? » Elle demande sans parvenir à réfréner un grognement. L'esprit sauvage de la nordique ne savait rester en sommeil bien longtemps, surtout depuis que Rowena lui avait révélé la dualité du dominant du Septentrion.

Il hausse un sourcil. Le comportement d'Aslaug, si loin à ce jour de celui dont il lui connait, éloigne sa culpabilité d'être neutre et impartial. S'il avait pu s'en vouloir, alors sa manière d'être si hostile en sa présence le conforte dans son idée d'être dur avec elle. « Non. » La réponse tombe comme une sentence. Elle veut dire non, évidemment, et qu'il n'en a aucune envie d'ailleurs. Même si une curiosité morbide et masochiste le pousserait bien à rencontrer la petite.
Puis la tension s'évacue. Il ne sait même pas pourquoi il lui en veut si fort – et encore moins pourquoi elle lui en veut. Lui reproche-t-il de le confondre avec Murphy ? Lui reproche-t-elle... quoi ? De ressembler à son père ? Il ne sait même pas. Il ne sait même plus.
Il soupire, baisse la tête en laissant ses naseaux effleurer le sol dans un nuage de poussière blanc.

Aslaug hésite, tangue, tremble un peu mais ne baisse pas les yeux, elle plonge dans le regard d'Oros pour y trouver un lieu réconfortant, quelque chose de familier. Mais elle s'abat finalement contre un mur de colère et de rancoeur qu'elle saisit mal. Tant pis.
« Tu semble perplexe vis-à-vis de ma réaction Oroszlàn » Fait-elle en hochant la tête, comme si la situation l'amusait tellement elle s'était envenimée dans son coeur et qu'à présent la déception régnait en elle. Ses histoires d'amour n'étaient pas faites pour durer mais cette fois-ci, elle n'avait rien à se reprocher. Enfin.. d'après elle.

Rien à se reprocher ?
Qui avait fuit pendant une si belle soirée ? Qui avait fuit avec une excuse de confondre père et fils ? Lui, peut-être ? Ah, s'il savait qu'elle s'en voulait si peu, sûrement fulminerait-t-il. « Comment ne pourrais-je pas l'être, Aslaug ? Tu t'es enfuie, je n'ai eu aucune plate excuse sans savoir pourquoi le nom de mon père figurait dans celle-ci. Que penses-tu, selon toi, que j'ai pensé ? Comment aurais-je dû réagir ? » Son ton est calme, même si l'accusation pointe dans sa tête.
Il aimerait libérer toute cette colère qu'il a envers elle, envers lui-même, envers le monde entier.
Il aimerait bien l'embrasser, aussi.

Aslaug lève les yeux au ciel, insolente, capricieuse et hautaine. Oros ne l'avait jamais vu de la sorte comme personne d'ailleurs. La nordique sentait la colère monter en elle comme un poison qui progresse doucement en paralysant au fur et à mesure le corps mais pas l'esprit. Alors, plantée sur ses membres, elle cherchait à radoucir son regard pour ne pas l'accabler avec ses pulsions enfantines. Mais sa fierté l'empêchait un trop grand contrôle et Aslaug l'enfant, l'innocente, la naïve fulminait.
« Rappelle-toi Oros, rappelle-toi comme les gens nous regardaient, rappelle-toi comme la situation était ambiguë et étrange » Elle marque une pause, cherchant ses mots pour ne pas l'accabler nullement. « Est-ce ma faute si tu te comportes comme lui ? Est-ce ma faute s'il a sombré dans la folie ? Est-ce ma faute si tu as fait un enfant à Rowena alors que tu me contais les plus belles choses ? » Sa voix se tait, sa gorge s'assèche et elle pose enfin son regard au sol, comme essoufflée.

Oroszlàn découvre une autre personne. Une autre Aslaug. Est-ce celle-ci, son mauvais côté ? Comment réagirait-elle si elle découvrait le sien, à lui ? Si elle était consciente, plus encore qu'elle ne l'est déjà, des démons qui ravagent son calme et sa sérénité, certaines fois, lorsque d'autres diables viennent s'en mêler ? Il se raidit, il sent ses membres se remplir de cyanure, de ciment.
Il a fermé les yeux, incapable de la voir comme ça. Comme ça par sa faute. La colère cède la place à une culpabilité cruelle, injuste. « Je me fichais de leurs regards, de ce qu'on aurait pu dire de nous.. Mais toi pas... » Il a fini sa phrase en chuchotant. Le Lion est redevenu un enfant – c'est lui l'enfant entre les deux, pas elle ! – et il a soudain envie de pleurer. Mais sans doute d'un coeur de pierre ne tombent que des larmes de glace. Il a du mal à respirer, ouvre la bouche comme un poisson hors de l'eau, l'oxygène s'enfuit comme un volute de fumée. « Est-ce ma faute si je me comporte comme lui ? Est-ce sa faute à lui, la mienne, la tienne ? Aslaug, est-ce vraiment de la faute de quelqu'un ? Je ne l'ai connu que quelques mois, je n'étais qu'un poulain lorsqu'il est tombé. » Tombé, pas noyé ou mort. Il est tombé, comme tout Roi.
Sa dernière phrase ramène la colère à la surface d'un lac sale et poisseux. Il la fusille d'un regard sombre. « Ne m'accuse pas de ça je t'en prie ! Tu as aussi fait un enfant à un autre, au même moment. Je hais Rowena. » Mais elle, n'aimerait-elle pas le père de cette petite Luce ? Son coeur se serre, s'étreint dans une caresse acide. Il aimerait se jeter contre elle, mais il n'arrive pas à bouger, plus même à respirer.
Et si Fenrir avait trouvé la solution pour lui ? Et s'il lui fallait partir ?

Sa poitrine se comprime pour étrangler son coeur qui commence à saigner. Les sentiments flous qu'elle éprouve pour le dominant l'aveuglent et l'empêchent de réfléchir clairement, comme à chaque fois. C'est toujours pareil avec Aslaug, elle tombe amoureuse et ensuite elle tombe vraiment, de haut, pour se heurter contre le sol brûlant de la déception. Pourtant les cicatrices qu'elle portent ne sont plus une tare mais un avantage. Enfin, c'est ce qu'elle pensait croire. « Je ne peux pas faire autrement.. » Murmure-t-elle à son tour, comme si c'était à elle de devoir porter le poids de leur relation, de cet amour étrange qui les liait. Mais le ton monte à nouveau parce que Murphy revient entre eux, comme une chaîne dont on ne se défait jamais. La gorge de la nordique se serre, les mots sortent avec difficulté parce qu'au fond elle ne veut pas en parler. « Ce n'est de la faute de personne et pourtant tu m'en veux.. » Accuse-t-elle à nouveau en un murmure, blessée de savoir qu'il souffrait de cela.
Mais le déchaînement des passions n'était pas à son paroxysme jusqu'à ce qu'il lui réponde, pour cet enfant qu'il avait conçu avec la diablesse. « Ne pas t'en accuser ? » Crie soudainement Aslaug alors que sa voix monte tant les aiguës qu'elle se brise. « Tu as trahi ma confiance ! » Son coeur s'emballe, battant contre sa poitrine et secouant son corps de spasmes incontrôlés. « Je me suis réfugiée auprès de Maddox.. » Sa voix se casse à nouveau tant son incompréhension la submerge. « Je savais qu'au moins, je n'avais rien à attendre de lui.. contrairement à toi » Une pause, un refoulement de larmes. « Contrairement à toi qui t'étais montré si brave, accueillant, doux.. aimant.. » Ses yeux bourrés de larmes se posent, accusateurs, sur le mâle doré, comme seule preuve du mal qu'il lui avait fait.

if i told you what i was, would you turn your back on me ?
and if i seem dangerous, would you be scared ?
if this problem lies in me ?
i'm taking a stand to escape what's inside me
a monster, a monster, a monster
i've turned into a monster

« Oui, je t'en veux. » affirme-t-il d'une voix très calme, contrôlée. Il cherche dans le décor quelque chose sur lesquels ses yeux pourraient se poser sans souffrir, mais même la neige brûle ses rétines faites d'ombres et de chimères. Il repose ses iris (tra)cassés sur elle. « Je t'en veux de l'aimer à travers moi. Alors que moi, c'est toi que j'aime, et personne d'autre au travers. » Les mots se sont échappés, il s'est vu les prononcer comme un spectateur. Il plane, il observe la scène d'en haut. À sa gauche, un ange pleure. À sa droite, un diable rit aux éclats. Et toi petit, tu es où ? Au milieu, vraiment ? Il a envie de pleurer et de lui hurler dessus – autant d'émotions contradictoires qui l'empêchent d'en adopter un réellement. Sa raison balance – son coeur aussi. Mais s'il se balance, c'est peut-être déjà au bout d'une corde, ou sur un pont suspendu sans fin. Ô mon Lion, tomberas-tu comme ton père avant toi ?

Puis viennent enfin les accusations. Il sait qu'elle ment. Il a appris sa saillie juste après la sienne à lui. Elle n'a pas pu le savoir avant, et peut-être qu'ils l'ont fait l'un et l'autre de par la distance et la tension réunies après leur séparation au bal. Il ferme les yeux. Il est si facile de venir moduler sa conscience, de venir piétiner sa confiance. Lui si en colère, le voilà soudainement aux portes du chaos. Intérieurement, des anges torturés se débattent, essayant de se dépêtrer de marécages empoisonnés. Il recule. Un pas, deux, cinq. Il veut s'en aller, s'en aller loin d'ici, loin d'elle, loin de ses erreurs à lui – vu que c'est visiblement, encore et toujours, de sa faute. Peut-être devrait-il partir. Ou mourir pour enfin enterrer Murphy. Une larme roule sur son visage d'or, mais elle a des reflets incandescents. Elle lui brûle la joue, et s'en va consumer un centimètre de neige lorsqu'elle s'écrase au sol. Il lui semble entendre le son de sa chute. De son crash. Dis-moi, quel bruit cela fait-il de tout laisser tomber ? Il frissonne, se refuse à ouvrir de nouveau les yeux. « Pourquoi me parler encore, si je ne suis finalement pas celui que tu attendais ? Si tu me pensais si doux, brave, accueillant, aimant, et que je me suis à tes yeux révélé n'être qu'une brute, un animal, un traître, un malhonnête ? » Peut-être a-t-elle placé trop d'attentes en lui, au fond. Les chats ne font pas des chiens, garçon. Tu n'es rien. Rien sinon un bon à rien, un insolent, un démon, un monstre. L'air lui manque, un hoquet déforme sa bouche en une grimace amère. Lorsqu'il rouvre enfin ses yeux, ils sont noyés sous un torrent de larmes glacées. Elles coulent librement, il ne peut plus les cacher. Les accusations de la grise viennent renforcer l'image si négative qu'il a de lui-même. C'est si simple, comme je disais, d'en faire ce que l'on souhaite.

ce sujet va me tuer

Sa mâchoire grince encore plus fort à tel point qu'elle finit par ne plus pouvoir la bouger. Les sentiments s'emmêlent et se confrontent, Aslaug ne sait plus ce qu'elle fait là, qui est en face d'elle et pourquoi ils se battent au lieu de s'aimer.
Mais les mensonges d'Oros lui reviennent en tête, l'annonce de Rowena aussi, toutes ces choses qui ont brisé le coeur de la jolie nordique. Nordique. Une larme coule à nouveau le long de sa ganache épurée. Allait-elle quitter le Septentrion ? Quitter ce territoire qu'elle affectionnait tant ? Celui-ci même qui l'avait accueilli dès son arrivée sur ces terres. Son visage se fissure en une grimace, ses traits reflètent sa souffrance, ce déchirement qui explose son coeur pourtant battant à tout rompre dans son poitrail. La voix du doré se brise contre elle à la façon d'une vague un jour de tempête qui assaille un phare, esseulé au milieu d'une mer déchainée. Alors que moi, c'est toi que j'aime. Ces mots la font exploser en sanglots et la blanche s'efforce de tenir debout malgré ses membres tremblants qui menacent de s'effondrer. Et Aslaug, qui aimait-elle ? Le savait-elle seulement ? Son attachement pour le nord l'aveuglait certainement et pourtant cette pointe qu'elle ressentait lorsqu'Oros apparaissait devant elle n'était pas une confusion qu'elle pouvait faire. Seul Equinox lui avait fait ressentir ça. Et il était parti. Cette peur de l'abandon la laisse de marbre, incapable de se jeter dans une histoire, incapable de n'y poser qu'un sabot, incapable de rendre à ses sentiments.

« Je n'ai jamais rien dit de cela ! » S'offusque-t-elle, partagée entre la souffrance et la colère. « Comment veux-tu que je puisse t'aimer si toi-même tu te détestes Oros ? Comment veux-tu que je te fasse confiance si toi-même tu oscilles entre le bien et le mal ? » Ses mots la libèrent parce qu'elle croit enfin avoir mis des mots sur ses maux et sur ses incertitudes. Son souffle se cadence un peu mieux, son coeur arrête de s'emballer mais ses larmes continuent de pleurer. « Je t'ai aimé si fort » Rajoute-t-elle sans que sa voix ne se brise. « Mais tu ne veux pas qu'on t'aime.. » Lâche-t-elle en fixant le sol, se brûlant les yeux sur la neige étincelante. Ses paroles sont dures, elle le sait mais s'il lui fallait perdre Oroszlàn, que toutes les mauvaises choses soient alors expiées.