φ le goût amer des souvenirs [DOMINANTE]

Bien qu'Ana eût vécu un certain temps au Nord, habituée aux brûlures de glace, au sifflement du vent et au crissement de la neige sous ses pas, elle ne put s'empêcher de fermer les yeux lorsque la chaleur du soleil lui caressa la peau. Mine de rien, cette sensation lui avait manqué. Elle préférait nettement ce climat. C'était ce qui lui correspondait.

Mais cette correspondance n'était qu'une coïncidence. Un alibi, même. Si elle était là, c'était pour une toute autre raison. Et, sans plus attendre, elle lança un hennissement clair et fort à l'attention de la dominante.

L'oreille fine de la matriarche lui permet d'identifier exactement l'emplacement de sa future interlocutrice. Elle la rejoint en quelques larges et gracieuses foulées. L'ibérique se tient immobile sur la corniche afin de détailler la jument en contrebas. Jamais vue, ça fait longtemps qu'elle n'a pas croisé d'arabe. Elle descend et s'approche de l'étrangère. C'est pourquoi ? Réclame t-elle, le ton à l'extrême opposé de la température extérieure.

Elle n'attendit pas bien longtemps. Au bout d'une minute ou deux, une silhouette brune se dessina au sommet de la corniche, l'air à la fois ferme et inquisiteur. Lorsqu'elle l'aperçut, son souffle se coupa et une lueur sauvage, imperceptible pour son interlocutrice postée au loin, s'anima au fond de ses iris. C'était elle… Elle ne l'avait encore jamais vue, et pourtant, elle l'abhorrait. À cet instant précis, l'image de Naska lui revint en mémoire, tel un esprit frappeur. Tandis que ses yeux picotèrent comme s'ils étaient remplis de sable, un sentiment de haine qu'elle n'avait encore jamais ressenti jusqu'ici lui rongeait les veines. Elle dût se mordre la gencive pour ne pas craquer. Il ne fallait pas qu'elle perde de vue sa mission. Il fallait qu'elle joue le jeu, jusqu'au bout. Elle avait promis.

Puisant au plus profond d'elle-même un courage dont elle n'avait même pas connaissance, elle afficha une mine neutre, qui ne trahissait aucun sentiment, tout en observant sa descente. Lorsqu'elle l'apostropha avec froideur, elle ne se laissa pas impressionner, conservant son masque impassible. « Je souhaiterais rejoindre votre territoire, accompagnée de ma famille. » avait-elle répondu d'une traite, la voix claire comme de l'eau de roche. La brune s'était dispensée d'introduction, alors elle avait fait de même. Autant aller droit au but.

Comme elles sont différentes. L'étrangère parait si fragile, si légère. Tandis qu'Isildure n'est que muscle et grandeur. Une bourrasque de vent vient rafraîchir l'atmosphère comme si c'était nécessaire. La maîtresse des lieux l'écoute, silencieuse, mais finit par afficher une mine perplexe. Je ne vois que toi. Annonce t-elle en inspectant les alentours d'un rapide coup d’œil.

Elle s'attendait à cette réplique et, pour cette raison, elle ne marqua aucune pause. Elle n'eut pas une once d'hésitation. « En effet, je suis seule. Pour l'instant, du moins, ça ne durera pas. Mon compagnon est activement recherché, il se cache avec mon fils. Je suis venue en éclaireuse pour vous demander l'asile. » En prononçant ces mots, elle soutint son regard. Elle exagérait un peu les traits, mais c'était volontaire. L'angle d'attaque qu'elle avait choisi. Elle avait entendu dire que la brune aimait le piquant. Verrait-elle là une situation assez alambiquée pour lui plaire ? Verrait-elle le compagnon en question comme un malfrat recherché pour des actes répréhensibles, un personnage fort capable d'intégrer son troupeau - ou au contraire, verrait-elle là de la lâcheté et de la faiblesse ? Elle se mordit une fois encore la gencive, comme si la douleur qu'elle ressentait était un point d'ancrage qui lui permettait de rester à flot.

Elle plisse les yeux. Recherchés ? Intéressant. Excitant. Intriguant. Mais, Par qui ? Et surtout, Pourquoi ? La jeune jument a capté l'attention d'Isildure, du moins pendant quelques minutes. Si les informations sont moins croustillantes que celles imaginées, alors l'inconnue n'aura que quelques secondes pour déguerpir avant que la mâchoire de la panthère ne se referme sur elle.

Elle la fixait droit dans les yeux, sans ciller. « Zohra. Elle a mis sa tête à prix. » balança-t-elle, la voix ferme, le regard dur, tout en évitant soigneusement de parler de la défaite du Nord. Elle savait que ce n'était pas l'événement qui allait plaire à la brune. Non, il fallait être stratégique. « Je n'en connais pas la raison, mais j'imagine qu'elle a peur de quelque chose. Et, il me semble que vous ne la portez pas dans votre cœur. » Elle reprit sa respiration et enchaîna, sans même attendre une confirmation. « Ne dit-on pas que l'ennemie de votre ennemie est votre amie ? Si vous souhaitez la détruire, je m'engage à vous prêter main forte. Et croyez-moi, j'ai de la rage à revendre. »

Elle plonge dans un long instant de perplexité et de réflexion. Venez demain. Tous les 3. Et tu auras ta réponse. Nous verrons bien s'ils méritent d'obtenir la protection d'Isildure et la mise en péril du troupeau.

Alors voilà. Ce n'était pas la réponse qu'elle souhaitait, mais ce n'était pas non plus celle qu'elle redoutait. Il y avait une petite ouverture, une faille, qu'elle allait pouvoir exploiter, et cela lui convenait. Hochant la tête, gardant sa posture, elle répondit « Très bien, nous serons là. Au même endroit ? »

Au même endroit. Renchérit la grande jument d'ébène. Immobile, elle patiente, le temps que l'arabe déguerpisse.

Elle hocha la tête, acquiesçant ainsi le rendez-vous fixé. Le silence prit ses aises quelques instants, emplissant les lieux. Puis elle finit par répondre « Entendu. Nous nous retrouverons donc demain. » Elle se rendit compte qu'il manquait quelque chose. Qu'elle avait peut-être l'air trop ferme, trop crispée. Alors, elle ajouta d'une petite voix « Merci de vous pencher sur ce cas. » Et cela lui coûta beaucoup. Beaucoup trop. Tandis que le Merci lui brûlait la langue et qu'une vague de colère la traversait en silence, tel un virus latent, elle fit volte face et entama la route vers son refuge de fortune, le cœur au bord des lèvres.

(OUT)

Du coup, avec Sydän en pause, on peut pas faire le sujet tout de suite, mais on se tient au jus ?