Escalade Matinale

Sauf que l'étalon noir n'arrivait justement pas à dormir cette nuit là. Il était probablement anxieux. Il savait que la mise bas d'Hélivia approchait et ça le stressait. Ces derniers temps, il l'espionnait presque. Il voulait s'assurer qu'elle soit en sécurité pour ce dur moment qu'ils attendaient tant. Ils l'attendaient, mais Njörd n'était pas prêt! Et il a l'impression qu'il ne le sera jamais. Le poulain arrivera quand il arrivera.
Bref, c'est pourquoi il est déjà là, perché en hauteur, sous l'ombre d'un arbre -sa robe noire est pratiquement en feu- depuis la fin de la nuit. Officiellement, il habituait son corps à la chaleur. Le guerrier Nordique devait se préparer à toutes sortes de températures. Pour le froid, c'était ok, mais la chaleur... fallait s'habituer. Officieusement... Il relaxait.

Un silhouette féminine attira bientôt son attention alors qu'il se détendait. Elle était un peu en contre bas, il devait baisser les yeux pour l'observer. Il ne l'avait jamais vue. Peut-être était-elle nouvelle ici? Il la regardait escalader la colline avant que leurs regards ne se croisent. Elle l'avait vu. Normal, puisqu'il ne s'était pas caché. Elle ne semblait pas très encline à lui parler. C'était à croire qu'elle cherchait un moyen de le fuir. Mais pourquoi? Il ne lui a rien fait! «Je sais que tu m'as vu. Je ne te mangerai pas, tu sais.», dit-il de sa voix calme et rassurante.

Il ne comprenait pas. Pourquoi voulait-elle tant le fuir? Il n'a montré aucune agressivité et si elle prenait la peine de chercher, elle verrait bien qu'il n'est pas méchant. Et il n'y a pas plus honnête que lui ; il déteste tout ce qui se rapproche du mensonge et de l'injustice. L'étalon haussa un sourcil, étonné. «Tu peux me tutoyer.», lui intima-t-il. «Tu ne me dérange pas. Tu peux rester.» Son regard sombre tentait de sonder le fond de l'âme de l'inconnue. Elle ne semblait pas méchante, juste méfiante. Et que dire de sa politesse... C'est... Trop. «Je ne t'ai rien fait. Tu n'as pas à te méfier de moi.», lui assura-t-il. Mais il savait très bien ''qu'ils disaient tous ça.''

Une attaque de prédateurs?

Si, il spouvaient être vrais. Non, ils ne peuvent pas, ils le sont. Njörd n'est pas méchant. C'est un préjugé, une généralisation abusive qu'elle porte à son égard. Ce n'est pas parce qu'elle a connu des étalons mauvais qu'il en est forcément un. Au contraire. Mais il ne peut pas forcer quelqu'un à lui faire confiance. Il ne dispose d'aucun don d'hypnose ou de quelque chose de tordu du genre. Non. Mais il peut lui montrer. Lui montrer qu'il ne lui veut pas de mal. Lui montrer qu'elle n'a pas à s'en faire. Lui montrer qu'elle est en sécurité avec lui. Dans son regard mystérieux, il ne voit que de l'intelligence et de la fougue. Elle lui fait penser à Lov, si ce n'est qu'elle ne se ressemble pratiquement en rien. C'est étrange, mais vrai.
Ce qu'elle dit a un fond de bon sens, mais voilà ce qu'il en pense. «Tu n'as pas tort sur ce point. Mais il faut aussi savoir juger si l'inconnu est bon ou mauvais. Et pour une raison que j'ignore, je crois que tu penses que je suis le deuxième type d'inconnu.» Un simple affirmation. Elle en fera ce qu'elle voudra. Il sait que c'est faux, qu'il ne l'est pas. On ne choisit pas d'où l'on vient, mais de ce qu'on devient.
Il ne sait pas s'il doit sourire ou non. Il ne sait pas, tout simplement. S'il insistait sur le fait qu'elle avait tort de se méfier autant de lui, elle trouverait probablement ça suspect. Et si à l'inverse, il n'insistait pas assez, elle penserait qu'il a quelque chose à cacher. À vrai dire, le noiraud n'a jamais eu à affronter ce genre de situation. C'était compliqué.
Lupita. Un joli nom. Mais il se garda bien de le dire. Pour une rare fois, il avait peur de ce qu'on penserait de lui. Il ne voulait pas avoir l'air méchant avec elle. Et en la complimentant, il aurait probablement l'air de tenter de l'amadouer. C'est donc avec un très mince sourire qu'il lui répondit. «Njörd.»

Cool! C'est parce qu'en fait, je voulais un peu pimenter sa vie en le blessant un peu

Elle n'y répondait rien. Vraiment rien. Rien de chez rien. Plus muette que ça, tu meurs. Ce silence... Il ne savait pas trop quoi en faire. Il ne voulait pas le prendre personnel -le fait qu'elle ne le contredise pas-, mais en même temps, c'était pas cool. Il soupira légèrement, déçu de pouvoir paraitre ainsi. Il est vrai que les étalons sont parfois craints par les juments, mais vraiment, il n'y à rien à craindre de Njörd. Sauf que ça, elle ne le comprend pas et refuse sûrement de le comprendre. Il aurait beau se montrer sympa, elle prendrait ses airs pour faux.
Il commençait presque à croire que c'était peine perdue. À quoi bon essayer quand il n'y a qu'une seule personne qui s'en donne la peine? Soudain, elle plaqua les oreilles sur sa nuque. Il eut un bref mouvement recul. Là je lui ai vraiment rien fait. Puis, elle cria son nom. Sa peur est palpable. Une présence. Une présence qui lui veut du mal, qui leur veut du mal. Il n'avait pas vu, ni senti le puma qui s'approchait furtivement dans son dos. Il n'eut à peine le temps de plaquer ses oreilles à son tour et de tourner la tête derrière lui qu'une douleur si intense lui brula le dos et la croupe.
Des griffes aiguisées se plantaient dans sa chair. Le couguar était sur lui. Malgré la douleur, il rua, se cabra et se débattit dans tous les sens. L'étalon sentit ensuite que le prédateur descendait de sur lui. Avant qu'il ne puisse revenir à l'attaque, Njörd se retourna, la queue fouaillant dans tous les sens. À son tour de charger. Il s'élança, la gueule toute dehors, mais il préféra tenter de le piétiner plutôt que de recevoir une vilaine morsure au visage.
Après quelques coups, le lion de montagne préféra battre en retraite, voyant qu'il s'était attaqué au mauvais étalon. Craignant toutes tentatives envers Lupita, il se plaça légèrement devant elle.
«Reste sur tes gardes.», lui conseilla-t-il une fois le puma parti. Il espérait qu'il se reviendrait pas. Il prit appui sur un arbre. La douleur avait été remplacée par l'adrénaline, mais elle était revenue. Il jeta un coup d'oeil sur ses blessures. Il grogna en voyant que son adversaire avait réussi à le faire saigner. Des traces de griffes étaient bien visibles. La mâchoire serrée, il resta ainsi vulnérable. Il ne savait encore moins quoi faire.

Voui

En effet, tout c'était passé trop vite. Mais il était bien là, blessé, vulnérable, appuyé contre un arbre. S'il revenait, le prédateur pourrait facilement l'achever. Il avait perdu pratiquement toutes ses forces et la douleur l'empêcherait de se défendre une seconde fois. Pour l'instant, il ne voyait pas ce qui pourrait y faire. Il n'avait jamais été aussi blessé, il avait généralement eu de la chance avec les dangers qui le guettent. Mais pas aujourd'hui. Au moins, elle n'avait pas été touchée et mieux encore, elle n'était pas partie. Il n'aurait pas su quoi faire si elle l'avait abandonné là. Que faire à part essayer de retourner au Nord? Mais elle est là. Tant mieux.
Il perdait du sang. Il resterait sûrement avec des cicatrices, mais il n'aura pas d'autres séquelles. Il ne boitera pas, mais ses adversaires verront facilement un point faible. Zut. Il se rappelait trop bien de son entrainement avec Maddox, où il avait appris à exploiter les points faibles d'un adversaire. Ses ennemis feront pareil. Mais 'étrangement', là, il préférait penser à son rétablissement qu'aux traces que l'attaque laisserait sur son corps. La douleur était bien là, et bien plus forte à présent que l'adrénaline était complètement tombée. Il ne desserrait pas les dents. Sentant que ses jambes tremblaient et peinaient à supporter son poids, il se coucha avant de s'effondrer.
Lupita lui avait parlé. «Ça, je sais bien.», rétorqua-t-il sèchement. Mais c'était compréhensible. Il soupira. Il n'avait pas voulu lui parler ainsi, c'était sorti tout seul.
Des instructions? Il n'a jamais appris de trucs de guérisseur, lui (lol). Mais il fallait désinfecter ça. Malheureusement, où voulez vous trouver de l'eau en plein désert? «Je... Je n'en sais pas plus que toi, désolé. T'as une idée?»

À en voir la grimace que la jument champagne a fait, il se dit qu'il a été un peu trop irritable. Mais que voulez-vous. Il est comme ça quand il souffre, ce qui est évidemment le cas présentement. Il a fait de son mieux, mais il n'a pas pu s'en sortir indemne.
Lupita soupire. Il commence à avoir peur qu'elle le laisse vraiment seul. Elle ne ferait pas ça, quand même? Et même si elle avait peur de étalons en colère, il n'était pas tellement en état de lui faire quoique ce soit, si jamais il en avait eu envie. Il ferma un instant les yeux. Il fallait rester calme, malgré sa croupe qui commence à le lancer. À présent qu'il était couché depuis un petit moment, il était reposé et en état de se relever, non? Njörd essaya. Il tenta de prendre plus d'appui sur ses antérieurs, mais ses jambes arrières ne voulaient comme pas suivre le mouvement. Il s'écroula. Il commençait à perdre espoir. Il finirait en chair à corbeau bien vite.
Peut-être suffisait-il qu'il prenne plus de temps pour se reposer?
Il s'allongea, puis regarda la jument. Elle s'approchait d'un arbre à la sève rouge sang. Elle n'allait quand même pas en manger, si? Il allait la prévenir quand elle posa la langue dessus. Bon, elle n'en a pas assez pris pour s'empoisonner. Elle revint à lui comme pour lui proposer quelque chose. Ses paroles si crues le fit légèrement grimacer à son tour. Il soupira. «Je tiens à ma vie, merci. J'ai pas envie de mourir avant de connaitre mon poulain... Essaie de briser un cactus, il y aura de l'eau à l'intérieur. Prend garde aux épines.»