et je la vois et je le perds, et je la subis / RUYN

Sa silhouette longiligne se détachait sur la lune immense et ronde. Les sabots touchant presque l'onde tranquille, Ruyn plongeait son regard azuré dans la luminosité argenté de la grande dame blanche. Elle en était presque éblouie, mais elle s'en fichait ; elle se sentait si lasse, si fatiguée, si vieille peut-être. Quel âge avait-elle désormais ? Elle avait perdu la notion depuis Sa mort. Elle avait sans doute aussi perdu une part de son esprit ce jour-là. Ruine était encore plus bizarre qu'avant. Ce qu'elle disait parfois n'avait aucun sens, et elle se perdait soudain dans des longs monologues chuchotés à sa propre personne.

Mais ce soir, elle était apaisée. Lasse, fatiguée, mais apaisée. Comme si elle sentait au fond d'elle-même que tout allait se remettre dans l'ordre. Enfin.

La reine de la nuit détacha ses yeux de son reflet, et les releva doucement sur la silhouette massive qui se tenait de l'autre côté de la rivière. La lune avait beau colorer sa robe dorée d'une lumière métallique, Ruyn l'aurait reconnue entre mille, et son coeur se décrocha de sa cage thoracique. Car le sien battait encore, à elle. Elle sentit ses jambes maigres trembler sous sa carcasse légère, et elle dû faire un pas en avant pour ne pas chanceler.
Septenrê.
Que faisait-elle là ? Cela ne pouvait être vrai. Elle était morte, morte sous ses yeux. Elle baisé tant de fois son corps brûlant encore, et même une fois glacé. Elle avait vu son dernier souffle, son dernier regard, senti son dernier battement de coeur. Mille questions se bousculaient dans la tête de Ruyn, qui détaillait le corps meurtri de sa belle amante. La gorge sèche, elle ne put que plonger son regard pâle dans le sien, ne pouvant produire un seul son.

Et, comme attirée par aimant - solaire -, Ruyn avance en même temps que Septenrê et plonge ses membres décharnés dans l'eau noire - aussi noire que sa robe -, sentant la morsure du froid buter violemment contre ses os à peine revêtus de sa peau ébène. Mais qu'importe le froid. C'est l'émotion qui la fait trembler et grelotter. Ses yeux pâles ne lâchent plus sa reine défigurée, de peur qu'elle ne disparaisse à sa vue si elle ose détourner le regard. Son coeur martèle contre sa cage thoracique étriquée, battant si violemment qu'elle a l'impression qu'il va jaillir hors de sa poitrine. L'eau et Ruyn se mêle, et bientôt on ne distingue plus que son croissant de lune dans toute cette noirceur. 7... murmure-t-elle, Septenrê.... appelle-t-elle, sa voix semblable à une plainte mélancolique.

La peau de Septenrê est lacérée de part et d'autre. Son corps magnifique est complètement bousillé, et pourtant, Ruyn n'en ressent pas le moindre dégoût. Ses yeux ne se détache pas des yeux légèrement pâlis de sa belle, et qu'importe son visage balafré. Qu'importe l'eau qui s'engouffre dans ses déchirures comme dans une crique. Qu'importe sa peau légèrement flétrie, désormais plus irriguée par son coeur, par son sang. Ruyn ne voit rien de tout cela, rien que le regard de sa belle où mille émotions défilent.
Et puis sa voix douce et ferme à la fois résonne dans les oreilles de l'akhal, et fait tant chavirer son coeur qu'elle en ouvre les vannes de ses pleurs. Plus rien n'avait de sens depuis que Septenrê était morte. Elle s'était perdue, elle était devenue folle. Et pourtant Septenrê était face à elle, chaque pas qu'elles faisait la faisant un peu plus mourir d'amour, craignant de la voir disparaître, comme elle avait disparu tant de fois. Je, je ... hoqueta-t-elle, mais tu ...tu étais morte, 7, tu ne respirai plus et tu ... Sa voix se brisa, sa vue se troublait, brouillant les traits du visage de sa bien aimée. Saletés de larmes, laissez-moi m'abreuvez à l'ivresse de l'image de mon amour ! Soudain, son poitrail émacié buta contre l'énorme poitrail de sa reine, et elle leva la tête, cherchant ses lèvres avec frénésie, dans un élan désespéré d'amour, d'amour, que de l'amour.