♠ habitué

/ LÖVOJKA

Elle ne voit même plus les couleurs chatoyantes de la prairie ondulée qu'elle traverse. Elle n'y fait plus attention. Plus rien n'a de goût ni d'odeurs, ni même de couleurs. Elle vit dans un monde vide, comme si ses sens s'étaient coupés. Comme si son coeur avait cessé de battre et son cerveau de fonctionner. Peut-être un simple mécanisme de défense.
La lionne erre, on ne peut pas dire qu'elle sait où elle va. De toute façon, ça n'a plus d'importance. Plus rien ne la retient à ce voyage sinon Red. Elle est partie avec buts, idées et même rêves en tête. Naïve, gamine, naïve ! T'avais dit que tu te laisserais jamais avoir !
Mais il m'a eue. Son unique oreille encore valide se balance au vent, elle fixe un point dans le vide devant elle et continue d'avancer parmi les lavandes, absente.

Soudainement, elle entre en collision avec un étalon. Elle aurait préféré que cela soit un rocher ! Que ça l'assomme, bon sang, que ça les fasse taire ! Tous, là, dans son crâne. Qui rient, se moquent d'elle. Elle couche son oreille en arrière avant de reconnaître Sueño. Elle n'a pas oublié leurs jeux au bord de l'eau, mais il lui semble que c'était il y a tellement longtemps. Elle s'était amusée comme jamais elle ne l'avait fait, même quand elle était enfant. Parce qu'elle ne s'amusait pas, enfant. Depuis, elle n'a jamais retrouvé ce goût de jeu et d'innocence qu'elle avait pu partager avec lui ce jour-là. Elle penche la tête sur le côté, laissant son oreille se redresser lentement. Elle ne sourit pas et son regard est dur, froid, profond. Très bien. Sa voix aussi est froide. Son corps entier l'est. Son coeur aussi, plus que jamais. Qu'est-ce que tu fais ici ? demande-t-elle, comme un reproche.

Les idées floues et noires, le cerveau ankylosé, Lov ne sait plus vraiment ce qu'elle dit ou fait. Elle le dévisage, comme si c'était un ennemi. Pourtant, les souvenirs sont assez forts pour la ramener à l'instant présent. Face à un étalon qui ne lui a rien fait. Elle se sent honteuse et gênée mais ne le montre pas, question de fierté. Elle soupire, murmurant quand même un : Désolé ... avant de s'éloigner de quelques pas, le laissant passer s'il le veut.

Sûrement ignore-t-il ce que ça lui coûte, de s'excuser, surtout pour si peu. Et en plus de ça, il l'ignore. Elle lève les yeux au ciel. Lui semble avoir oublié leur lien, tant pis pour lui, plutôt. Elle le regarde passer, sans un mot.

Mais elle ignore les troubles de sa mémoire. Elle le fixe donc avec interrogation et finalement, quand il s'arrête et semble aller mal, elle se rapproche, en soupirant. Ça ne va pas ?

Elle n'a pas envie de jouer les gentilles soigneuses, se préoccuper des autres – à part ceux qui comptent pour elle – n'est pas dans son caractère. Pourtant, peut-être en respect du souvenir qu'elle a gardé de Sueño, elle insiste. Qu'y a-t-il ?