hotel california

Ce n'était pas pour prier qu'elle était venue ici. Elle avait suivit la piste de ses rêves imaginaires, son souffle lent captant d'infimes effluves, fugaces et nébuleuses. Son premier sabot se posa sur le sol du temple, à l'opposé de là où se trouvait l'akhal. Elle écoutait l'écho de ses pas au fur et à mesure qu'elle avançait, frôlant lentement les parois refroidies par le soleil couchant.

Ce fut comme un massage pour ses tympans. Cette voix, vibrante et profonde, semblait tout droit sortie de l'un de ses souvenirs. Un souvenir sans poussière, nimbé d'ambre. Dans un réflexe visuel, les yeux aux reflets indigo de la magicienne trouvèrent leur berceau dans ceux d'un être mystique et semblant revenir d'un autre âge. Elle n'aurait su dire en cet instant s'il s'agissait de son pire cauchemar ou de son plus beau rêve. Ce n'était pas la première fois qu'elle le revoyait, non. A chaque fois, il ne s'était agit que d'un mirage, suivit d'une intense et profonde frustration. Et nouvelle chute dans un ravin sans fond. Jusqu'ici, elle avait toujours su se rattraper avant de toucher le fond. Mais l'illusion était superbe. Si réaliste. Voilà qu'elle entendait sa voix. La folie avait-elle fini de forcer la porte ?

Pourtant, tout était là. La voix, l'image, même l'odeur. Le sang affluait rapidement dans son corps, et elle eu l'impression de s'engourdir. Elle était une nouvelle fois au bord du ravin. Un frisson l'envahit tandis qu'elle l'entendait de nouveau prononcer son prénom, dans son propre esprit. La sorraïa s'était immobilisée, comme si elle s'était changée en l'une des statues qui peuplaient ce temple. Des Dieux avaient-ils décidé de se moquer d'elle, si toutefois ils existaient ?

Et tout d'un coup, la machine se mit en marche. Elle s'avança, comme si elle franchissait les barrières du temps, toujours suspendue entre deux époque. Son coeur balançait, trépignait et se serrait. Elle ne s'arrêta qu'une fois proche, et constata qu'il était toujours là. Illusion vivante. Ces reflets violacés annonçaient l'orage, ils annonçaient désormais la tempête, un déluge incontrôlable. La pluie commença à tomber, de ses yeux tout d'abord, et le premier coup de tonnerre frappa. A la base de l'antérieur de ce mirage matérialisé. « Tu trouves ça drôle ?! » s'emporta-t-elle, envoyant son front cogner contre son encolure, car ô grand jamais elle n'aurait abîmé son visage sculpté de perfection. « Tu es mort ! MORT ! » Et tout son corps transpirait de cet abandon qu'elle avait subi depuis des années, de toute cette atroce souffrance qu'elle avait enduré depuis sa disparition. De tous ces vains efforts pour passer à autre chose. Maintenant qu'elle avait en face d'elle tout ce qu'elle avait aimé et tout ce qui l'avait fait souffrir à la fois, sur quoi allait-elle se reconstruire ? Parce que maintenant qu'il était en face d'elle, tout ce sentiment d'abandon lui revenait en plein visage. Comme s'il l'avait abandonnée une deuxième fois.

Quand il soufflait son prénom, il ne résonnait plus comme une malédiction à ses oreilles. La R'Ayna qu'il avait connue avait sombré depuis bien des années, mais existait-il encore une chance pour qu'elle puisse retrouver la surface ? Elle qui s'était noyée dans des abysses plus profonds qu'on ne puisse se l'imaginer. Elle sentit la pression contre son corps, et bien que la tempête qui régnait en elle tonnait toujours, elle parvenait à mieux se contenir. « Quel monde est assez cruel pour t'arracher à moi et te faire reparaître après tant de temps... » souffla-t-elle, sans que cela ne sonne spécialement comme une question. Son âme sifflait, hurlait, sans savoir si c'était de bonheur ou de souffrance. De le retrouver ainsi, de sentir de nouveau son odeur et sa chaleur, créait un véritable choc pour la sorraïa. Le manque ainsi comblé faisait aussi mal que lorsqu'il s'était installé et rongeait ses entrailles. C'était comme se prendre une décharge d'une extrême violence. Son monde reparaissait, reprenait des couleurs qui s'étaient ternies avec le temps. Parce qu'il avait toujours été son soleil, et qu'il redorait son paysage. Il redonnait vie à des éléments qu'elle voyait dépérir depuis le premier jour de sa déchéance. « Ce monde était bien trop petit pour toi... mais pourquoi es-tu revenu ? » Aujourd'hui était peut-être le jour où elle mettait au monde le seul enfant que lui avait donné son prince ambré : l'espoir.

Elle sentait son souffle caresser la peau de son encolure, heurter avec une douceur ferme son épiderme à chaque mot qu'il prononçait. Le timbre même de sa voix semblait provenir d'une illusion générée par son propre espoir. Pourtant, le contact physique était bien réel, et la question pouvait bel et bien se poser : le jour où l'akhal sera véritablement disparu, y croira-t-elle seulement ? Ou continuera-t-elle de vivre dans une longue et interminable attente ? Un éternel désespoir ? La seule chose qu'elle savait en ce jour, c'était qu'elle ne voulait plus le quitter des yeux, de peur qu'il ne disparaisse à nouveau, et que cette fois elle ne le retrouve pas. « Ici et là. Je vagabonde dans des mondes nébuleux, probablement parce que je te cherchais, toi. » Elle marqua une courte pause, quelques frissons la parcourant frénétiquement. « Mais jamais je n'aurai imaginé te retrouver dans celui-ci. »

« J'ai trouvé ce que je cherchais. Jusqu'à ce qu'une autre dimension te vole à moi. » répondit-elle calmement, observant les formes taillées dans l'or pur de l'akhal se mouvoir dans l'espace. Le lieu était grand, somptueux, et pourtant pour R tout était petit, comme si elle était constamment près de lui, comme si c'était lui, le soleil qui régnait ici. Ses yeux aux reflets indigo se heurtèrent à l'onyx des siens, si profond et vastes. Elle lui adressa un sourire comme elle en avait le secret : en demi-teinte. « Es-tu revenu dans un but précis ? »