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Yrma doit avouer qu'elle se sent perdue. Ce sentiment l'horripile. Quelque part, au fond d'elle, s'est ancré un certain souvenir de Galop Sauvage. De terres en flammes, d'un monde au bord de l'apocalypse, ensanglanté, gouverné par des faibles ou des tyrans. Certes. Cependant cela a été son monde. Comment prendre possession d'un royaume qui nous revient alors même qu'il ne fait qu'en porter le nom ? Mais évidemment, c'est un éternel recommencement... On pense faire changer les choses mais rien de diffère, la bêtise émerge à nouveau, et finalement, il faut purger l'ensemble pour espérer en tirer quelque chose. Alors elle se dit que ses ambitions ont du sens ici, malgré tout. Que son travail aurait été le même qu'importe l'endroit, tant que le peuple de Galop Sauvage y réside.

L'oreille du Cygne se tend. Un chant d'enfant hante les lieux. Une ombre glisse et disparaît. Pourtant Yrma a déjà tout entendu, tout perçu, et les effluves qui dansent encore dans l'air l'informent qu'il s'agit d'une jument. Machinalement, elle pense qu'il s'agit même d'une jeune jument, bien qu'il ne faille pas toujours se fier au comportement des gens. Cependant, elle continue sa route, tranquillement, son corps maigre immaculé visible entre les colonnes. On pourrait croire qu'Yrma se pense seule, du moins, c'est ce qu'elle choisit de montrer.

[Haha, je te remercie !   ]

Yrma la sait dans son dos à présent, plus loin, dans son angle mort. Son ouïe fine lui a rapporté le bond, les remous de l'air la direction, et le vent lui emmène maintenant l'odeur, dont la source émane d'un nouvel endroit. Celui que la gredine a choisi cette fois. Le Cygne s'arrête, frémissant. Elle arbore un air surpris. Son oreille gauche se tend, alors même qu'elle a déjà fait son travail en lui détaillant les percussions des sabots sur le sol. Mais Yrma fait croire qu'elle est dupe, qu'elle cherche. Toujours paraître plus démunie qu'on ne l'est. «Quelqu'un est là ?» La douceur fébrile de sa voix étincelle dans l'air sec. Elle ricoche sur les débris, les colonnes épaisses, les bris de plafonds encore en place. Avant qu'elle n'ait disparu, le chant de l'inconnue s'y mêle, comme un serpent glissant autour de sa proie, étouffant le dernier écho de la question d'Yrma. Voilà quelqu'un qui veut jouer. «Je ne trouve pas cela très drôle.» Tonne-t-elle, faisant volte face. Mais elle sait y instiller suffisamment de fragilité pour avoir l'air de se chercher une contenance.

Tout est calculé. Toujours.

Un éclat de rire retentit. Ce qui est plutôt idiot puisque la blanche sait maintenant très précisément où se trouve l'inconnue. Les oreilles du Cygne se plaquent sur son crâne. Son regard se fait plus dur. « J'avoue ne pas comprendre... » Yrma réfléchit, en même temps, à la personnalité qu'elle va devoir se composer sur les terres de Galop Sauvage. Elle n'y a pas encore consacré assez de temps et doit absolument se composer un personnage plausible, passe-partout, mais assez affirmé pour tisser des liens forts, ce dont elle va avoir besoin. « Je ne souhaite pas jouer. C'est pas mon truc. Passe ton chemin. » Yrma tourne sur elle-même, l'air doucement irrité. Elle décide de la jouer adulte, ce qui la servira mieux quand l'heure sera venue. Puis de toute façon, elle ne saurait avoir la patience de rentrer dans ces jeux d'enfants. Elle en est pleinement capable, mais autant se tailler une figure qui soit en partie à son image, c'est toujours moins risqué.

« Je suis la propriétaire de ces lieux. Je vous ordonne de partir sur le champs ! »

Yrma est secouée d'un rire tendre. Comme si elle reprenait ses esprits après la légère frayeur. « Vraiment. Je n'en ai plus l'âge. J'apprécie l'invitation au cache-cache mais... ce sera sans moi. Comme je l'ai dit c'est pas mon truc. »