wiser than the trees

Il marche parallèlement à la piste. Celle-ci le conduit dans la direction du camp. L'ancien camp. Son ancienne maison. Il aime toujours venir ici, si bien que rapidement, il laisse de côté le renard qu'il traquait pour s'approcher du feu, éteint depuis des siècles lui semble-t-il. Tout a changé, depuis. Malgré qu'il se soit épanoui et découvert depuis la dissolution des Shaan, il ne peut qu'être nostalgique de cette époque. C'est con mais la mémoire est ainsi. Parfois, même avec une enfance de merde, on aimerait y retourner. Bon, pour Faucon, c'était pas non plus l'enfer ici, il passait de bons moments. Une silhouette attire son oeil acéré qui vagabonde jusqu'à se fixer sur elle. De dos, il s'approche de la femelle tout en discrétion mais sans chercher non plus à être complètement silencieux. Hekâ, fait-il en guise de salut, se postant à son côté droit, son oeil vide dans sa direction.

Il esquisse un sourire fin, respectueux malgré tout. Parce qu'il l'a toujours admirée, même s'il lui en a secrètement voulu de n'avoir pas souvent passé de temps avec lui. Il avait attribué ça au fait qu'il était le fils de Nyveèn, peut-être se trompait-il. Il était enfant, après tout. Tsunami, cela lui va bien. Il trouve que ça la caractérise bien. Raz-de-marée emportant tout sur son passage. Dans ce cas, appelle-moi Faucon. Il fixe la rivière devant eux lui aussi, appréciant les reflets que quelques rayons viennent faire danser dans les éclats cristallins de l'eau. Sa question le surprend mais il n'en montre rien. Il pensait qu'elle aborderait directement le souvenir de leur combat, mais non. Tout ce que l'autre ne peut pas voir. Il a toujours intensément cru à ce pouvoir dont il se ventait petit, l'apprivoisant. Il ne saura jamais si, à force d'y croire il lui a donné vie dans son imaginaire ou bien si ce qu'il voit est réel. Les ombres ne trompent pas et ne l'ont jamais laissé pour compte. Je ne m'attendais pas à te voir, l'autre fois. Mais je te remercie. Il tourne la tête vers elle, assez pour la poignarder cette fois de son oeil viable, d'un bleu glacé comme les étendues nordiques. Il ne sourit pas, se contentant d'exprimer sa sincérité dans sa voix et dans son regard. Sans elle, il ignore s'il aurait pu s'en sortir comme il l'a fait.

S'il peut voir le futur ? Faucon imagine. Cela serait pratique, parfois. Handicapant et paralysant à d'autres. Non. Il n'est pas déçu de lui avouer que ce n'est pas le cas. Il l'écoute, sans vraiment répondre si ce n'est par quelques hochements de tête. Lui ne voit pas vraiment cela comme une boucle que rien ne peut briser sinon la mort des protagonistes. Ils étaient les tiens aussi. Pourquoi défendre celle que tu considérais comme une traîtresse contre ceux qui ont choisi de te quitter ? Y a-t-elle un parti à qui elle en veut plus qu'à l'autre ? Faucon est réellement curieux, ses questions sont sans jugement, il satisfait juste ses questionnements personnels.

L'étalon l'écoute, sans répondre, sans juger non plus. Il imagine très bien ce qu'elle décrit même si elle pense peut-être le contraire. Alors je te remercie. D'être intervenue. Il ne sourit pas, mais ses mots sont sincères et il replonge son oeil bleu sur la surface transparente de la rivière. Il n'ajoute rien d'autre, il a eu sa réponse.

Les lèvres de Faucon s'animent, enfin, en un sourire acéré, allant d'un bout à l'autre de son visage, presque effrayant. On peut toujours s'en sortir sans la violence dégénérée quand on n'est pas soumis uniquemen à la violence aveuglante. Il hausse ensuite les épaules, comme léger. Et puis, je n'ai pas touché à celle que j'ai capturé. Pourquoi se venger ? De les avoir humiliés ? Je n'ai pas beaucoup de mérite, c'est elle qui m'a tout appris, ajoute-t-il, bien que flatté sans le montrer, en parlant de Mygale.

Il darde sur elle un oeil profond, sérieux, acéré. Mon rôle n'est pas de la sauver. Personne ne peut la sauver. Il faisait juste trainer la chose. Pour les frustrer, peut-être. Rien ne peut aujourd'hui changer les crimes desquels ils l'accusent et l'accuseront toujours. Ils n'en auront jamais assez, de cette soif de violence déraisonnable. Au détriment de leurs propres membres, qui partent en vrilles comme un jeu de quilles. L'idée de justice est trop vague. Elle est différente pour chacun. Disons que j'ai mon propre code. Il n'a pas quitté son regard, qu'il soutient fermement sans ciller, sans agressivité mais sans douceur non plus.

Il suit ses mouvements mentalement, sans bouger. A ses paroles, il ne la regarde pas. Malgré qu'il soit froid, peut-être détecterait-elle tout de même le souvenir de sa rancune. Il aurait tant aimé, enfant, qu'elle pose ses yeux sur lui. Qu'elle voit ce qu'il souhaitait devenir. Ses ambitions, sa détermination. Il aurait tant voulu qu'elle lui donne une chance. Ses yeux d'aigle rencontrent un oeil d'aigle. Unique, comme un cyclope. Faucon a fait volte-face, reptilien, discret, vif. Il incline la tête sur le côté. Je ne suis pas de taille. Mais cela fait longtemps que tu aurais dû m'entraîner, alors... on peut encore rattraper ce retard, souffle-t-il avec un demi-sourire, mystérieux, presque séducteur, même.