give me some space _A_

Absinthe aurait bien aimé qu'il en soit de même pour elle. Qu'elle soit elle aussi sur la bonne voie, entrain de remonter la pente. Au lieu de ça, elle continuait inlassablement de la descendre. Chaque jour, elle descendait un pallier supplémentaire. A croire que sa chute était faite pour être éternelle. Pourtant, même si elle n'en avait pas spécialement l'impression, ces dernières épreuves l'avaient endurcie, elle aussi. Elle avait fini par s'y faire, peut-être. Ou peut-être que ses sentiments avaient fini par s'éteindre à force d'être ainsi éprouvés.
Au bord du lagon, le temps semble comme arrêté. Cet endroit lui a toujours donné cette impression céleste d'être hors du temps. Hors de la vie réelle. Hors de tout. Son regard glisse vers le jardin aux merveilles. L'endroit préféré de sa mère. Peut-être qu'y faire un tour lui changera les idées. Ou pas. La palomino se fige en découvrant une silhouette rousse qui semblerait presque perdue dans ce paysage paradisiaque. Aulia. Sans doute la dernière personne qu'elle a envie de voir en ce moment. L'envie de tourner les talons est forte. Elle déteste leurs entrevues, qu'elles se passent bien ou mal. Vous savez… Ce petit goût d'amertume qui reste… Elle lui fait pourtant face, d'apparence solide alors qu'intérieurement elle est ravagée. Elle a tellement apprit à porter ce masque qu'il lui colle à la peau avec perfection. Rien de plus facile à jouer.
- Nos terres sont jolies, n'est-ce pas ? Lance-t-elle finalement en affichant un sourire.

Absinthe avait bien du mal à se l'avouer mais Aulia était devenue un poison pour elle. Et pas de ceux qui agissent en quelques minutes et rendent la mort peu douloureuse. Non, bien au contraire, elle était tout l'inverse. Elle représentait à merveille ce long et pénible voyage vers le royaume des morts. Elle était son asphyxie. Elle avait étouffé son cœur comme la maladie étreignait ses voies respiratoires. Alors la revoir, c'était bien au-delà d'une simple torture de l'esprit.
Pendant très longtemps, la palomino avait attendu. Elle avait espéré, du plus profond de son être, qu'un jour Aulia lui pardonnerait son erreur de jeunesse. Mais les années sont passées. Lentement, les unes après les autres. Et elle n'a jamais obtenu le pardon tant espéré. D'ailleurs, combien d'années les ont séparées ? Absinthe a arrêté de compter après la quatrième ou cinquième année. Elle n'a pourtant jamais pu faire le deuil de leur relation. Malgré le fait de voir Aulia refaire sa vie de son côté. Comment oublier son premier amour ? Comment oublier la personne qui est votre âme-sœur ? C'est simple. C'est impossible. Et devoir s'efforcer à le faire, c'est simplement s'autodétruire. C'est vendre son âme au diable. C'est mourir à petit feu. Encore plus lorsque sa moitié lutte de toutes ses forces. Parce que c'est un véritable coup de poignard. En plein cœur. C'est comme crier "je ne veux pas t'aimer". Et c'est sans doute la pire insulte qui puisse exister.
Le regard que Aulia pose sur elle lui brûle la peau mais pas pour la raison qu'on s'imagine. A vrai dire, Absinthe se sent simplement épiée. Comme si la rouquine cherchait à la comprendre. Comme si elle voyait à travers son masque. Alors la palomino redouble d'efforts et se concentre pleinement pour ne plus rien laisser échapper. Elle n'a plus envie de s'expliquer ni même de laisser croire qu'elle est torturée. Et même si ça l'épuise de jouer la comédie elle ne flanche pas. Elle espère simplement que, comme leurs précédentes rencontres, celle ci ne s'éternisera pas.
- C'est chez moi, la corrige-t-elle.
C'est un mensonge d'ailleurs. Absinthe ne s'est jamais sentie chez elle ici. En fait elle ne s'est jamais sentie chez elle nulle part. C'est sans doute pour cette raison que fuir ces terres lui était si facile. Elle ne se sentait pas enracinée, contrairement à d'autres.
- J'ai appris que vous aviez déménagé, vous les Ergiens, souffle-t-elle finalement comme pour s'intéresser à la vie de la rouanne.
Elle avait vu les vestiges de la pyramide aussi et ça ne l'avait pas étonnée. Les Ergiens semblaient avoir un don naturel pour le chaos et la destruction.

Malheureusement, Absinthe ne sait pas lire dans les pensées d'autrui et tout ce qu'elle sait d'Aulia et de leur relation, c'est ce que l'Ergienne veut bien lui montrer. C'est à dire pas grand chose. Pourtant la palomino a essayé de faire parler le cœur de l'appaloosa. Elle s'est évertuée pendant plusieurs années à lui faire comprendre qu'elle aurait aimé retourner dans ses bras. Mais aucun de ses gestes, de ses paroles et même de ses actes n'ont suffit. Elle se retrouvait systématiquement face à un mur. Et aujourd'hui, avec le recul, elle se demande pourquoi elle s'est autant investie. Pourquoi elle a tant essayé de sauver une cause perdue. De toutes façons Aulia ne changera jamais. Elle pensera toujours aux autres, à ce qu'ils pourraient dire d'elle avant de penser à elle même.
- Le volcan c'est un lieu qui te va à merveille, réplique-t-elle.
Elle ne relève pas sa remarque sur le fait qu'elles vivent dans des endroits opposés. Là aussi, c'est bien une preuve qu'elles seraient incapables de vivre l'une près de l'autre. Elles n'évoluent pas dans le même milieu de vie. Et Absinthe ne se voit pas devenir un jour une Ergienne. Ce clan ne lui correspond pas.

La réponse d'Aulia surprend un peu Absinthe. Elle ne pensait pas déclencher une telle réaction en lui disant ça. Les épaules de la palomino s'affaissent légèrement. Elle se sent tellement démunie face à la rouanne. Face à leur incapacité à se comprendre.
- Comme tu le désires, répond-elle d'une voix presque lasse.
Et dans ses pensés tourne une seule question ; que veut-elle vraiment ?

L'air inquiet qu'affiche Aulia ne suffit pas à apaiser Absinthe qui se mord l'interieur de la joue. Elle n'a pas vraiment envie de s'engager sur ce terrain là avec son ex. Et puis des choses il s'en est passé des tas. Le pire c'était sans doute son "histoire" avec Fléau, et elle ne pouvait pas en parler.
- Je suis juste fatiguée, repond-elle, peu désireuse de s'étaler sur ce sujet.

Absinthe était lasse de ce jeu. De tout théâtraliser, d'afficher un sourire alors qu'elle n'en avait pas envie et de faire comme si elle était heureuse. Comme si elle n'était pas brisée. Alors que c'était pourtant le cas. Et, forcément, la dernière phrase d'Aulia fait écho à ses pensées et envies.
- Tu as raison, lâche-t-elle froidement avant de tourner les talons pour laisser Aulia plantée là.

( Out )