On the edge ▬ A (TW)

Comme si elles étaient reliées malgré la distance, malgré le vide entre elles qui les séparait et les empêchait de se comprendre, la rouanne, elle, avait passé la nuit dans la grotte féerique, au pied de la statue de Lov. Et même si le froid lui avait violemment mordu la peau, elle avait trouvé un certain confort dans la douleur et l'engourdissement. Elle y était allée souvent, ces derniers temps. Certains allaient au cimetière, d'autres allaient à l'arbre aux âmes, elle, elle avait trouvé refuge auprès de ce qui lui restait de sa tante décédée. Parce qu'en y allant, elle s'accrochait davantage au souvenir du moment qu'elles avaient partagé à regarder les aurores boréales et à parler d'amours. À l'époque, tout était tellement plus simple.
Aulia avait finit par se lever pour aller se dégourdir les jambes et aller se réchauffer un peu, ne supportant plus le froid. Elle n'avait pas envie de se mettre consciemment en hypothermie, sa mère lui aurait arraché les oreilles. Alors elle avait marché sans savoir où elle allait, sans avoir la notion du temps. Et lentement, mais sûrement, ses pieds l'avaient mené là où elle n'aurait jamais cru aller. Au bord de la falaise. Elle se surprit à voir de la beauté à travers le décor terne et sombre. C'était différent. C'était apaisant. Et alors qu'elle écoutait le son de vagues qui frappaient la pierre noire, ses yeux se posèrent sur un éclair doré. Son coeur se serra douloureusement. Elle aurait fait demi tour, trop lâche pour affronter ce qui la tourmentait depuis quelques temps. Elle aurait demi tour, oui, si elle ne l'avait pas vu s'approcher dangereusement du bord. Absinthe ! Son cri déchira la brise qui aurait voulu avaler ses mots si elle n'avait pas poussé la note. La Tsoldur s'approcha d'elle d'un pas rapide, urgent. Non... Recule ! hurla-t-elle, un peu désespérée.
Non.
Ça ne pouvait pas se terminer comme ça.

Si un instant plus tôt le son des vagues et de la mer la berçait, là, elle n'entendait plus que les battements de son coeur qui résonnaient jusqu'à ses tempes. Elle ne se souvenait pas avoir déjà la peur au ventre à ce point, si bien qu'elle avait du mal à respirer tant sa gorge était serrée. Rien ne la fit s'arrêter, prenant même un trot rapide, à défaut de pouvoir galoper tant ses jambes tremblaient. Elle manqua trébucher à plusieurs reprises, mais il était hors de question de s'arrêter ou de laisser tomber. La tentative de la blonde ne fit que renforcer sa volonté d'agir. Elle aurait tellement dû insister davantage la dernière fois. Elle avait bien vu qu'elle n'allait pas bien, mais elle n'avait pas voulu être envahissante. Et ça les avait menées là. Sournoisement, les larmes lui montèrent aux yeux. J't'en prie Absinthe, fais pas ça. la supplia-t-elle une fois à quelques mètres d'elle. L'impuissance et le désespoir faisaient rage, si bien qu'elle en perdait ses mots, ne sachant pas quoi dire. T'as peut-être l'impression que rien va s'arranger, mais j'te jure, tu sais pas ce qui peut arriver dans le futur alors laisse-toi une chance. Elle avait l'impression d'être dans un cauchemar dans lequel chaque mot qu'elle disait ou ne disait pas avait une importance et qu'elle devait jouer correctement ses cartes pour ne pas échouer. Et à chaque seconde qui s'écoulait l'angoisse l'envahissait un peu plus. Aulia ne pouvait pas lutter contre les perles salées qui s'écrasaient sur ses joues, même si elle aurait préféré avoir l'air forte devant elle pour la soutenir plutôt que d'être dans un tel état. Mais elle n'y pouvait rien, c'était son point faible. S'il te plait.

Son corps entier tremblait comme une feuille, mais pas à cause du froid. Ses épaules étaient secouées par ses sanglots, et ses jambes avaient du mal à la porter. Elle avait terriblement peur et elle savait qu'elle ne pouvait pas la forcer à s'écarter du bord, au risque de se mettre toutes les deux en danger. Alors elle était envahie du pire sentiment qui soit : l'impuissance. C'est pas ta vie que tu veux terminer, c'est la douleur, la solitude, cette période sombre. J'te jure qu'il y a encore plus à voir et à vivre. S'il te plait Absinthe, fais pas ça ! sanglota-t-elle. Elle tenta de faire un pas de plus pour se rapprocher d'elle doucement. J't'en prie. Fais-le pour moi... J'ai pas envie que tu partes ! Elle était égoïste, elle le savait. Mais elle ne savait pas quoi faire d'autre.

Pour elle, le simple fait qu'elle recule, elle le voyait comme un signe de collaboration, de volonté à essayer. Ce n'était sans doute que son interprétation, mais elle essayait toujours de voir le positif. Et malgré l'agacement et l'amertume qui émanait de la blonde, Aulia se jeta vers elle pour la serrer contre elle, s'agrippant à son encolure comme si c'était sa propre vie qui était en jeu. Alors oui, elle avait conscience qu'elle était égoïste, mais c'était bien à cause qu'elle tenait à elle qu'elle n'avait pas envie de la voir sauter. Et cette constatation la fit pleurer de plus belle. Car si elle était arrivée un instant plus tard, elle aurait pu ne jamais la revoir. Elle aurait pu ne jamais pouvoir la serrer contre elle à nouveau. Y'a des gens qui tiennent à toi et qui sont là pour toi. souffla-t-elle d'une voix tremblante. Et même si la dorée était encore de leur monde, elle ne pouvait pas s'empêcher de sentir son coeur saigner. Parce que tout ce temps elle s'était refusée de se rendre à l'évidence, pendant tout ce temps elle s'était empêchée d'être elle-même et d'assumer ce qu'elle ressentait. Et si Absinthe aurait pu passé à côté de plein de choses en sautant, elle aussi. J'fais partie de ces personnes-là Absy. Et je sais que ça te plaît pas mais je tiens à toi.

Elle n'avait pas vraiment conscience du fait qu'elle était sans doute envahissante, son corps réagissant comme ça à cause de la peur qui lui avait déchiré les tripes. Et elle avait l'impression qu'elle allait disparaître dès qu'elle la lâcherait, si bien qu'elle ne fit que se presser un peu plus contre elle, blottie contre son encolure. Ses crins de lune étaient mouillés par ses larmes, mais ça ne faisait que lui prouver qu'elle était bel et bien là, en vie, en chaire et en os. Mais ses paroles s'occupèrent de raviver la douleur. Elle n'avait pas besoin de le dire ouvertement, mais Aulia se sentait visée, coupable de s'être créé un blocage qui durait depuis si longtemps. Une barrière dont la chute la rendrait sûrement heureuse, mais dont elle avait du mal à faire tomber. Elle réalisait tout de même que ce mécanisme de défense qui la protégeait et la rendait plus en sécurité causait plus de mal autour d'elle. J'aimerais tellement que tu puisses voir comment tu as une grande valeur. Elle sentit les larmes lui monter à nouveau aux yeux. J'aimerais tellement que tu puisses voir comment tu es loin d'être seule et mal aimée.

La rouanne voudrait lui hurler tout ce qu'elle pensait et ressentait. Elle voudrait crier qu'elle avait des sentiments pour elle mais qu'elle avait du mal à lui communiquer. Elle voudrait lui dire, après tout ce temps à ne pas savoir comment agir avec elle. Elle s'était si longtemps sentie faible quand elle faisait chavirer son coeur, mais elle en avait assez de lutter contre ça. Elle en avait assez de lutter contre elle-même. Mais elle avait l'impression que ses paroles lui coulait sur le dos comme de l'eau sur un canard. Que ça ne lui faisait rien. Et elle désespérait de ne pas réussir à l'atteindre. Parce qu'elle était consciente qu'aujourd'hui elle n'avait pas sauté, mais que demain pourrait être différent. Aulia se recula d'elle, son regard noir s'ancrant dans l'océan de ses iris, essayant de lui communiquer tout ce qu'elle aurait à lui dire. Mais comme un geste pouvait valoir mille mots, elle se rapprocha pour prendre possession de ses lèvres. Elle allait sûrement se faire rejeter, elle allait sûrement en être blessée, mais si ça pouvait lui prouver qu'il y avait des gens qui tenait à elle à se point, c'était un risque qu'elle voulait prendre. Surtout s'il y avait l'infime chance qu'Absy veuille croire en elles à nouveau.

Contrairement à ce qu'elle aurait cru, qu'elle se retire aussi brusquement de son contact ne lui fit pas grand chose, lui offrant son regard le plus farouche et déterminé. Et même si elle aurait pensé que ça lui aurait fait de la peine, il n'en était rien. Non, elle se sentait surtout soulagée d'avoir su assumer ce qu'elle ressentait vraiment et d'avoir osé, même si ce n'était pas vraiment fructueux. Et si ça pouvait lui faire prendre conscience qu'elle était aimée, ça valait la peine.
Pourtant, elle se laissa surprendre lorsque la palomino revint à elle, même si elle finit par fermer les yeux et profiter du baiser qu'elle lui offrait, son coeur battant la chamade. Elle aura toujours eu ce don pour lui faire vivre une montagne russe d'émotions et sans doute que ça lui plaisait, à quelque part. Parce qu'elle se sentait vivante à ses côtés. Et qu'elle n'avait jamais vécu ça avec quelqu'un d'autre. Tu veux bien qu'on s'écarte un peu de la falaise ? lâcha-t-elle avec un léger rire entre deux baisers.