Road trip //F//

C'est la première fois que l'étalon s'approche du lac Maori. La surface de l'eau est d'un bleu si pur que s'en est presque hypnotisant. Mais le jeune étalon en s'est pas rendu ici pour profiter du paysage. Il veut découvrir quelles sont ces drôles d'ombres qui l'observe dans les broussailles depuis plusieurs semaines. Des ragots disent qu'ils traînent dans cette partie de Luanera. Filao compte bien vérifier que ces rumeurs sont fondées. C'est sa mission de sentinelle. Naseaux au vent, L'étalon caramel tente de capter des effluves inconnues mais son odorat est parasité par les odeurs de fleurs sauvages.  

L'étalon marche le long du rivage. Son attirance pour l'eau le fait dévier quelque peu. Il commence par regarder son reflet puis entre dans l'eau. Comme c'est agréable de se rafraîchir après de longues heures de marche sous le soleil. Filao est un jeune étalon, il se laisse facilement distraire de ses objectifs. Le mâle commence à frapper l'eau avec son antérieur pour asperger ses flancs sans se douter qu'il est entrain d'attirer l'attention. Il a été élevé dans un cocon de sécurité, il manque encore de prudence.

Après s’être suffisamment rafraîchi, l’étalon caramel rejoint la berge et s’ébroue pour essorer sa grosse crinière noire. Maintenant que cette petite parenthèse fraîcheur s’estompait, le curieux sentiment d’être observé ré-apparaît brutalement. Le jeune mâle épie les environs. Toujours en alerte. Ses oreilles ne cessent de s’agiter d’avant en arrière comme des girouettes et ses naseaux sont dilatés à leur maximum. Il perçoit une effluve. Discrète. Celle d’un prédateur qu’il ne connaît pas. Peut-être est-ce lui qui l’observe discrètement depuis tout ce temps ?  Un cheval sage aurait pu faire demi-tour et fuir, mais la curiosité de la jeunesse le poussait à rester ici. Quitte à se mettre en danger. Il veut savoir à quoi ressemble cette étrange créature.

Filao continue d'épier les environs, il discerne assez vite du mouvement dans les fourrés. L'étalon redresse l'encolure, oreilles pointées en avant. Il est curieux mais craintif. Enfin, une silhouette se redresse face à lui, une drôle de créature sans poil. L'étalon frappe le sol frénétiquement avec son antérieur en voyant un animal s'approcher, il veut l'inciter à rester à distance. Quel est donc cette étrange créature si maigre, si vulnérable qui se déplace sur deux pattes ? Filao se laisse distraire par l'apparence peu commune de la jeune femme. Cet animal semble si frêle qu'il ne peut pas être dangereux ? N'est ce pas ? Il n'a ni crocs, ni griffes puissantes. Comment pourrait-il me faire du mal ? L'étalon se détend peu à peu mais reste sur ses gardes. La curiosité le pousse à tendre l'encolure pour renifler d'un peu plus près la jeune femme. Une bien grossière erreur, car cette dernière en profita pour sortir de son dos... un serpent ! Sans prévenir, la jeune femme lui envoya le serpent au visage et ce dernier s'enroula immédiatement autour de son cou. Surpris, le jeune mâle pousse un hennissement assourdissant et se cabre pour tenter d'arracher le reptile de son encolure. Mais plus il recule, plus le serpent resserre son emprise autour de son cou. Paniqué, Filao continue de se débattre, tirant de toutes ses forces sur le lien qui le relie à l'humaine.

Mais l'étalon se réagit pas, la panique s'empare de son corps en sentant le reptile resserrer son cou de plus en plus fort jusqu'à lui couper le souffle. Dans un ultime mouvement de protestation, le jeune mâle se cabre tellement fort qu'il tombe à la renverse et s'écroule lourdement sur le dos. Un peu sonné, Filao reste couché, le souffle court. Le lasso se détend et sa respiration devient plus fluide. Le jeune mâle est complètement étourdi, il reste au sol pour reprendre ses esprits.

Ce matin, lorsque Satinka s'est réveillée, elle n'a pas vu Imala. Curieuse sans vraiment l'être, elle l'a cherchée pendant bien une heure avant de déclarer forfait. A vrai dire, ça l'arrangeait bien puisque ça lui permettait de faire ce qu'elle voulait. Ainsi elle vagabondait entre les tipis, sans doute à la recherche d'une friandise égarée - ou d'un autre cheval à embêter - lorsqu'elle fut prise d'un étrange pressentiment. Comme si Imala l'appelait. Sans réfléchir, la pie prit le galop. Son instinct la mena au lac Maori où sa cavalière se trouvait. Et elle n'était pas seule. Elle était en compagnie d'un étalon qui semblait assez jeune. Oreilles plaquées contre sa nuque, la tempétueuse jument arrive aux côtés de la jeune indienne, prête à la protéger en cas de besoin.

Filao reste plusieurs minutes au sol avant de se relever mollement. Il est complètement groggy et sa vision est trouble. Il recule d'un pas et constate que la corde est encore enserrée autour de son cou mais s'il ne fait pas de mouvement brusque, elle reste distendue. Fatigué, le jeune mâle n'oppose plus aucune résistance. Une jument s'approche, il dresse ses oreilles vers elle sans comprendre. Pourquoi ne fuit-elle pas ? Sa vision est trop trouble pour qu'il réussisse à discerner la couleur de sa robe.

D'un geste délicat, Satinka approche ses naseaux du visage de l'indienne. Son indienne. Le seul être vivant qu'elle estime en ce bas monde. Elle s'efforce d'ailleurs de prendre sur elle pour ne pas se montrer agressive envers le nouveau qu'elle se contente d'ignorer. C'est à peine si elle pose le regard sur lui. Elle ne pourrait même pas dire à quoi il ressemble. Et tout ce qu'elle se contente de faire, c'est de tirer la corde qui le retient captif pour aider Imala à l'emmener jusqu'au camp.