(az) run free

Il approche son visage et les oreilles de la guerrière rencontrent instantanément sa nuque. Elle lui jette un regard mauvais, analyse, mais reste stoïque. Ce n'est pas encore le moment de lui déchiqueter le visage. Attendons un peu. Bien sûr qu'il ne va pas la demander en mariage. Et quel soulagement c'est de l'entendre de sa bouche. Elle s'apprête à se raidir, mais l'ultime phrase lui hérisse le poil. Cela fait plusieurs mois qu'Aszio est parti. A disparu. Du jour au lendemain, il s'en est allé. L'abandonnant ici, ainsi. Et si.. et si ce n'était pas un départ volontaire ? Si quelqu'un l'avait forcé ? Non, Aszio n'aurait jamais obéit. Mais il est si explosif, si sensible.. Comme moi. Azara avait délibérément laissé de côté l'hypothèse que quelqu'un avait fait du mal à Aszio. Il n'avait de différends qu'avec sa famille, et malgré ce qui aurait pu se dire, aucun Tsöldur n'aurait osé lui faire du mal. Mais... Comment se fait-il que Faucon le connaisse ? Serait-il à l'origine de cette disparition ? Les battements d'Azara s'accélèrent. D'où tu connais mon frère ? Qu'est-ce que tu lui veux ? Elle plonge, tête baissée.
Même aveugle et sourd, on devine que sa faiblesse est là.
Dans sa chaire.
Dans son cœur.

Azara n'a pas l'art du jeu. Ni de cartes, ni d'échecs. Elle sort sa dame, son fou et sa tour et n'a d'yeux que pour la tête du roi, qu'elle coupera sans compter le nombre de pions qu'elle perdra. Si l'adversaire n'a pas de stratégie, ça marche à tous les coups. S'il en a une, alors misons sur la chance. Bien qu'elle ne lui offre que rarement un sourire. Voire jamais. Est-ce que tu es en train de me dire que tu as volé la paternité de mon frère ? Sa fille ? La mâchoire serrée, Azara tente d'encaisser toutes ces révélations. Putin. Pourquoi il m'en a pas parlé. Quel salop. Pourquoi ? Pourquoi est-ce Faucon qui l'a élevée ? Qui est la mère ? Nour ? Impossible, sinon l'enfant ne serait pas à la tribu.. Elle est incapable de dire qui, et ça l'agace, la frustre et la culpabilise. Aszio ne me faisait pas confiance.. A ce point là ? Elle se redresse et plonge son regard abyssal dans celui du mâle, tendue, sérieuse. Qui est la mère ?

Comme la lave nichée au creux du Piton Rugissant, Azara commence à bouillir. La température de son corps augmente et la tension est telle qu'elle peine à ne pas trembler de colère. Elle le regarde lui rire au nez, méprisant cet être qui semble se réjouir de la situation. Elle les hait. Aszio et lui. Aszio de ne lui avoir rien dit, lui de se moquer d'eux. Ta demi-sœur. Le cœur d'Azara fait un bond dans sa poitrine. Plum ? Impossible. Sinon l'enfant ne serait pas aux griffes de Faucon. Boréale..? Elle qui avait la ferme intention de détruire les jumeaux ? L'esprit d'Azara est embrumé, perturbé. Comment ont-ils pu en arriver à procréer ? A calmer les tensions ? Etrangement, ce n'est pas l'union de leur sang qui choque la guerrière. Elle tente de se calmer, prend sa respiration et ferme les yeux quelques secondes. Ce n'est pas grave. Ce n'est rien. L'amour ne se décide pas. Bien sûr qu'elle pourra pardonner son frère. Elle ouvre les yeux et les ancre à ceux de Faucon, parfaitement stable. Dans ses yeux, sur son visage, règne un calme olympien inattendu. Il n'a pas réussi à la déstabiliser. Il a échoué. Elle s'apprête à le lui faire remarquer, à se moquer de lui et de sa perversité inutile. Mais il reprend la parole.
Elle s'immobilise. Ses yeux se perdent dans ceux de Faucon sans qu'elle ne s'en rende réellement compte. Xander. Est-il..est-il.. comme lui ? Non. Elle tressaille. Non de peur, mais d'inquiétude. Si les mêmes démons de leur cousin touchent Aszio, cela ne présage rien de bon pour l'avenir. Son cœur se serre. Elle devrait ressentir du dégoût, du mépris, de la déception. Pourtant, à cet instant, Azara n'éprouve que de la pitié. Au diable Boréale. Cette salope voulait nous faire la peau. Il n'y qu'Aszio qui lui importe. L'Ergienne reste ainsi durant de longues minutes, le regard dans le vide, muette.
La dernière phrase de Faucon résonne dans sa tête et lui permet de reprendre ses esprits. En une fraction de seconde, Azara redresse la tête et poignarde l'étalon du regard. Ses oreilles viennent se loger sous sa crinière et lorsqu'elle discerne le regard, ce regard, qui semble se réjouir de sa souffrance, le coup est immédiat. Elle se cabre et envoie valser ses antérieurs dans la mâchoire de Faucon. Elle retombe sur ses pattes, fulminante, fusillant de rage l'étalon. La ferme. Tu ne seras jamais aimé comme Aszio l'est, peu importe ses déviances et les forces qui le contrôlent. Car lui n'est pas foncièrement mauvais. Toi, c'est ton âme qui est pourrie. Crache t-elle d'une traite, le cœur battant, la voix grave et méprisante. Elle en a assez entendu. Elle n'a pas besoin du jugement et de la fourberie de Faucon pour comprendre son frère. S'il croit pouvoir manipuler Azara et faire éclater en morceaux sa relation avec son frère, il se trompe sur toute la ligne. Par excès de naïveté ou pour sa sincérité, elle ne tournera jamais le dos à Aszio.
Jamais.
L'éclair d'argent crache au visage de Faucon, le regarde quelques secondes, une ultime fois, se disant que, désormais, elle n'éprouve plus la moindre admiration pour cet être malsain. Elle ancre son visage dans sa mémoire et remplace ce qu'elle voyait de lui autrefois. Elle fait volte-face et fonce en direction des landes.
Des larmes salées s'écoulent le long de ses joues. Oh, Aszio.